Please ensure Javascript is enabled for purposes of website accessibility Ruffo Ibarra : nourrir la frontière américano-mexicaine | Sirha Food

Ruffo Ibarra : nourrir la frontière américano-mexicaine

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Ruffo Ibarra, membre de l'équipe mexicaine du Bocuse d’Or, raconte son travail avec This is About Humanity, à la frontière des deux pays.

Ruffo Ibarra est le chef du restaurant gastronomique Oryx, à Tijuana au Mexique. Membre de la délégation mexicaine du Bocuse d'Or, l'équipe a remporté le Bocuse d'Or Social Commitment Award, qui récompense à chaque finale, un projet humanitaire d'envergure. Depuis le début de sa carrière de chef, Ruffo Ibarra s'est associé à la World Central Kitchen qui a couvé le projet de Tijuana Sin Hambre, une fondation qui pourvoie repas et assistance humanitaire auprès des migrants de la frontière mexicano-américaine. Un travail colossal qui dure depuis des années et qui s'est complexifié, la zone de transit se densifiant de plus en plus. Entretien. 

À quel moment a démarré votre travail humanitaire ?

J'ai commencé lorsque j'étais très jeune. Je pense que c'est l'une des choses les plus importantes et c'est très inhérent à nos valeurs et notre culture. Ma mère travaillait avec beaucoup d'associations lorsqu'elle avait à peu près mon âge. C'est une graine qu'elle a planté dans ma jeunesse. Tout a vraiment démarré lorsque de grandes caravanes de migrants sont arrivées à Tijuana en essayant de traverser la frontière vers les États-Unis. Des gens d'Haïti étaient là, et la World Central Kitchen était déjà présente à l'époque. Ils cherchaient des chefs locaux pour faire des sandwichs et nourrir les gens qui affluaient, ce qu'ils font, ce que nous faisons toujours. J'ai tout de suite dit oui. Je faisais des sandwiches de 8h00 à 14h00 et je filais au restaurant car le service commençait à cette heure-là. Notre métier est de nourrir les gens, nous sommes dans le service et j'ai toujours pensé que ma mission était de servir. La nourriture est l'un des outils du service. Cela a changé ma vie.

Pouvons-nous parler plus spécifiquement de la naissance de Tijuana Sin Hambre, la branche humanitaire locale de la ville ? Comment tout cela s'articule ?

La fondation This is About Humanity, a activement collecté des fonds pour nourrir les gens sur place, à la frontière alors que la World Central Kitchen alimentait jusqu'ici les populations des abris, ici, à Tijuana. La WCK est si active à travers le monde qu'elle n'a pas pu continuer l'opération qui était alors en cours depuis environ 5 ans à Tijuana. Ainsi, Tijuana Sin Hambre a été imaginée et fondée par Maru Riqué et son mari. C'était un peu le ciment pour faire cette transition humanitaire et ne pas laisser tous ces refuges sans nourriture. Alors maintenant, This is About Humanity finance Tijuana Sin Hambre et abrite la cuisine offerte par la WCK. Elle sert dorénavant 2225 repas par jour pour différents refuges, en particulier pour les immigrés, la communauté LGBTQIA+, des enfants, dont la plupart sont séparés de leur famille. Ils font un excellent travail, très conséquent, lorsque l'on prend en compte la complexité politique de cette situation.


La question de la frontière est encore extrêmement délicate et prégnante.

Absolument, ce n'est pas facile d'aider et je comprends dorénavant les deux côtés. Je suis ce sujet depuis un moment maintenant et j'ai retenu beaucoup de choses. La plupart des gens qui arrivent ici sont des populations qui veulent agir pour eux-mêmes et pour leur famille. J'ai même discuté avec un gamin de 16 ans qui est arrivé ici tout seul, par ses propres moyens. Il a quitté sa famille pour essayer de leur venir en aide. Cette histoire n'est certainement pas la plus lourde. Vous absorbez tous ces récits : ces gens fuyant le danger, la violence. On parle de famine. Tout cela est à peine croyable.

L'insécurité alimentaire est grandissante autour du globe*, que ce soit bien évidemment au Mexique, aux Etats-Unis, mais aussi dans des régions ravagées par la guerre ou même le dérèglement climatique. Est-ce devenu encore plus complexe de nourrir autant de populations fragilisées ?

La frontière américano-mexicaine a l'un des plus grand flux de migrants au monde, c'est une énorme zone de transit et ce problème ne sera pas résolu de mon vivant. À ce jour, nous essayons de chercher d'autres options, notamment plus durables, afin d'éviter le gaspillage. À l'heure où nous parlons, nous travaillons avec l'ICF, le fonds international. L'idée est de regarder d'autres options avec les banques alimentaires, des épiceries et tous ces partenaires possibles qui nous épaulerons pour nous faciliter la tâche. Mais c'est toujours compliqué. Cela ne sera jamais facile de nourrir les gens. Je pense que cela devient plus complexe au fur et à mesure que nous avançons. La planète est surpeuplée, donc les ressources commencent à diminuer. On a commencé à 1000 repas/personne et cela a grimpé jusqu'à 2500. Chaque fois que nous accueillons une vague d'immigrants, cela affecte directement la quantité de nourriture que nous devons mettre à leur disposition et évidemment nos ressources diminuent, donc peut-être que les portions ne sont pas au niveau des besoins réels. Et quand vous nourrissez les gens à ce stade où ils ont faim, leur nutrition est en chute libre. Vous devez avant tout leur fournir les bons nutriments. Heureusement, This is About Humanity fait un excellent travail : ils opèrent des trajets, des tournées, de Los Angeles à Tijuana, ils font participer la plupart de leurs donateurs. Ils cuisinent toute la journée, visitent ensemble les camps, changent les tentes qui se trouvent dans un camp de réfugiés et surtout, ils écoutent des histoires, et à partir de là, ils peuvent avoir un aperçu de cette réalité.

* D'après le dernier rapport de l'ONU datant du 3 mai 2023, l'insécurité alimentaire aigüe dans le monde s'est nettement aggravée au fil des ans. Plus de 250 millions de personnes se trouveraient actuellement en état d'extrême sous-nutrition, le stade précédent la famine. Lire l'article du Monde sur le rapport de l'ONU, ici.

* Pour réecouter notre interview d'Elyssa Kaplan de la World Central Kitchen durant le Sirha Lyon 2023, c'est par ici.

Propos recueillis par Hannah Benayoun
Photo : Bocuse d'Or
et Barbara Zandoval (Unsplash)

 

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