Please ensure Javascript is enabled for purposes of website accessibility Les 8 recettes d’Omnivore pour une jeune cuisine : 20 ans et pas une ride | Sirha Food

Les 8 recettes d’Omnivore pour une jeune cuisine : 20 ans et pas une ride

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« Les huit recettes qui suivent ne sont qu'une modeste trame à un débat qui ne fait que commencer. À vous, cuisiniers, vignerons, producteurs, de nous aider à inventer la suite.

C’est ce qu’écrivait Omnivore dans sa première publication, un modeste journal de douze pages format berlinois, en papier glacé tout de même, en octobre 2003. Vingt ans ont passé, sans coller une ride à la pertinence des mots. Seules les incarnations du propos ont été « actualisées » ici.

1. Je cuisine ce que je suis

« Je pense donc je suis. » Rien de bien nouveau, n'est-ce pas ? Mais, s'il y a lieu de le rappeler, c’est qu'on rencontre encore de bien vilains travers, dans nos cuisines. Le plagiat, les leçons mal digérées, la feuille de basilic qu'on frit parce que le voisin en fait autant, la tentative d'imiter Pierre Gagnaire afin de se faire passer pour un chef intelligent... Peu importe que la pensée soit avant-gardiste ou qu'elle aille au contraire puiser dans la mémoire de nos grimoires. Peu importe qu'elle s'exprime à travers le registre ultra-chic ou le registre populaire : elle est simplement l'expression singulière d'une culture, d'une histoire personnelle. Qui suis-je ? Qu'est-ce que je veux dire ? Comment faire en sorte que ma cuisine me ressemble ? Peu importe que je travaille le homard breton ou la sardine fraîche si, par-là, je transmets de mon identité. De fait, une cuisine personnelle a forcément de la personnalité. Et dès lors, choisir une voie, c'est tenter de s'y tenir. L'essentiel, c'est la cuisine d'auteur, personnelle, sincère et engagée.

2003 >> Jetez un œil chez ... Olivier Roellinger, à Cancale, pour l'expression parfaite de la Bretagne bretonnante, avec ce supplément d'âme qui fait la différence. Mais également Jean-Paul Abadie, à Lorient, Roland Chanliaud, à Beaune ...
2023 >> Sébastien Tantot à Saint-Jean-aux-Bois ou la paix intérieure, Jérôme Jaegle à Kaysersberg ou la symbiose avec un terroir, Alexandre Gauthier à Montreuil-sur-Mer, ou comment marquer un territoire… 

2. J'investis l'espace

« On ne va pas au restaurant pour manger les rideaux » ? Voire… Si tout le monde n'a pas les moyens de faire du Michel Bras, il s'agit de passer au moins une fois à Laguiole pour comprendre l'adéquation totale d'une cuisine, d'un homme, d'une terre et d'un lieu. Son espace restaurant découle de sa cuisine, se met en adéquation avec elle. Quand dans la « vraie vie », loin des cuisines, on se meuble Ikea, que le design investit chaque parcelle de notre quotidien, peut-on continuer à manger dans des décors ringards, hors d'âge, qui stratifient moquette à grosse boucle, laiton brossé et compositions florales aussi gaies qu'un jour de Toussaint ? Non, il faut utiliser le stylisme au quotidien, présent dans n'importe quel journal de décoration venu. Feuilletez, humez un air du temps qui transpire, qui va vers l'épure, le béton, la forme nette, le fauteuil galbé, les nouvelles matières. Sous l'ère de Starck, où il semble difficile de nager à contre-courant, il ne s'agit pas de suivre une modernité béate mais de faire résonance avec l'époque. On peut aimer encore les 2 CV, mais il est bien plus simple de faire Paris-Marseille en Mini Cooper.

