Par Pomélo
À l’heure où l’on n’a jamais autant parlé de cuisines de diverses parties du monde, Asie, Moyen-Orient et Scandinavie en tête, finie la gastronomie française à l’étranger ? Au contraire : la French food connaît un regain d’attractivité depuis quelques années au-delà des frontières.
Si les fourchettes de Londres pouvaient parler, elles s’exprimeraient en partie… en français. C’est que la capitale anglaise a toujours entretenu des liens très étroits avec les assiettes de l’Hexagone. Ce sont des frenchies, Albert et Michel Roux, qui ont offert trois étoiles Michelin au Royaume-Uni pour la première fois de son histoire, en 1982 ( « Qui, avant les frères Roux, savait que les chefs avaient des noms ? » écrivait le quotidien Evening Standard en 2020). Plus loin encore, le grand Auguste Escoffier (1846-1935) - considéré comme l'inventeur du système de brigade dans les restaurants et le codificateur de la cuisine française à travers ses livres - y travailla trente ans. Il avait même une théorie sur le sujet, qu’il coucha sur papier dans Le Carnet d’Epicure, sa revue culinaire : « Aujourd'hui, comme autrefois, le maître incontesté de la cuisine française réside à l'étranger ; il en sera toujours ainsi d'ailleurs, car il importe de maintenir au-delà des frontières la suprématie de notre art national, il s'agit là d'une lutte pacifique et qui nécessite la présence constante du chef à la tête de ses vaillantes légions ». Ce n’est pas un hasard si cinq des six tables auréolées du Graal Michelin dans la ville sont tenues par des Français ou des Britanniques formés chez nous ou déroulant un menu valorisant notre savoir-faire.
Mais il n’y a pas que les grands restaurants, ce sont plutôt même les bistrots, bars à vins, rôtisseries et autres brasseries qui donnent le la aujourd’hui. Quand on consulte le site de référence Hot Dinners, qui répertorie les dernières ouvertures londoniennes, le constat est le même avec ces derniers mois l’inauguration de lieux répondant aux noms de Marjorie’s, Josephine, Boulebar, Mignonette, Marceline… Le co-fondateur de Marjorie’s, Michael Searle, indiquait au même média que l’endroit a été « complètement influencé par les bars à vins de Paris dans les arrondissements périphériques, où les jeunes chefs et restaurateurs travaillent dur pour montrer une touche contemporaine à la cuisine française ». On y sert notamment un rocher… farci de foie de volaille ou encore une tarte au crabe accompagnée d’une bisque de crabe. Chez Josephine, déjà deux adresses sorties de terre depuis mars 2024 - un vrai carton local - on mise sur l’esprit bouchon avec soufflé au camembert, carottes Vichy, lapin à la moutarde, nougat glacé (des intitulés que l’on peine à retrouver de l’autre côté de la Manche)… « Depuis la pandémie, les plus grandes ouvertures de restaurants à Londres ont un air résolument gaulois », signalait fin 2023 le célèbre Telegraph.
En discutant avec des journalistes culinaires et des restaurateurs installés à l’étranger, cette tendance s’expliquerait par plusieurs éléments à commencer par le fait que les clients des restaurants ne veulent plus prendre de risque à table. Or la cuisine française est non seulement très lisible mais également très réconfortante, un atout à l’heure où le monde est de plus en plus instable sur les plans politique et économique (« Josephine Bouchon est une main reposée légèrement sur votre dos, vous disant que tout ira bien », pouvait-on lire dans la critique publiée par le Guardian). Ces mêmes clients en ont assez des menus dégustation, ils veulent du choix et le répertoire de la France est on ne peut plus profond… Quant aux chefs de cuisine, parce qu’ils n’ont pas grandi avec le répertoire national ou parce qu’ils sont géographiquement loin, ils peuvent se permettre des choses qui feraient frémir des Marseillais ou des Bordelais, comme un excellent toast au beurre de persil et à la bolognaise d’escargots (restaurant Story Cellar) ou des moules marinières déposées sur une petite pizza aux bords gonflés (restaurant Maison François, où le serveur fait goûter une cuillère du tartare de boeuf commandé par la tablée pour que cette dernière confirme que c’est assaisonné à son goût).
Et il n’y a pas qu’à Londres que des ambassades hexagonales bis voient le jour. La brasserie Astoria, située à Stockholm, est un modèle du genre, et pas seulement pour son escalier central qui a fait parler en raison de son coût (500 000 euros). L’entrée choisie - des crudités - arrive sous une cloche d’argent dans une déco moitié rock, moitié Belle Époque. Ailleurs aussi, le French charm fait vendre, de New York (restaurant Le Veau d’Or) à Hong Kong (restaurant Jean-Pierre) en passant par Los Angeles (Bar Étoile), Singapour (Les Ducs) ou Toronto (Lucie). Des tables nées il y a moins d’un an, qui prouvent que la popote traditionnelle made in France a un bel avenir sous toutes les latitudes.