Please ensure Javascript is enabled for purposes of website accessibility Laura Colagreco, tête chercheuse du Mirazur*** | Sirha Food

Laura Colagreco, tête chercheuse du Mirazur***

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Par Pomélo

(c) Coline Ciais-Soulhat & Florent Parisi pour Le Mirazur

Au côté de son frère, le chef Mauro Colagreco, l’Argentine est à la barre du Mirazur***, table consacrée meilleure du monde en 2019 par le classement 50 Best. Fait rare pour un restaurant, l’adresse s’est constituée, au fil du temps, une équipe entièrement consacrée aux activités de recherche et de développement. En plus de sa fonction de responsable de la direction éditoriale et artistique du lieu, Laura Colagreco en fait partie intégrante. Elle nous raconte.

 

Pourquoi avoir initié la création dune équipe consacrée à la recherche et au développement au sein même du restaurant ?

Laura Colagreco : « La recherche et le développement ont toujours eu une grande place au sein du restaurant. Quand, en 2006, Mauro a quitté Paris pour Menton, il sest rendu compte qu’il ne pouvait pas ouvrir un restaurant ici, dans les Alpes-Maritimes, avec des recettes imaginées à Paris. Il a immédiatement compris qu’il devait aller à la rencontre de ce nouveau territoire, de son histoire, de ses champs, de ses producteurs, etc… Si cette démarche le guide depuis qu’il a emménagé dans la région, elle sest consolidée juste avant le confinement, quand on a décidé de mettre en place un espace totalement dédié à la recherche, avec une cuisine séparée de celles du restaurant. »

Quels types de profils composent cette équipe de R&D ?

LC : « Au Mirazur***, on tient à ce que la recherche ne reste pas enfermée entre les quatre murs de la cuisine. En dautres termes, on essaie toujours d’aller bien au-delà de laspect purement technique, ce qui suppose avant tout d’adopter une approche pluridisciplinaire. Cest pourquoi on s’est entouré de profils divers et variés : des cuisiniers, des étudiants, un jardinier, un ethnobotaniste, une archéo-anthropologue…le tout sous la houlette dun coordinateur d’équipe. Parmi eux, certains ne se consacrent qu’à la recherche et au développement, tandis que d’autres interviennent plus ponctuellement. »

Et votre frère, Mauro Colagreco, dans tout ça ?

LC : « Il est à l’initiative de la création de l’équipe et il suit nos activités de très près, notamment par le biais de réunions périodiques. L’occasion de lui présenter nos pistes, nos réflexions, nos avancées… Pendant ces rencontres, cest à lui de nous faire part des points qu’il aimerait que lon approfondisse, de nous orienter vers les axes de travail qui lintéressent. Puis il nous fait totalement confiance. Mauro a, par exemple, été à linitiative dun gros travail de recherches autour des agrumes, entamé lannée dernière et toujours dactualité. Une idée que lui a inspirée la fête du Citron de Menton, pendant laquelle nous proposons un menu entièrement dédié aux agrumes. »

Qui d’autre peut entrer dans ce processus de recherche et de développement ?

LC : « Au-delà de l’équipe et de Mauro, on s’est vite rendu compte qu’il était essentiel d’organiser des échanges réguliers avec la salle et la sommellerie, pour leur rendre compte de nos avancées. C’est vraiment primordial qu’ils soient au fait de notre travail car, après tout, ce sont eux qui font le lien avec les convives, ce sont eux qui rendent compte de tout le travail qui est fait dans l’ombre. »

En quoi consiste votre travail de recherches ?

LC : « Il faut bien comprendre que ce qui va orienter l’ensemble de nos recherches, c’est la question de la durabilité. Ce n’est pas une fin en soi, mais un fil rouge qui nous guide constamment. Il nous semble impossible de respecter la nature environnante et ses cycles sans connaître parfaitement le territoire qui nous entoure. Ainsi, une grande partie de nos recherches se concentre sur l’écosystème de la région, lequel est particulièrement riche, ce qui explique dailleurs qu’il sagisse ici de la seule zone de toute lEurope occidentale a avoir été occupée en continue par la vie humaine depuis la Préhistoire. »

 

À quel genre d’avancées ont abouti vos recherches ?