2003 >> Jetez un œil à ... La Maison Borie de Manuel Viron (Lyon), un trait d'union spectaculaire entre XIXet XXIe siècle. Mais aussi la Maison du Fleuve, de Jean-Marie Amat (décédé en mars 2018, ndlr), Le Jardin des Sens des frères Pourcel à Montpellier.
2023 >> Florent Pietravalle à la Mirande, Avignon ; Cyril Attrazic dans l’Aubrac lozérien ; Diego Delbecq et Camille Pailleau dans leur Rozò à Marcq-en-Barœul… 

3. Je détends l’atmosphère

« Et pour madame, ce sera… » Une assiette de souplesse, un bol d'humour, une louche de décontraction et la grande assiette de spontanéité. Souvent, encore trop souvent, le service joue la répulsion, l'air compassé, cette bonne vieille rigidité qui semble se transmettre dans les meilleures écoles hôtelières. Or, manger, c'est aussi s'amuser. Avoir envie de détente, de se faire gentiment chouchouter. On cherche aussi, surtout, au-delà des salamalecs, des passeurs, des relais d'opinion. Des hommes et des femmes capables de véhiculer parfaitement la passion de l'homme qui cuisine. Ces hommes et femmes de la salle doivent avoir l'intelligence tactique du client, savoir comment parler à qui, et pourquoi. Manger, c'est aussi une rencontre. Que le client n'a pas forcément à provoquer. On doit aussi l'inciter à faire le premier pas de la détente, de l'oubli, le conduire vers un état de bonheur proche de celui qui accompagne la dégustation d'un bon vin. Tout cela nécessite de renouer avec la notion de « maison » où l'envie d'être bien, détendu, heureux prime sur l'acte social, la convenance et la rigueur qui va avec. C'est à ce prix qu'une nouvelle clientèle poussera la porte des restaurants français.

2003 >> Jetez un œil sur ... Toutes les équipes de Ducasse, évidemment soigneusement calibrées, mais qui permettent, du Palace-Plaza à l'auberge Iparla, de se sentir bien, en confiance. Leçon d'aisance, de professionnalisme.
2023 >> Aux Terrasses, d’Amandine et Jean-Michel Carrette, à Tournus ; au Prince Noir de Vivien Durand, à Lormont… 


4. Je fédère un réseau

Pourquoi chercher loin, ce qui, souvent se trouve au coin de la rue ? Producteurs de légumes, vignerons, éleveurs : ils constituent la base, le socle sans lequel une cuisine ne peut se développer. La concentration des modes de vente – même espace, mêmes têtes de gondole – a entraîné une standardisation, un éclatement de ce couple cuisinier-producteur. Ce qui semble être sur l'instant une économie de temps et d'argent – je trouve sur un même lieu à n'importe quelle heure tous les produits, je paie hors taxe –, entraîne forcément une perte de la proximité, de la connivence avec un producteur et donc avec le produit. Il s'agit de tisser à nouveau ou de renforcer ces liens : à long terme, on ne peut imaginer qu'un cuisinier ne fasse pas ses courses. Être au cul du camion permet de contrôler, de négocier et d'établir cette relation de proximité sans laquelle il n'y a pas de cuisine.

2003>> Jetez un œil chez..Nicolas Vagnon, La table de Lucullus, à Paris (disparu des radars après son exil sur l’île d’Yeu, ndlr) : il connaît aussi bien son fournisseur de poisson de l'île d 'Yeu que son producteur de viande ou de légumes.
2023>> Florent Ladeyn, dans le Nord ; Sébastien Porquet à Eaucourt-sur-Somme ; Alexandre Couillon à Noirmoutier…

5. J'apprends du vin

La cuisine a tout à gagner à mieux connaître la vigne, à aller au contact de ces nouveaux vignerons qui, depuis dix ans, portent un regard critique sur leur métier, modifient leurs modes de production pour livrer la mémoire la plus pure d’un sol, l'expression la plus précise d'une culture. Ces hommes et ces femmes-là vont droit au but, à la recherche d'un vin idéal, en parfaite osmose entre ce qu'ils pensent et ce qui pousse. Un cuisinier qui aime le vin et rencontre les vignerons ne cherche pas seulement à proposer une cave riche à ses clients : il témoigne aussi d'une sensibilité à des démarches qui rejoignent la sienne, l'épaulent, la complètent. À tel point que la carte des vins dit aujourd'hui autant que celles des mets.

