Le jambon-beurre, premier de la classe-croûte
Par Rémi Héluin
Une demi-baguette, une tranche de jambon et une généreuse quantité de beurre, trois ingrédients suffisent pour croquer dans un bout de la culture culinaire française. Le sandwich jambon-beurre fait partie des propositions emblématiques de la pause déjeuner tricolore… mais perd désormais du terrain face à des options plus modernes et diversifiées, répondant mieux aux nouvelles attentes des consommateurs.
Les Français ont-ils fini de casser la croûte ? L’expression populaire faisait directement référence au pain croustillant qui était un marqueur central de l’identité de la boulangerie bleu-blanc-rouge. Désormais, les produits moelleux viennent concurrencer de manière frontale les sandwichs réalisés à partir de baguette : burgers, clubs, ou même tacos et wraps, le mou n’a de cesse de faire recette. Néanmoins, les options historiques de l’offre salée des boulangers résistent grâce à leur caractère accessible. Selon Bernard Boutboul, fondateur de Gira Conseil, la consommation de sandwichs, tous circuits confondus, a passé en 2024 la barre des 3 milliards d’unités sur le territoire.
Le jambon-beurre représente, à lui seul, 65% des volumes. En ajoutant le mixte (jambon-fromage) et le poulet-crudités, on atteint même 80% des sandwichs consommés, ce qui correspond à la part de marché de la baguette. L’inflation a cependant rebattu les cartes : ce produit, jadis proposé aux alentours de 3 euros, a vu son prix grimper de près de 30% en l’espace de trois ans, dépassant désormais de façon fréquente les 4 euros. Au-delà de la question économique, c’est le sujet de la qualité qui a souvent contribué à détourner durablement les consommateurs de cette option : entre produit manquant de fraicheur ou jambon trop rose pour être honnête (le débat portant sur la nocivité des nitrites a durablement altéré la confiance du public envers la charcuterie), les raisons de se tourner vers d’autres options n’ont pas manqué.
Jambon artisanal, beurre sélectionné… vers un « jambon-beurre » de luxe ?
La solution la plus pertinente pour relancer l’attrait du jambon-beurre serait-il la montée en gamme ? Les artisans boulangers n’hésitent plus à mettre en avant la qualité de la matière première. Chez Tranché, qui compte trois adresses à Paris et Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), le « Petit prince » accueille en son sein un jambon au torchon origine France, sans sel nitrité ajouté, tranché en chiffonnade… tandis que les sandwicheries deviennent de véritables ambassades du « name-dropping », à l’image BBT (le Bon, le Beurre et le Truand) et ses trois implantations dans la capitale, où le jambon de la famille Mauriac est roi, ou de Ficelle (Paris 10è) qui associe un pain signé par le Meilleur Ouvrier de France Frédéric Lalos à du beurre Beillevaire. Certains avaient même tenté de dédier au jambon-beurre un véritable temple : à Montpellier (Hérault), JB & Co proposait un concept monomaniaque autour de la recette, déclinée avec plusieurs jambons. Visiblement insuffisant pour garantir la pérennité économique du lieu, qui fermera ses portes à peine deux ans après son ouverture. Plus globalement, cette logique de « premiumisiation » pose question face aux arbitrages des consommateurs à la suite de l’inflation, ces derniers ayant tendance à réduire le montant de leurs paniers et à privilégier les options plus économiques.

© Boulangerie Feuillette
Pour séduire les nouvelles générations, le jambon-beurre pourrait bien devenir protéiforme et se réinventer en s’éloignant de ses codes traditionnels. Si les puristes regretteront l’abandon de la baguette, la Gen Z - habituée depuis sa jeunesse aux pains moelleux - plébiscitera autant les qualités de conservation du produit - la croûte n’étant plus appelée à ramollir ! - que la douceur de l’ensemble. On le voit ainsi décliné dans des pains régionaux, comme la moricette (un dérivé du bretzel, en forme longue) ou d’autres pains du monde. Chez Feuillette, la Focaccia jambon-beurre a intégré la carte printemps-été 2025. La douceur du pain à l’huile d’olive, subtilement relevé de graines de fenouil, contribue à donner à l’ensemble un côté suave et une nouvelle dimension au produit. Avec la promesse de faire rayonner, encore longtemps, une recette iconique et certainement pas mourante.