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YNSECT : manifeste d'un producteur d'insectes

Antoine Hubert : « On a besoin de déclics et d’exemples, créer des entreprises et catalyser le changement »

Le 04 février 2022

Antoine Hubert a fondé Ynsect, l'incontournable entreprise qui transforme les insectes en composés notamment pour la nutrition animale. Aujourd'hui, il parle de son engagement dans un passionnant manifeste.

Antoine Hubert a fondé Ynsect, l'incontournable entreprise qui transforme les insectes en composés notamment pour la nutrition animale. Aujourd'hui, il parle de son engagement dans un passionnant manifeste.

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Ynsect est l'incontournable entreprise. Fondée en 2011, la start-up s'est concentrée sur la transformation de Ténébrions meuniers - des scarabées - en protéines destinées à la nutrition animale et également aux végétaux. Depuis, elle n'a fait que tutoyer les sommets : levée de fonds impressionnante de 500 millions de dollars, élévation d'une ferme verticale à Amiens, créatrice d'emplois et pourvoyeuse d'une nouvelle façon d'alimenter les animaux, Ynsect est avant tout une histoire de conviction, longtemps mûrie par Antoine Hubert, son fondateur. Comme une entreprise ne fait pas tout, il a souhaité expliqué le fil de cette réflexion, militante, scientifique et enfin entrepreneuriale. Derrière Ynsect, une innovation destinée aux grands changements de ces prochaines années : mieux nourrir, mieux consommer mais surtout, mieux produire. Rencontre. 

 

Avant toute chose, il est intéressant de souligner qu’avant la création d’Ynsect, vous aviez davantage la fibre militante qu'entrepreneuriale. Quelle plume avez-vous prise pour votre manifeste ? Premier auteur, scientifique, PDG ?

Ce livre a été écrit à quatre mains avec Laurent Vaultier. Je l’ai pensé comme une personne engagée à titre personnel, je fais quelque chose qui me plaît dans mon travail, et que j’espère utile, c’est tout. 

Vous avez tout d’abord évité l’écueil du langage trop scientifique dans votre ouvrage, ce qui permet de comprendre vraiment comment fonctionne votre entreprise. Il y a même des termes que vous utilisez pour expliquer son fonctionnement, votre méthode d’élevage et vous conservez un langage séculaire : l’étable, le champ, la grange… Vous ne craigniez pas de faire grincer des dents le monde agricole ?

Les insectes font partie d’une filière traditionnelle. Les routes de la soie de Marco Polo et celles de Xi Jinping aujourd’hui, montrent que c’est une agriculture millénaire. Pour le rendre aliment, il faut créer la technologie qui va avec les volumes nécessaires et même parler de compétitivité. Je suis convaincu que la diversité est utile. Une agriculture, très paysanne, qui ne miserait que sur de la main d’œuvre à très petite échelle ne conviendrait pas non plus pour les grands enjeux actuels tels que le climat et la surproduction. C’est une question d’équilibre, c’est complémentaire. Il y a tellement de choses qu’il faut changer au niveau de l’agriculture intensive, la monoculture, l’utilisation de pesticides… Nous discutons avec toutes les autres grandes filières, l’agro-alimentaire, les syndicats agricoles, je pense qu’ils voient les insectes de manière positive. Nous allons offrir de nouveaux débouchés pour certains agriculteurs pour nourrir nos insectes et amener de nouveaux produits qui vont changer les pratiques et en aider certains à être plus alignés avec les objectifs de la COP21, que ce soit pour les engrais bio, les aliments qui évitent les imports de protéines de poisson… 

L’alimentaire se nourrit aujourd’hui de mode, de tendances. Les insectes ne sont donc pas nouveaux, mais votre prochaine étape est de pouvoir nourrir les hommes. Comment arriver à convaincre que les insectes ne sont pas qu’une alternative protéinée de dernière minute mais tout simplement un aliment de meilleure qualité, comme vous l’expliquez dans votre manifeste ?

