Please ensure Javascript is enabled for purposes of website accessibility Le Mont d'Or, l'autre massif du Jura | Sirha Food

Le Mont d'Or, l'autre massif du Jura

arrow
Article précédent
arrow
Article précédent
Article suivant
arrow

Par Jean-Pierre Montanay

(c) Romain Bassenne

Un seul fromage suffit à symboliser à lui seul les traditions et le savoir-faire du Jura, le Mont d’Or. Sanglé dans son bois d’épicéa, puis servi à même sa boîte pour être dégusté à la cuillère. Fier de ses racines jurassiennes, Matthias Marc, chef de Substance* à Paris en est fan au point de fuir quelques heures durant la capitale direction Longevilles-Mont-d’Or pour découvrir les coulisses de la fromagerie Arnaud. Cette maison, fondée en 1907 par Jules-Charles Arnaud est aujourd’hui dirigée par son petit-fils Jean-Charles, qui incarne la troisième génération de cette dynastie d’affineurs. Pour notre invité du jour, il a accepté de nous ouvrir les portes de la maison, et d’y jouer les guides.

Visiter une fromagerie ne se fait pas sans précaution : ports de blouse, surchaussures et charlotte obligatoires : « Attention, ici, on ne rigole pas avec l’hygiène » prévient le maître des lieux. Après la désinfection des mains, voilà le chef et le fromager déjà au coeur de la fabrique qui produit ici 3 fromages : Mont d’Or, Comté et Morbier, la sainte trinité du Jura. Pour Matthias Marc, ce n’est pas un baptême du feu ; tout gamin déjà, il traînait dans les fromageries de la région mais au pied des cuves en cuivre qui contiennent le caillé obtenu par emprésurage, sa curiosité demeure insatiable. « Le fromage est pressé ou pas du tout ? » demande-t-il. « En fait il est pressé sur sa propre masse rectifie Jean-Charles Arnaud, on le retourne avant de le sangler, c’est une tâche ultra artisanale. Imaginez que pour chaque fromage, il faut avoir préparé une sangle, et tout ici se fait à la main ». Cette sangle d’épicéa, assouplie dans un bain d’eau brûlante, vient serrer le fromage encore chaud comme une ceinture. 16 sangliers fournissent la Fromagerie en sangles d’épicéa, obtenues en rabotant cette partie de l’arbre située juste derrière l’écorce. Les yeux écarquillés, Matthias ne perd pas une miette du récit du patron : « Je suis moi-même fils de forestier donc l’histoire autour de la sangle m’a toujours fasciné, et ça fascine tout le monde dans la région ».

 

Double date
La visite se déroule un jour bien particulier, le 11 septembre, soit le lendemain de la mise sur le marché du premier Mont d’Or de l’année. « C’est la seule appellation d’origine dans le monde où l’on a cette exigence de double date, explique Jean-Charles Arnaud, fier de perpétuer les traditions ancestrales. On a le droit de le fabriquer du 15 août au 15 mars puis on doit le mettre sur le marché à partir du 10 septembre et ce jusqu’au 10 mai ; ça renvoie à la tradition du fromage d’hiver de nos montagnes ». « C’est ce qui fait le mythe de ce fromage » rajoute en salivant le chef gourmand. Pour Matthias, ces visites sur le terrain sont essentielles. « C’est primordial de connaître le travail qu’il y a derrière les beaux produits que l’on travaille, c’est même fondamental dans la formation d’un cuisinier. Je pense aussi à mon équipe à qui je vais donner toutes les informations glanées aujourd’hui, afin de transmettre l’histoire de ce produit ». Des paroles qui touchent Jean-Charles Arnaud. « C’est flatteur et pas si fréquent de voir un chef consacrer du temps, avoir la curiosité de comprendre ce qui fait la différence entre plusieurs fabrications de fromages » avant d’ajouter que ces visites permettent « de montrer que l’on n’a pas peur d’ouvrir nos portes, ni de tenir un discours de vérité et de transparence ». Notre guide de luxe nous emmène ensuite découvrir les caves, pour mieux comprendre la transformation des fromages dans le temps. Jean-Charles Arnaud en saisit un au hasard et montre au chef comment reconnaître un fromage de qualité : « Regardez la souplesse et l’élasticité de ce fromage ! Vous voyez cette vague qui se forme en surface, explique le fromager, on pourrait dire que c’est du marketing mais pas du tout ! Cela veut dire que la texture et la fabrication sont bonnes ».

 

Mont d’Or Fucker
L’occasion est trop belle pour Matthias de raconter comment il travaille en cuisine le Mont d’Or avec cette recette qui a figuré à la carte de Liquide, son bistrot parisien. « Je l’ai appelé, pardon pour la grossièreté, le “ Mont d’Or fucker ”, histoire de faire un peu de buzz ». Hilare, le fromager exige d’en savoir plus. « Parce que c’est un Mont d’Or coquin, c’est aussi un hommage à la soupe VGE de Paul Bocuse » rétorque Matthias Marc. Une recette gourmande à base de Mont d’Or, de dés de topinambours braisées, de truffes et d’échalotes déglacées au vin jaune. La boîte ainsi garnie est ensuite recouverte d’une pâte feuilletée et passée au four d’où le clin d’oeil à la soupe VGE. Enfin, devant le client à table, il faut faire un trou dans la pâte et déposer jus de volaille et la truffe râpée. « Il faut que je goûte, s’exclame Jean-Charles Arnaud, je n’ai jamais vu une recette pareille, ça me surprend et me donne envie. C’est une vraie fierté de voir les grands chefs magnifier ces fromages traditionnels fabriqués depuis des siècles ».

 

Après une heure de visite, il est enfin temps de passer à la dégustation. Un mont d’Or âgé de 25 jours environ trône sur la table et le maître des lieux, cuillère à la main, se lance. « Je vais l’attaquer un peu au centre mais ce qui est intéressant surtout sur les jeunes fromages c’est d’aller goûter au plus près de la sangle ». Avec les doigts, il en saisit un bout et le porte à la bouche. Verdict : « Ce n’est pas mal du tout ! Pour un fromage qui est très jeune, il a quand même une très belle onctuosité ! ». Au tour de Matthias de goûter. « C’est mon premier Mont d’Or de la saison, et après cette visite, il a une saveur encore plus particulière ! ». Le premier, certes, mais assurément pas le dernier.