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César Troisgros :

« Le respect c'est aussi une question de transmission »

Le 07 octobre 2020

César Troisgros porte l'héritage d'une lignée dans son art, sa cuisine. Une identité plurielle et affirmée, imprégnée d'inspirations diverses et d'engagement.

César Troisgros porte l'héritage d'une lignée dans son art, sa cuisine. Une identité plurielle et affirmée, imprégnée d'inspirations diverses et d'engagement.

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Vous avez pu exposer votre cuisine au public, quel sentiment cela provoque chez vous, le jugement, l’observation ?

C’est un exercice très enrichissant. Parler de son travail est toujours complexe, la plupart des clients que l’on peut avoir chez nous sont enchantés, il n’y a pas le besoin de les séduire, ici, c’est une opération de démonstration, de conviction, cela remue l’esprit et c’est passionnant. La communication, expliquer ce que l’on fait est une part importante de notre métier et ce n’est pas toujours simple.

Vous avez grandi, évolué dans un patrimoine gastronomique gigantesque, la transmission, vous connaissez, est-ce un défi pour vous d’ouvrir ce sujet à celles et ceux qui souhaitent la découvrir ?

Nous avons beaucoup de messages à transmettre, aucune leçon à donner. Notre responsabilité en tant que cuisinier est de nourrir l’autre. Manger reste la prolongation de la vie, prolonger la vie, c’est notre devoir premier et aussi faire rêver, donner du plaisir, c’est toujours intéressant de venir séduire un public, mais jamais facile.

Vous l’avez évoqué, comment se nourrir, s’alimenter ou prendre soin de soi sont autant de sujets qui méritent d’être développés. Vous êtes connu pour vos engagements, avez-vous resserré le spectre sur certains sujets ?

La crise n’a pas été un électrochoc pour nous, nous avons continué ce que l’on avait entamé. Travailler sur les idées, la création, pendant le confinement, je n’y arrivais pas. Je n’étais pas sur mon lieu, sans mes outils, sans nos équipes, sans nos tiroirs « intellectuels » que l’on ouvre pour créer. On retrouvait le plaisir de cuisiner chez soi, mais ce n’était pas une période propice à la création.

Vous faites intervenir l’art dans vos créations, la couleur, notamment dans votre performance sur scène, comment équilibrez-vous cela avec la charpente culinaire ?

La charpente est familiale, cérébrale, c’est énormément de travail pour construire cette identité qui est très sincère. C’est l’aboutissement de cette cuisine qui est aussi Troisgros, celle de Michel, César, Léo mon frère, l’héritage, les voyages, les remises en question… La charpente, c’est ne pas se poser de limites, on essaie de pousser une cuisine plus simple, qui se satisfait dans la pureté d’un lieu, d’une architecture, d’une assiette ou d’un goût. On est incapable de dire quelle cuisine nous produirons demain, elle sera le fruit de la nôtre et un petit quelque chose en plus. Cela influence notre travail de manière plus ou moins inconsciente, sans que cela soit une ligne de conduite. Mon grand-père disait toujours : « Méfiez-vous du cinéma en cuisine ». 

On a senti une vraie imprégnation sur scène, c’était une performance. Quelles sont vos inspirations, des peintures, des lectures ?

Beaucoup de choses nous ont inspirées, L’Escargot (Henri Matisse, 1953), Mark Rothko, la peinture aussi classique. François Vogel a créé trois petits films qui sont très inspirants, enchanteurs, en déformant le temps tout en jouant avec les images, il créé des univers, presque enfantins. Il y a énormément de choses dans l’art et surtout la collaboration avec les artistes, dans cet échange, comment ceux-ci perçoivent les choses. François était fasciné par le monde de la cuisine et a pu voir avec son œil d’artiste ce que l’on ne voyait pas. La tarte à la sauce, il voyait Narcisse, c’était évident ! Il nous faut rencontrer d’autres gens pour nous aider à percevoir des choses différentes, au-delà de la cuisine. 

La cuisine est synonyme de performance, de perfection, a-t-elle peut être perdu de sa fraîcheur, de son âme d’enfant de sa gourmandise ?

La technique ne passe jamais au premier plan, bien sûr elle est importante, elle existe pour parvenir à construire des plats délicieux, savoir cuisiner, elle est la base de notre métier et il faut une vie pour tout connaître. Cependant, un « show off » de techniques n’est pas ce qui nous importe, jamais le point de départ d’un plat. Avec mon père, nous cuisinons des filets de sole meunière depuis quinze jours, et on cherche ce qui arrive lorsque l’on farine ou pas, dans telle poêle, on ne sait rien et lorsque l’on souhaite exprimer quelque chose de simple, il faut explorer toutes les pistes, on se rend compte que l’on apprend. Il faut de l’humilité, jamais croire que l’on sait. Croire que l’on ne sait rien. J’ai la chance d’avoir un père qui me transmet cette attitude dans l’hospitalité, dans l’humilité du travail quotidien, nous sommes des cuisiniers, pour faire plaisir et travailler dans le bien-être et l’intelligence et le respect, car le métier souffre beaucoup de cela aujourd’hui.

C’est une nouvelle priorité, apporter cette sérénité dans les cuisines ?

C’est une priorité de toujours, un défi d’avenir, car ce n’est pas suffisant. On se rend compte que le métier est inconfortable pour beaucoup, il faut trouver des solutions pour continuer de faire ce que l’on fait. Le plaisir de faire ce métier, avoir des entreprises qui fonctionnent, mais amener un confort supplémentaire à appliquer à soi et ses collaborateurs. Ce sont des questions qui auraient dues être posées il y a trente ans, c’est aussi générationnel. Le respect des hommes, des femmes, de la terre, des produits, c’est un tout et c’est aussi une question de transmission. Je reste heureux que nos parents nous transmettent ce bonheur de vivre, de faire plaisir. 

Entretien réalisé lors du festival Omnivore le 13 septembre 2020

Hannah Benayoun