LC : « Tout près du restaurant, on a la chance de compter deux grands sites archéologiques. Dans la continuité de ce que je viens d’expliquer, on sy est intéressé dernièrement pour essayer de comprendre, par le prisme de lalimentation, comment a évolué la biodiversité de ces lieux à travers le temps. On a par exemple découvert que certaines variétés de plantes, comme le millet et le chenopodyum, résistaient mieux que dautres aux changements climatiques grâce à leur photosynthèse particulière. Dans le contexte environnemental que l’on connaît, on a cru bon dintroduire quelques-unes de ces espèces anciennes et résilientes dans nos jardins. »

Avez-vous des exemples encore plus concrets ?

LC : « Bien sûr. Via ces sites archéologiques, on sest aussi penché sur la manière dont les Hommes se sont alimentés à travers lHistoire. En ce sens, des analyses de sol sur le site archéologique de Terra Amata, aux pentes du Mont Boron, à Nice, ont été réalisées pour essayer de savoir ce que brûlaient les Hommes à l’époque sur ces terres. On s’est alors rendu compte qu’il y avait des traces de posidonies [des herbes marines à ne pas confondre avec des algues, ndlr], aujourd’hui menacées. Il s’avère qu’elles étaient utilisées autrefois pour fumer et conserver les viandes. Cette découverte a inspiré un des plats signatures de Mauro : un pigeon laissé mariné avec de la posidonie pendant une semaine, puis fumé et cuit dans un beurre d'algues et posidonies. Cest également comme ça qu’on a découvert l’étendue des techniques de conservation d’antan, telle que la fermentation, dont nous nous servons énormément au restaurant, tant pour son intérêt gustatif qu’antigaspi. D’ailleurs, nous avons travaillé à la conception d’un menu historique, qui serait une forme de synthèse des résultats de nos recherches sur le sujet… Affaire à suivre. »

 

C’est dans cette démarche antigaspi que le chef lançait l’an dernier sa gamme d’épicerie fine ?

LC : « Exactement ! Par le biais de nos recherches sur les fermentations, on a abattu un gros travail autour des vinaigres. Jusqu’à créer une cave à vinaigres dédiée au sein du restaurant. Elle se compose d’une multitude de vinaigres auxquels on a ajouté des produits issus de nos terres qu’on ne voulait surtout pas jeter, comme du sureau, des poires, des prunes ou encore des kakis. Ces condiments vinaigrés nous sont autant utiles en cuisine que pour la confection de boissons non-alcoolisées, par exemple. C’est grâce à tout cela qu’a germé l’idée de développer, en parallèle du restaurant, une partie épicerie fine, afin d’utiliser nos produits dans leur entièreté. En 2024, la marque Noyau est née à l’initiative de Mauro, dans l’idée d’utiliser au maximum les surplus de nos terres. Aujourd’hui, la gamme se compose de vinaigres, de confitures (mandarine, orange amère, pomelo), de miel et d’huile d’olive. »

Vous êtes également à l’origine d’une marque de kombuchas. Pouvez-vous nous en dire plus ?

LC : « Oui, tout à fait. Juste avant le confinement, Mauro m’avait fait part de sa volonté d’approfondir l’offre de boissons non-alcoolisées que l’on proposait au restaurant. Nous avons alors fait beaucoup de recherches, de concert avec la sommellerie, autour des plantes sauvages du terroir pour essayer de développer des boissons fermentées. Pendant les confinements successifs qui ont suivis, j’ai pu travailler sur les kombuchas, les kéfirs et les pétillants naturels à base de produits issus majoritairement de notre verger. Au moment de la réouverture, Mauro a souhaité servir certaines de ces boissons aux clients. Au fil du temps, la sommellerie a même développé des accords mets et boissons non-alcoolisées. Parallèlement, j’ai créé ma marque de boissons vivantes dénommée Kruda, qu’on peut retrouver en épicerie fine et en restaurant, à Paris et dans la région. »