C’est une qualité équivalente à une protéine animale, du point de vue de la digestibilité, par exemple. Cela reste très nouveau en termes de développement, mais nous sommes convaincus que dans la décennie qui arrive, on va transformer l’essai. On ne dit pas que cela va devenir une révolution, mais que cela peut devenir 10% de notre chiffre d’affaires dans les dix prochaines années, ili faut d'abord que cela devienne un produit réellement mis sur le marché et qui a des vrais arguments, aussi nutritionnel que le lait en protéines animales, et au niveau santé, un produit qui a des bénéfices. Nous avons beaucoup de connaissances scientifiques, aujourd’hui, comment valorise-t-on cela dans un discours commercial, une bonne communication, les bons canaux, les réseaux sociaux, le marketing autour des marques pour les clients, bien promouvoir les produits. On va pouvoir faire entrer ces produits dans une normalité car ils sont sains, bons pour l’environnement. 

Dans le manifeste, vous expliquez bien l’apport des insectes que vous utilisez, leur portée future. Il faut le rappeler, vous avez levé 500 millions de dollars en un temps record. Vous avez évoqué le tabou de l’argent, la levée de fonds dans l’agro-alimentaire et la santé… Pensez-vous qu’une entreprise comme la vôtre peut rassurer, lever ce tabou et débloquer l’innovation dans notre pays ?

J’espère, on y contribuera. On a besoin de déclics et d’exemples, à la fois pour créer des entreprises et catalyser le changement. Les scientifiques font des constats, il y a un vrai effet « Don’t look up » actuellement. Il faut persévérer, convaincre, déployer beaucoup de capital pour ces changements. Le pays officialise France 2030 lancé en octobre par le Président et c’est de l’investissement massif sur le développement d’une nouvelle filière industrielle qui répond aux enjeux actuels, notamment climatiques, la relocalisation de la production et derrière le ré-enrichissement de la France et in fine, des emplois et de meilleurs services publics.

Vous l’exprimez clairement, cette nouvelle industrie est aussi un nouveau « tout ». Réconcilier l’associatif et l’entreprise, la créativité et le pragmatisme scientifique… Ce verbe est un fil conducteur de votre ouvrage. Est-ce que ces concepts s’opposent encore trop à l’heure où nous parlons ?

Effectivement, ils sont toujours en opposition. À l’heure actuelle, des médias, des réseaux sociaux, il y a ce besoin de rapidité, de simplification, tout va vite. Alors que le monde gagne en complexification, on l’a simplifié en utilisant du pétrole pour concevoir des tonnes d’énergie, des pesticides en agriculture, « je simplifie donc je gagne en productivité ». Cela a enrichi de personnes déjà riches, et sorti effectivement des milliards de gens de la pauvreté dans la dernière décennie, donc on ne peut nier l’aspect positif sur le sociétal. Sauf qu’aujourd’hui nous devons être absolument multicritères. Il faut dorénavant assumer que c’est complexe, mais pas compliqué. Cela demande une rigueur, pédagogique, on ne fait pas des choix sur un ou deux critères, c’est ici qu’intervient l’éducation. Cependant, en ce moment, nous sommes dans l’ère des réseaux sociaux, des télés en continu, nous restons dans l’immédiat, une info simple et pas plus. 

Ynsect, votre entreprise, est dans «  une automatisation du vivant », vous « mimez la nature » dans sa mécanique de production. Vous expliquez finalement que l’on ne fera jamais mieux que la nature ? 

Si on parle d’insectes, on parle de 500 millions d’années d’évolution, il faut donc être humble là-dessus. C’est un équilibre, l’une des valeurs de notre entreprise. Tout est équilibre : le vivant est un équilibre entre le sociétal et l’animal, le climat et les espèces. Finalement cela fera 12 000 ans que nous vivons dans un climat stable et là, nous vivons un retour vers une instabilité réelle. 

Nous parlions de cet effet « Don’t Look Up », qui n’est finalement qu’une redite de ce que les scientifiques martèlent depuis des années. Une entreprise comme Ynsect se doit être bien entourée, vous êtes scientifique vous-même. Est-ce que votre modèle en a inspiré d’autres ?

