De simple tendance a vrai mode de consommation, le sans gluten se fait un grain de bonté
Par Rémi Héluin
En s’inscrivant durablement dans le paysage des régimes alimentaires, les produits sans gluten ont déjoué les pronostics les annonçant comme de simples produits tendances. Non contents de proposer une alternative aux références à base de blé, ils offrent une vision « libre » du pain et de la pâtisserie, le tout en parvenant à convaincre sur le terrain du plaisir.
Et si, pour renforcer la consommation de produits sans gluten, il suffisait de les rendre désirables ? C’est la vision atypique de ce marché, dont les acteurs sont traditionnellement centrés sur des questions de santé, qu’ont développé Baptiste Borne et Giovanni Amico. Pour les deux associés, passés par l’univers du luxe (au sein du groupe LVMH notamment), concilier alimentation santé, farines alternatives et expérience clients s’est imposé comme une évidence. Ainsi est née la marque Copains Paris en 2021, tout d’abord au centre de la capitale, rue Tiquetonne. Depuis, leurs créations sans gluten, parfois végétales, se sont déployées dans 17 autres points de vente répartis entre Paris et Lyon -depuis cet été- avec de prochaines ouvertures prévues en dehors de l’hexagone, à Bruxelles.
Cette approche parvient à élargir le cercle des consommateurs de produits dépourvus de gluten au-delà des seuls cœliaques - qui représentent environ 1% de la population française et hypersensibles. En 2022, le baromètre réalisé par le média spécialiste du sujet Because Gus révélait que 8% de la population de l’Hexagone avait adopté un régime sans gluten. Cela implique qu’un Français sur quatre est concerné par le sujet, de par la présence d’un proche ayant adopté de telles habitudes alimentaires dans son entourage. Des chiffres à mettre en perspective avec la part des régimes végétarien ou vegan en France, qui se représentent respectivement que 5 et 3% des habitudes alimentaires sur notre territoire, selon une étude menée par Statista entre juillet 2023 et juin 2024. Pourtant, l’attention médiatique portée à la thématique du gluten est bien plus faible, ce qui limite la valorisation des innovations élaborées par les entreprises positionnées sur le segment. Pas de quoi cependant freiner l’enthousiasme des spécialistes, dont les produits garnissent les rayons des enseignes de grande distribution autant que des réseaux spécialisés Bio, qui demeurent les deux canaux majeurs pour cette typologie de produit. Selon une étude signée Euromonitor, le marché des produits sans gluten pourrait atteindre 28 milliards de dollars à l’échelle du globe d’ici à 2028, contre 24 milliards en 2024. Si l’inflation avait ralenti le développement de la filière, les efforts d’innovation déployés depuis ont permis de générer un regain d’intérêt chez les consommateurs.

(c) Chambelland
Des acteurs engagés à la manoeuvre pour défendre des filières intégrées
L’enjeu est en effet de renouveler en profondeur l’image des recettes sans gluten, parfois pointées du doigt pour les carences qu’elles peuvent provoquer, ou pour la présence d’additifs et texturants controversés. Pour y parvenir, certains misent sur une filière intégrée et une approche aussi artisanale qu’engagée. C’est le cas de Thomas Teffri-Chambelland et Nathaniel Doboin, à la tête de la maison Chambelland depuis mai 2014. La première boutique, implantée dans le 11è arrondissement parisien, est devenue au fil du temps un véritable lieu de vie où la culture du bien-manger se vit et se transmet au quotidien… en reposant sur l’appui solide du Moulin Chambelland, dédié à l’écrasement de farines de riz, sélectionné avec soin en Italie. Bâti en association avec le meunier Stéphane Pichard, l’outil permet de garantir absence de gluten et régularité du produit fini. Au-delà du pain, dont le format rectangulaire est devenu la signature de l’enseigne, ce sont des gammes sucrées et salées complètes qui s’offrent aux gourmands, avec des références adaptées aux différents besoins de chacun, y compris aux publics intolérants au lactose. On y retrouve ainsi l’expertise et la curiosité du biologiste Thomas Teffri-Chambelland, qui a exploré l’univers de la panification au levain naturel autant que des ingrédients sans gluten, avec la même exigence et la volonté d’offrir un produit aussi naturel que savoureux. Cette approche, il la partage avec la cheffe étoilée Nadia Sammut, à la tête de l’Auberge La Fenière. Elle-même atteinte de la maladie cœliaque, la cuisinière a imaginé, sous la marque Kom&Sal (reportage vidéo Sirha Food ici) , des recettes faisant la part belle au sarrasin, au riz de Camargue, au pois chiche ou encore à la châtaigne. Là encore, l’intégration d’un moulin fait partie du projet, avec la volonté de partager les produits auprès du plus grand nombre au travers d’une offre de farines, pain, biscuits et cakes proposée à l’univers du Food Service par le biais du distributeur Transgourmet.
Innover pour attirer et fidéliser
L’expertise de ces acteurs engagés permet aux boulangers-pâtissiers ainsi qu’aux opérateurs de la restauration hors foyer de répondre à une attente réelle de leur clientèle, même si les risques de contamination croisée demeurent forts dans les cuisines et laboratoires du fait de la volatilité du gluten. Si les références de pain sans gluten (ou plus exactement sans blé, puisque les traces de gluten sont inévitables dans un laboratoire travaillant une large diversité de céréales) sont présentes mais marginales en boulangerie traditionnelle, c’est du côté de la pâtisserie que les options adaptées aux régimes spécifiques se sont le plus développées. Matteo Deiana, fondateur de la jeune pâtisserie parisienne Giardino, a fait le choix de proposer une gamme 100% végétale mais également essentiellement sans gluten. « Nous mettons surtout en avant le caractère naturel de nos gâteaux, ainsi que le travail réalisé sur le sourcing des ingrédients. Nos clients apprécient cependant le fait que nos produits sont plus digestes et légers, par l’absence de lactose et également de gluten pour la plupart », précise le chef.

(c) Pepa Sion
Les plus sensibles font, quant à eux, le choix de rester fidèles aux spécialistes et aux industriels, par la sécurité qu’ils représentent. Reste cependant que l’offre demeure peu en phase aux attentes réelles de la clientèle. « En France, on ne répond pas aux attentes de nos consommateurs parce qu’on manque d’audace et qu’on n’ose pas proposer une offre, parce que, soi-disant, on n’aurait pas la demande », regrettait Fabrice Fy, co-dirigeant de Nature & Cie, dans les colonnes d’un dossier dédié au sans gluten au sein du magazine Bio Linéaires. L’exemple de nos voisins espagnols ou allemands devrait ainsi nous inspirer, puisque le marché s’y révèle bien plus dynamique grâce au volontarisme des acteurs. Il faudra donc miser sur des produits à l’équilibre nutritionnel mieux étudié, tout en offrant de plus fortes promesses sur le plan organoleptique… mais aussi s’ouvrir à des publics bien identifiés, à l’image des seniors, en travaillant des recettes spécifiques, et une communication ciblée. Des PME telles que Matatie tentent de s’imposer sur ces sujets. Spécialisée dans les gâteaux pour enfants, l’entreprise se distingue par forte capacité d’innovation et une capacité inédite à chasser les allergènes pouvant couper l’accès de leurs produits à une partie du public… allant jusqu’à séduire les adultes. En répondant aux enjeux de santé de chacun et en misant sur le goût, le sans gluten pourrait devenir alors synonyme d’un plaisir libre et fédérateur.