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Ana Roš : « Il y a une différence entre quelqu’un qui cuisine avec dévouement et quelqu’un qui fait seulement le job. »

Le 21 mars 2022

Ana Roš est l'une des cheffes les plus passionnantes de la scène culinaire internationale. Entretien avec celle qui incarne la présidence d'honneur du Bocuse d'or Europe, à Budapest. 

Ana Roš est l'une des cheffes les plus passionnantes de la scène culinaire internationale. Entretien avec celle qui incarne la présidence d'honneur du Bocuse d'or Europe, à Budapest. 

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Interview précédente

Ana, vous rouvrez Hiša Franko le 18 mars après une longue pause. Comment vous sentez-vous ?

Je vais bien, je suis moins stressée qu’auparavant tout d’abord, car une bonne partie de l’équipe est restée auprès de moi. Dorénavant je les connais très bien. Je suis très sensible aux énergies, parfois je peux éprouver des difficultés à m’adapter aux autres ou cerner quelles sont leurs motivations et même parfois leurs talents. Cependant, nous testerons le menu à 19 heures ce 17 mars et puis, je survivrai !
 
Comment avez-vous vécu cette période, cette pause ? Était-ce un moment de recul, de réflexion ou bien au contraire, l’occasion de vivre plus intensément ?

La première partie de ce break, j’ai voulu la dédier à mon foyer. Je suis aussi une maman, j’ai une maison. J’ai énormément voyagé et je n’ai pas eu le temps de remettre de l’ordre chez moi, j’ai dû finir des projets, je ne voulais pas d’aide, je voulais ranger moi-même. J’ai cependant passé énormément de temps avec mes enfants, ce qui m’a rendue très heureuse, nous avons voyagé malgré ma peur de finir en quarantaine, mais nous sommes partis à Cuba. Ce voyage fut finalement un désastre, car nous avons voulu voyager par nos propres moyens. Un chef est soi-disant control-freak et désire voir les choses de manière plutôt carrée, organisée, mais durant le voyage, tout ne s’est pas passé comme prévu, Cuba étant assez mal en point et le peso ne valant presque plus rien… Ma psychothérapeute m’a expliqué que ce voyage a été un test de personnalité énorme pour moi : en tant que chef, je m’attends à trouver ce que je veux quelque part et rien ne se passe comme prévu, comment dois-je réagir ? Mais j’ai eu la chance de passer un moment incroyable avec mes enfants, sans internet, sans téléphone, à seulement jouer aux cartes ensemble. Parfois, vous avez besoin de voir les choses sous une perspective totalement différente.

C’est un sujet qui vous importe énormément, la maternité, être parent en tant que chef, en ayant une carrière parfois complexe à gérer. Vous en parlez naturellement et cela continue de vous tenir à cœur ?

J’y pense tous les jours depuis que je suis devenue maman, il y a 19 ans. Que vous soyez une cheffe, ou non, peu importe la carrière que vous suivez, toutes les femmes souffrent de ces mêmes symptômes : ne jamais avoir assez de temps pour incarner tous ces rôles. Vous voulez être une bonne mère, mais même parfois être une bonne femme au foyer. J’ai eu cette conversation l’autre jour avec un ami s’étonnant que je ne fasse pas appel à de l’aide pour faire mon ménage alors que j’ai énormément de travail. Je lui ai bien expliqué que cela faisait partie du jeu, j’ai besoin de sentir que je peux m’occuper aussi de cette partie à côté du restaurant, m’occuper de ma maison. Bien sûr, parfois, on ressent cette overdose de tout cela, on essaie d’être partout à la fois, et puis bien entendu on ne peut pas, et on ressent cette culpabilité lorsque vous êtes avec vos enfants vous n’êtes pas avec votre équipe et vos clients et inversement bien sûr. Mais je crois aussi, au travers de l’histoire que j’ai pu vivre en partant à Cuba avec mes enfants, cela rend la famille plus forte car nous discutions de choses et d’autres. Cet accomplissement que des cheffes, mères, peuvent ressentir est très important, sentir que leurs enfants vont bien.

Vous incarnez la Présidence d’honneur du Bocuse d’Or Europe cette année, quelle signification pour vous, quel point de vue portez-vous sur les compétitions en général ? Comment aborderez-vous ce rôle ?

Il est important pour moi de souligner que je me sens honorée. Je suis cheffe autodidacte, je n’ai pas fait d’école, on ne m’a pas entraînée, j’ai refusé des places dans Masterchef, car ce n’était pas vraiment le genre de choses que j’appuyais. Cependant nous avons toujours respecté, suivi le Bocuse d’Or qui révèle les professionnels de la gastronomie, les plus grands chefs du monde ont connu cette compétition. Pour moi, qui suis entrée dans le monde de la cuisine par la petite porte, c’est l’un des plus grands succès de ma vie, et peu importe qui on choisit là-bas, on parle de gens qui se sont entraînés, mais cette fois j’y serai. J’y vois un hommage à ceux qui ont lutté pour arriver là où ils en sont sans aide de quiconque. Cuisiner, c’est subjectif, c’est très difficile de juger mais il y a des choses que l’on peut examiner : la précision, une passion quand quelqu’un cuisine… Il y a une juste différence entre quelqu’un qui cuisine avec dévouement et quelqu’un qui fait seulement le job. C’est quelque chose qui me tiendra à cœur, ce sera un défi de taille pour moi.

Votre carrière est passée par mille chemins, vos diplômes, vous êtes polyglotte, avez également suivi une vocation par amour, quel regarde portez-vous à ce jour sur votre carrière, arrivez-vous à un carrefour important ?

Oui, un grand carrefour. Pour une personne qui a des rêves, chaque moment est comme un carrefour. J’aime croire que j’ai toujours du temps, de l’espace pour faire toujours mieux : mieux cuisiner, jardiner, comprendre l’environnement dans lequel je vis, comprendre la nature. J’ai hâte de commencer la nouvelle saison 2022 d’Hiša Franko, car notre menu va apporter ce nouvel œil sur notre cuisine, qui met en lumière nos produits ultra locaux, avec des techniques et la créativité nécessaires à une cuisine raffinée.  

Quel souvenir d’Hiša Franko voulez-vous créer pour vos clients qui visitent votre restaurant, ou pour certains, la Slovénie ?

Je pense honnêtement que nous diffusons un message très clair de qui nous sommes, ce que sont nos traditions, le paysage qui nous entoure, à travers nos ingrédients et comment nous les cuisinons. Je pense qu’après un repas dans notre restaurant, vous savez que vous évoluez dans un environnement unique, qui n’est pas globalisé. Le produit ne voyage pas, il n’y a que le marché de producteurs local, aucun supermarché alentours. On peut parler d’une ricotta, d’un cottage cheese, ils auront une saveur unique. Nous essayons de mettre en exergue la beauté de la nature, de la partie ouest de la Slovénie. Dans un monde préservé, sans industrie, le produit a ce goût original, franc, qui manque parfois cruellement à la gastronomie aujourd’hui.  
 

Propos recueillis par Hannah Benayoun


Nous apprenons à utiliser le poisson ou la viande comme des épices. Ils prennent part à l’assaisonnement des plantes dans notre menu. Nous avons commencé ce processus l’année dernière et nous devenons vraiment passionnés par le sujet, nous n’avons aucune pièce de viande à proprement parler dans le menu sans être végétarien.