2023 >> Jetez un œil... chez Gilles Choukroun dont la très courte carte résume à elle seule tout un pan de la viticulture moderne.
2023 >> Passerini et Passerina, à Paris…

6. Je vais voir là-bas si j’y suis

Bocuse, Troisgros, Senderens ... À la grande époque de la Nouvelle cuisine, les plus grands noms sont allés faire leur pèlerinage à l’étranger pour porter la bonne parole… et en ramener le meilleur. Aujourd'hui l'enjeu n'est plus le même : il faut savoir comment les autres mangent pour aller au-devant de la mondialisation et savoir faire fi du protectionnisme pour développer sa propre culture. La question n'est pas de savoir s'il faut combattre la mondialisation, mais comment se l'approprier. Paradoxalement, il faut la considérer comme une chance, un formidable vecteur des cuisines et des idées. Pour peu qu'on joue le jeu, qu'on serve l'identité de certains produits tricolores sans pour autant se refuser à connaître le shiso. Car la mondialisation fonctionne dans les deux sens. Quand on accueille 70 millions de touristes, on se doit aussi de mieux les connaître, pour mieux les servir et proposer de témoigner d'une cuisine vivante, quitte à se réapproprier le wasabi après avoir découvert le parmesan. 

2003 >> Jetez un œil chez… Michel Troigros, à Roanne, qui a su trouver le point d'équilibre parfait entre les viandes de race charolaise et le wasabi.
2023 >> William Ledeuil, à Paris ; Adrien Ferrand et Gallien Emery, Brigade du Tigre à Paris…

7. Je soude une équipe

Certes, rien n'est fait pour aider : la baisse de la TVA (repoussée aux calendes grecques ?) qui aurait pu aider à mieux payer les salariés, le poids des charges sociales, les taux d'intérêts et les banquiers peu amènes… Mais il faut s'interroger sur le fort turn over de certaines équipes quand d'autres, à santé financière égale, sont stables depuis des années. La fidélisation par la motivation, la fierté de travailler dans un établissement où le commis, le serveur et le chef de partie se trouvent liés dans un même objectif, une même communauté d'esprit. Ça n'est pas simple, ça paraît bête, mais les meilleures réussites s'appuient sur cette capacité à construire, fédérer et faire avancer une même équipe.

2003>>Jetez un œil chez… Yves Camdeborde, à la Régalade à Paris, dont l'équipe, inchangée depuis une dizaine d'années, vient d'évoluer sans heurts.
2023>>Éric Guérin et ses piafs à la Mare aux Oiseaux en Brière

8. Je ne suis pas dupe des honneurs

Cuisiner pour soi : ce devrait être le point de départ de toute démarche de chef. C'est la meilleure manière de ne pas tricher avec sa clientèle, de lui proposer le meilleur de ce que l'on est. En résumé, ça n'est qu'en dernière instance qu'il faut chercher à voir ce travail reconnu par la presse, les guides et les critiques. Il ne s'agit évidemment pas de nier leur utilité - toute critique est saine quand elle crée un espace de réflexion sur soi, son travail, ses éventuelles certitudes -, leur influence. Il s'agit simplement de ne pas les survaloriser, de ne pas agir en fonction de ce qu'on pourrait imaginer être leur réponse ou leur regard. Il n'y a rien de pire qu'une cuisine qui se fige dans la note, qui tourne sur elle­-même comme une étoile.

2003>>Jetez un œil chez… Gilles Choukroun (encore lui) qui a su quitter le chemin tout tracé (et déjà étoilé) pour suivre sa propre voie.
2023>> Sébastien Bras ; allez voir Alexis Decoret à Vichy, où il imprime sa patte sous l’œil expert de Jacques

 

Luc Dubanchet/Audrey Vacher

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