On avait laissé le projet de La Caverne l’an dernier en pleine production de shiitake et de pleurotes.
Après la Porte de la Chapelle, c’est du côté de Crimée, à Paris, que l’équipe de La Caverne nous accueille cette fois. Nicolas, chef de culture, nous fait le tour du propriétaire des 1 000 mètres carrés du sous-sol d'une tour résidentielle.
« J’ai intégré le projet en 2018 après avoir vu une annonce pour une recherche d’ouvrier agricole, et moi je me suis présenté avec un CV d’agronome/chef de culture. Finalement, j’ai réussi à les convaincre qu’il ne manquait pas d’ouvriers mais d’une meilleure organisation. » Lui qui a toujours été spécialisé dans les cultures sous climat contrôlé et hors sol, va se frotter, en intégrant La Caverne, à une culture au climat contrôlé toujours, mais bio. « Pour moi, c’était clairement un nouveau challenge. » Un nouveau challenge tout court, puisque la culture du champignon de Paris (stoppée net après deux siècles d’exploitation dans les sous-sols parisiens, les Catacombes en l’occurrence, par les travaux du métro) est très compliquée et demande donc une attention maximale à l’ensemble des paramètres de culture. « Pour la construction du deuxième site, j’étais présent H24 pour créer un espace plus ergonomique que le précédent et ne pas répéter les erreurs commises sur le premier lieu. »
Hygiène de vie
Ventilation, climatisation, irrigation, Nicolas se doit de maîtriser les facettes techniques, déterminantes dans ce genre de culture. « Faire du champignon de Paris, ce n’est pas simple, parce qu'il y a peu de traitements qui permettent de régler les problèmes qui peuvent se présenter. Le simple fait d’apporter de l’eau peut engendrer des complications, souligne-t-il. Les lits de pousse sont des environnements parfaits pour tout type de bactérie qui a envie de proliférer… » Problème, le champignon de Paris n’aime guère le voisinage. Pour faire simple, il doit être le seul à se développer ce qui est extrêmement difficile, « car on crée l’environnement parfait pour la prolifération d’autres bactéries ». C’est donc un challenge conséquent que de parvenir à exploiter une aussi grande surface en maintenant un environnement le plus aseptisé possible. De plus, la nécessité d’une parfaite compréhension des mécanismes biologiques et bactériologiques qui régissent la pousse sont indispensables, chose qui reste marginale dans les cultures largement plus répandues d’espèces, telles le shiitake ou la pleurote.
« Pour nous, la meilleure arme pour éviter toute intrusion au sein des chambres de culture ce sont des actions mécaniques. » Ainsi les cueilleurs, en tant que premiers vecteurs de transmission du fait du contact direct des mains avec les champignons, se doivent d’avoir une hygiène irréprochable et sont abonnés à l’utilisation du désormais célèbre gel hydroalcoolique. « On fait également énormément de machines pour que notre personnel ait toujours des tenues le moins porteuses de bactéries possible. On voudrait même que les gens se changent intégralement avant de pénétrer dans les salles de culture. »
Substrat social
Parmi les autres problèmes : la rapidité de croissance des champignons. La réactivité absolue des équipes est primordiale car le champignon de Paris, en plus d’être agoraphobe, est un impulsif dont la patience n’est guère le point fort. Ses cycles de pousse sont extrêmement rapides, ce qui implique que les employés du site doivent se plier au rythme du champignon au risque que les récoltes ne puissent plus intégrer la « catégorie 1 » (voir détails plus bas). « D’ailleurs la pointeuse n’est pas là pour vérifier la ponctualité des gens, qui sont très peu en retard, mais surtout pour rémunérer les heures sup. »
Ainsi le recrutement est capital pour que le lieu fonctionne, mais également pour avoir un impact social sur son environnement proche. « Pour nous, c’est important d’avoir des gens de la résidence qui bossent avec nous. Ça permet de faire le relais et de répondre aux questions que les gens pourraient se poser sur ce qu’on fait, parce que pendant qu’on bosse, on n’a pas toujours le temps. » Ainsi le projet champignon de Paris fait office de « fondation » d’une initiative plus globale d’insertion : « Mon but n’est pas seulement que les gens soient qualifiés, il faut aussi qu’on leur donne envie de venir bosser avec nous et de s'investir dans le projet. » Cette proximité de terrain et l’aspect social sont renforcés par la redistribution des champignons de « catégorie 2 », hors catégorie pour la plupart des clients de La Caverne.
Objectif : l’autosuffisance
Enfin, la dernière difficulté c’est que le délitement de la filière française des champignons de Paris depuis des décennies a fait disparaître les producteurs locaux de substrat. À l’heure actuelle, La Caverne a recours à un intermédiaire, mais, à terme, le projet reste d’atteindre une autonomie totale en produisant son propre substrat, aussi bien pour des raisons écologiques que pour des questions de coût.
« Le champignon de Paris, à l’image de l’endive qu’on produit à La Caverne, est un produit d’appel sur lequel les marges sont faibles. Ces deux produits représentent nos plus gros volumes de vente, mais l’idée c’est d’amener nos clients à acheter d’autres produits », notamment les pleurotes et les shiitaké. En chiffres, cela représente 900 kilos par semaine de champignons de Paris contre 500 de shiitaké, par exemple. « Notre client principal, c’est la coopérative bio d’Île-de-France, qui alimente notamment les Biocoop de la région, mais on bosse également avec le Meurice. »
Blanc, rosé ou brun, ce champignon de couche, dont la France est le quatrième exportateur mondial, peut espérer, dans les années qui viennent, remonter sur le trône d’un royaume qu’il avait déserté : Paris.
Texte et photos Florian Domergue
Champignons toutes catégories
Catégorie Extra : Champignons de même calibre non ouverts (dont on ne voit pas les lamelles) et nettoyés
Catégorie 1 : Champignons non ouverts et nettoyés
Catégorie 2 : Champignon ouverts et non nettoyés
115 000
En tonnes, c’est la production française de champignons de Paris. Les principales régions productrices sont les Pays de la Loire et le Centre-Val de Loire (source : Interfel, 2019).