Il y en a beaucoup qui se sont lancés dans les insectes, et bien d’autres sujets. Certains font de la production locale de crevettes en France pour éviter de déforester les mangroves en Asie, d’autres m’ont contacté pour partager les difficultés, les erreurs faites. Encore une fois, il faut plus d’entrepreneurs. Nous sommes ravis de faire partie des Next 40 en tant que seule entreprise agroalimentaire et entreprise à impact. On espère aussi qu’il y aura de l’industrie dans ces prochaines années car sans l’industrie on ne pourra pas y arriver. On ne travaille actuellement que sur le mode de consommation mais il faut revoir la production. Un chiffre m’a marqué : entre 1982 et aujourd’hui, il y a eu autant d’émissions de gaz à effet de serre que depuis le début de l’humanité jusqu’à cette année-là. Il y a quarante ans, nous avons amorcé la désindustrialisation de la France grâce aux exportations vers la Chine, et bien sûr, loin de nos yeux, l’impact de la sous-traitance, les pertes d’emplois, les prix qui ont également augmenté, des services ont été impactés… Les usines fermées ont bien sûr mis au chômage diverses populations qui avaient émigré pour trouver du travail chez nous. On y revient, mais nous disposons actuellement de moins de quarante ans pour retrouver un meilleur équilibre. Est-ce que l’on ne parlerait pas de « Nouvelles Trente Glorieuses », depuis cette crise sanitaire ? On peut s’inspirer de Jean Monnet et tous ceux qui ont investi massivement dans un nouveau modèle, et dorénavant à l’échelle mondiale, nous devons le faire et en trente ans maximum. 

 

La foodtech est donc cette carte à jouer ?

Absolument, l’alimentation est majeure. On ne parle plus vraiment de l’énergie. Évidemment que l’énergie est importante et qu’il faut sortir du fossile, il n’y pas vraiment de débat là-dessus, il faut continuer le nucléaire à court terme, mais il faut du renouvelable, de l’investissement. Cependant l’agriculture représente le deuxième contributeur de gaz à effet de serre avec le méthane et le protoxyde d’azote… On culpabilise énormément les gens car ils prennent l’avion (à peine 1 Français sur 3 utilise ce mode de transport, ndlr), mais l’avion représente à peine 2 à 3% d’émissions alors que l’agriculture va plus vers les 15, 20%. Réfléchir à sa consommation de viande et aider l’agriculture à quitter les pesticides et les produits chimiques, c’est concret. 

Dans ce « plan Marshall » des prochaines années que vous imaginez, la pédagogie du consommateur n’est-elle pas le principal investissement, l’enjeu des entrepreneurs ?

Absolument et aussi changer les modes de production, il y a beaucoup de grands groupes qui ont fait du lobbying pour reporter la culpabilité sur le consommateur. L’offre doit massivement changer et la sobriété doit suivre, moins consommer, se déplacer également de manière raisonnée autant que possible. Il faut essayer d’être un peu plus éclairé dans ses choix, écouter les scientifiques, suivre un schéma systémique suffisamment simple pour être compris de tous, sans utiliser des raccourcis en se flagellant. 


Propos recueillis par Hannah Benayoun
 

Pour une écologie positive : Manifeste d'un producteur d'insectes
Antoine Hubert. Propos recueillis par Laurent Vaultier

Au milieu des aquoibonistes, des pessimistes, des culpabilisateurs en tout genre, il est une posture définitivement optimiste et positive : celle des entrepreneurs qui peuvent changer le monde en apportant les innovations nécessaires aux grands défis de notre temps.En 2011, Antoine Hubert créait Ÿ nsect, entreprise pionnière dans la production et la transformation d’insectes, pour contribuer à nourrir les 9 milliards d’humains qui peupleront la planète en 2050 tout en préservant l’environnement. Dix ans plus tard, Ÿnsect fait partie des leaders technologiques mondiaux et affiche un bilan écologiquement durable.Sans idéalisme béat ni tabous, mû par des convictions écologiques et sociales fortes, Antoine Hubert propose, à travers l’aventure Ÿnsect, un nouveau modèle d’entreprise qui réconcilie économie et sauvegarde de la planète en mettant la technologie au service de la nature.

Essai paru le 02/02/2022, aux Éditions Autrement, 17,50€