A Paris, la gastronomie espagnole fait un tapas
Par Pomélo
(c) Mickael Bandassak pour Casa Pregonda
371. C’est le nombre de jours avant que la superstar de la chanson espagnole Rosalía n’ait fini par rendre visite à Tom Aymerich, co-fondateur du Café Cortado. Posé au 31 de la rue Charlot, dans le quartier du Marais (3ème arrondissement), ce coffee shop d’inspiration hispanique et son équipe n’attendaient qu’elle – preuve en est le tee-shirt affichant « Day n°… waiting for Rosalia en Cortado », disponible sur l’e-shop du café (39 €) et régulièrement exhibé sur son compte Instagram aux presque 42 000 abonnés.
Mixant habilement piliers du coffee shop (lattes en tous genres mais aussi cookies et carrot cakes) et spécialités espagnoles (bocadillos, pan con tomate, boquerones…), le lieu, inauguré au début de l’été 2024, a récemment investi le trottoir d’en face où se déploie désormais Cantina Cortado, son double « tapassonomique », dixit le journaliste gastronomique Emmanuel Rubin dans les colonnes du Figaro. Cinq jours sur sept pour la première et tous les jours pour le second, cantine et café font salle comble. Signe de l’engouement récent du public parisien pour la popote ibérique, une gastronomie un peu snobée jusqu’alors.
Bernard Boutboul, président de Gira, cabinet de conseil dans le domaine de la restauration, s’étonne d’ailleurs que l’aïoli ne commence à prendre que maintenant. « Si la capitale regorge de restaurants italiens, la cuisine espagnole a toujours eu du mal à se faire une place dans le paysage parisien », analyse-t-il. Et de poursuivre : « J’ignore pourquoi, mais à Paris, les gens ont toujours eu tendance à préférer les classiques planches de charcuterie et de fromage, les mezze ou encore les antipasti plutôt que les tapas ». Reste que la toute-puissance des assiettes à partager, désormais formule courante dans la plupart des restaurants de milieu de gamme, pourrait bien changer la donne.
Comme souvent, tout commence post-covid, quand le 20ème arrondissement de la ville voit fleurir Amagat. Inspiré des bodegas et tavernes du nord de l’Espagne, l’affaire trouve immédiatement son public auprès des gastronomes et gens dans le vent. Au programme : anchois de Cantabrie, patatas bravas, croquetas et autres totems de la gastronomie espagnole à partager, servis dans des assiettes griffées « Amagat », aussi photogéniques que leur contenu. Pendant quelques temps, l’adresse restera en situation de quasi-monopole en matière de cuisine ibérique à la sauce parisienne. Jusqu’à récemment.
Avant le boom, le frémissement
« On parle plutôt d’un frémissement que d’une explosion de la tendance. Les signaux sont encore assez faibles », tempère Bernard Boutboul. Reste que les ouvertures d’adresses affichant des influences hispaniques vont bon train depuis le début de l’année. Dès janvier, le restaurateur Toufik Seddik lançait Buenas (10ème arrondissement) sur ce modèle, histoire de rendre hommage à la cuisine espagnole, « qui n’est pas du tout mise en valeur en France », confiait-il en mars au journal Le Monde.
En juin, c’était cette fois au tour de Casa Pregonda (2ème arrondissement) de voir le jour à l’initiative du trio formé par Valentine Dubois, Nicolas Hoyet – tous les deux à la direction artistique – et le chef Alexandre Giesbert (déjà à l’origine du restaurant Daroco). Une ode à la cuisine minorquine chère à tout ce beau monde, qui prend la forme d’une trentaine de propositions, à partager ou non. Comme ce riz à l’encre de seiche surmonté de carabineros (sorte de gambas de couleur rouge vif) et de pointes d’aïoli. Mais également ces tortillas ultra-crémeuses déclinées en trois recettes plus ou moins traditionnelles (aïoli et poivron confit ; mayonnaise pimentón, txistorra ; crème crue, caviar osciètre). Ou encore la gilda, un pintxo consistant en une petite pique garnie d’une olive, d’un anchois et de petits piments verts, par ailleurs à la carte de beaucoup de tables et bars branchés ces derniers temps (Cravan, Le Canard Sauvage, Mesures, etc.).
Même constat s’agissant du cheesecake brûlé, cet emblème de la gastronomie basque, très en vogue dernièrement. « Tout a commencé au restaurant La Viña, à San Sebastian, où est née la recette dans les années 1990. On le reconnaît depuis à son allure très instagrammable et à son goût intense, plus profond que celui du cheesecake américain, grâce à sa croûte brulée et à son cœur riche mais moins sucré », détaille Frédéric Adida, conseiller marketing en pâtisserie. Adoré des Japonais, le cheesecake basque est plus dégusté que jamais dans la capitale, où il se voit, du reste, largement décliné : aux épices chaï chez Grave (3ème arrondissement), au sésame noir et au matcha chez Hoso (4ème arrondissement) et au Café Shin (1er arrondissement) – trois établissements ouverts entre l’été 2024 et septembre dernier. Une preuve de plus qu’à Paris, les gastronomes se mettent petit à petit à demander un ticket pour l’Espagne.