Des fromages difficiles voire impossibles à écouler, du lait en surproduction et le report d’achat sur des fromages industriels… Le confinement n’épargne pas non plus la production laitière et from
Les plus touchés ? Les producteurs fermiers, tels les éleveurs, producteurs, bergers et fromagers rencontrés lors de nos reportages pour le dossier du dernier Foodbook. Nous les avons rappelés pour prendre des nouvelles fraîches.
« Dès la première semaine de confinement, et même un peu avant, les consommateurs ont changé leurs habitudes d’achat : en faisant beaucoup de stocks de “première nécessité” et surtout, en se détournant des fromages qualitatifs », explique Michel Lacoste, président du Conseil national des appellations d’origine laitières (CNAOL). (Ndlr : comportement faisant les affaires des industriels, tels Lactalis, Sodiaal, etc.) « Il y a ensuite eu la fermeture de la restauration collective, puis l’interdiction des marchés, enfin beaucoup de rayons de supermarchés ont aussi fermé leurs stands de fromages à la coupe faute de personnels », ajoute-t-il. Selon le dernier bilan, les acteurs de la filière laitière pour les AOP (Appellation d’origine protégée) et IGP (Indication géographique protégée) auraient subi une perte sèche de 60% au niveau des ventes. Chez certains producteurs fermiers, privés de débouchés, la perte serait totale.
Une des premières mesures de la filière a été de demander une diminution de la production laitière. En plein pic de lactation et de transformation fromagère. Les acteurs de la filière se sont accordés sur une baisse de production de 10% par rapport à l’année 2019.
«Chacun fait comme il peut»
À Accous, dans la vallée d’Aspe, Marion Orissini vend généralement à cette période de l’année une petite partie de son lait à la coopérative et fabrique ses ossau-iraty avec le reste, avant de partir en estive 4 mois avec son troupeau. Elle raconte : « Il y a beaucoup de producteurs de lait qui sont en stress : certains jettent du lait, d’autres font du fromage en blanc, c’est-à-dire qu’ils mettent les tommes blanches sous vide pour les affiner plus tard, d’autres encore tarissent les brebis donc les nourrissent de façon moins riche pour diminuer leur lactation plus tôt. Bref, chacun fait comme il peut…»
Pour cette productrice qui vend majoritairement ses divins fromages aux laiteries et dont les deux gros salons à Marseille et Rambouillet ont été annulés, les débouchés sont rares en ce moment. Marion stocke beaucoup de fromages dans son saloir en espérant que les commandes reprennent bientôt et que le goût du fermier revienne aux consommateurs. « On leur transmet en ce moment un message de peur alors les gens se rassurent sur les fromages pasteurisés et emballés ! Il faut leur dire que manger du fromage fermier, c’est bon pour l’immunité et pour la solidarité. »
« Les plus touchées se sont les petites structures, les PME, les fermiers… », abonde Michel Lacoste. « Les grands groupes, comme Lactalis et Sodiaal, ont fermé certaines de leurs fromageries et arrêté de produire les fromages, mais ils ont toujours la capacité de collecter le lait, de payer les éleveurs et le transforment autrement : râpés, yaourts, poudres de lait, etc. » Et il est vrai qu’on est davantage inquiets pour les reins des artisans, beaucoup moins solides que ceux des multinationales de l’agro-alimentaire.
Pour Gilles et Geneviève, producteurs d’ossau-iraty fermier à Herrère dans le Béarn, la situation est pour le moment plutôt bonne. « On a la chance d’avoir toujours travaillé en direct, c’est ce qui nous sauve. Quand tu passes par des intermédiaires, tu es emmerdé », résume Gilles, pragmatique. Les deux marchés où ils vendent leurs fromages ont vite rouvert et les clients continuent à acheter. Reste pour lui aussi le problème du stockage et un avenir un peu flou : « Nous utilisons le saloir collectif et il est hyper plein en ce moment. Les laiteries ayant diminué leur volume de ramassage de lait, des producteurs ont augmenté leurs volumes de fabrication et d’autres qui ne fabriquaient pas s’y sont mis. Il va y avoir beaucoup de fromages sur le marché. »
#Fromagissons
Pour l’instant le CNAOL estime à 2000 tonnes le surstock de fromages AOP et IGP, 10% ont été donnés à des associations ou des hôpitaux, 35% vendus à bas coût à des marchés secondaires et 5% ont été détruits. Il reste encore 1000 tonnes à écouler rapidement. À moyen terme, soit dans 1 ou 2 mois, ce chiffre pourrait monter à 5000 tonnes. Le CNAOL, en partenariat avec la Fédération nationale des producteurs de lait la Fédération nationale ovine et la Fédération nationale des éleveurs de chèvres vient de fonder le collectif « Soutenons nos fromages, nos terroirs et nos producteurs », constitué de 60 personnalités de la société civile, afin d’alerter et de tenter de trouver des solutions au gâchis alimentaire en cours, avec un hardi #fromagissons.
En attendant, Gilles, Genevieve et Marion n’ont qu’une hâte : partir en transhumance dans la montagne puis en estive avec leurs bêtes pour fabriquer leurs fromages si singuliers, fabriqués avec du sens dans une période qui en est dénuée.
Le sens, Marie-Anne Corniou y réfléchit beaucoup sur ses collines. La juriste devenue bergère gardait depuis quelques semaines les chèvres de Magali et Luc Falcot à Cuges-les-Pins quand le couperet est tombé. « Juste après les mises bas, au moment où elles ont un max de lait, aussi parce que les jours rallongent et que la végétation explose. » Pas question de les confiner, d’autant que Luc et Magali ont eu la chance de ne pas être abandonnés par leurs clients en vente directe, s’organisant pour regrouper les commandes, et l’intelligence de se rapprocher des fromagers-affineurs marseillais, compensant largement les pertes liées à la fermeture des marchés. Une capacité à se réinventer comme on dit, au rythme du vivant, peut-être…
Manque le lien social au fil des troupeaux qui nous avait tant enthousiasmé au début de cette drôle d’année. À Marseille, la Ferme pédagogique de la Tour des pins a fermé ses portes aux minots comme aux fans des fromages de Marie Maurage, tandis qu’à Bagnolet Gilles Amar, face à ce «hold-up du printemps», a dû se résigner à un appel aux dons pour nourrir ces bêtes qui n’arrêtent pas de naître. Parce que le vivant n’attend pas.
Zazie Tavitian et Amélie Riberolle