Le pain perdu : le plus antigaspi des desserts dévoyés ?

"Le pain perdu, c’est le dessert des pauvres" claironnait avec son accent du sud-ouest, Maïté, la célèbre cuisinière récemment disparue. En égrenant la liste des ingrédients devant la caméra en 1990, la pionnière des émissions culinaires à la télévision prenait la peine de préciser que c’était l’occasion d’utiliser du pain rassis de la veille pour ne pas "gâcher" car à cette époque, il est inconcevable de jeter du pain.  

Sans le savoir, en trempant ces tartines de pain sec dans un lait de poule, nos grands-mères avaient donc lancé la mode du "zéro déchet", cuisine économique dont l’art principal vise à accommoder les restes pour éviter le gaspillage. Aujourd’hui, cette philosophie est presque devenue la norme dans les restaurants, incarnée et portée par des chefs écoresponsables et citoyens qui cuisinent les poissons jusqu’aux arêtes et transforment les épluchures de légumes, auparavant destinées à la poubelle, en savoureux potages. 

Pas très étonnant donc dans ce contexte, que le pain perdu, à l’image vertueuse, revienne en force sur les cartes sucrées des bistrots aux côtés des iconiques desserts régressifs comme la crème caramel ou les profiteroles. Pourtant, ironie de l’histoire, le pain perdu n’a jamais aussi mal porté son nom et ses valeurs comme le talent de la "récup" et la simplicité assumée sont en voie de disparition ! Sur les menus, les mots "pain rassis " sont carrément bannis remplacés par celui de brioche, plus chic. Le pain perdu s’est embourgeoisé devenant riche et furieusement gourmand au point de crouler sous des avalanches de caramel, de pâte à tartiner, de crème fouettée, ou encore de glace. Maïté, elle, rajoutait juste un peu de sucre et une pointe de cannelle ; bref ce pain perdu de notre enfance se serait-il lui-même un peu "perdu" ?