Please ensure Javascript is enabled for purposes of website accessibility Pourquoi les artisans du pain peinent à s’emballer pour le réemploi | Sirha Food

Pourquoi les artisans du pain peinent à s’emballer pour le réemploi

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Texte par Rémi Héluin

Photo de couverture par Karolina Grabowska

Depuis début 2023, la filière restauration rapide a été contrainte d’adopter massivement la vaisselle réemployable, du fait de la mise en œuvre de dispositions liées à la loi dite AGEC (Anti-Gaspillage pour une Economie Circulaire). Si ces dispositions ont touché une partie des boulangers, du fait de la configuration de leurs établissements, la filière peine encore à modifier ses pratiques, la faute à certaines spécificités et des contraintes opérationnelles. 

En début d’année, l’écocontribution due par les artisans au titre de la mise en marché de produits emballés, permettant de traiter leur fin de vie (collecte, tri, recyclage, …), a généré une vive polémique. Pourtant, le principe pollueur-payeur n’est pas nouveau. Son nom exact ? Responsabilité élargie du producteur, ou REP. Cette obligation a été introduite dans le code de l’environnement dès 1993. Elle s’est vue renforcée par l’article 62 de la loi AGEC, qui contraint les entreprises soumises à la REP de disposer d’un numéro d’identifiant unique (IDU) délivré par l’ADEME (l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), devant être repris sur les documents contractuels et conditions générales de vente. Baguettes, croissants, sandwiches… autant de produits remis avec un emballage. Au lieu de réaliser un fastidieux comptage de ces supports, Adelphe, l’un des organismes chargés de collecter l’écocontribution, propose depuis le 1er janvier 2025 de réaliser une déclaration simplifiée des emballages ménagers distribués en 2024. Elle se base sur le nombre de passages en caisse réalisés, à raison de 0,0075€ pour chaque unité.  

La pause déjeuner se met au vert… avec de nouvelles contraintes 

A l’aide de l’application Vytal, les clients peuvent utiliser des contenants réutilisables et les ramener chez l’un des commerçants partenaires sous 14 jours. A Paris, des entrepreneurs engagés tels que les Frères Blavette (Paris 14è) ou la Pâtisserie Emma Duvéré (Paris 11è) ont adopté le dispositif.
© Vytal

Malgré la pression économique de l’emballage, rares sont les artisans ayant fait le choix de se tourner vers des emballages réemployables. A l’inverse de leurs confrères du secteur de la restauration rapide, l’essentiel des boulangeries françaises compte moins de 20 places assises, ce qui les dispense d’adopter assiettes, verres et couverts durables. Pour les établissements de plus grande taille, à l’image des réseaux de boulangerie disposant de larges espaces de consommation, l’obligation peut s’avérer complexe à gérer. L’essence même de leur activité est différente des spécialistes du burger, de la pizza ou encore du poulet frit : à l’inverse de ces derniers, la boulangerie est un métier de vitrine, où les produits sont préparés en amont… ce qui implique de pré-emballer certaines typologies de produits. Quelques mois après la mise en œuvre de la nouvelle réglementation, Jean-François Feuillette, à la tête de l’enseigne éponyme, témoignait de la complexité du sujet lors d’une réunion du Cercle d’études de la boulangerie-pâtisserie (CEBP) : « À l’inverse d’une enseigne de restauration rapide classique, nous ne pouvons pas connaitre le mode de consommation au moment de produire nos salades et plats chauds. Cela nous a contraints à adopter des contenants en plastique rigide, y compris pour la vente à emporter, dont le coût est supérieur. La quasi-totalité ne revient jamais, et pour ceux réemployés, le lavage les dégrade rapidement ». Pas de quoi décourager les artisans les plus engagés, à l’image des Frères Blavette, installés dans le 14è arrondissement parisien. Ce duo de boulangers a fait de la démarche écoresponsable sa signature, avec une démarche zéro déchet structurée. Non seulement les clients peuvent amener leurs propres contenants, mais un système de consigne « caution » a été déployé en partenariat avec la start-up Vytal. Plats du jour, salades et cafés à emporter peuvent ainsi être dégustés dans un emballage réemployable, qui doit être retourné dans l’un des commerces partenaires de Vytal sous 14 jours, sinon quoi la caution est encaissée. A la clé : 30 centimes d’économie sur chaque produit pour le client. Côté entreprise, le coût est de 25 centimes par utilisation, ce qui est inférieur au prix d’un emballage à usage unique. 

Côté pains et gâteaux, l’emballage n’a pas (encore) changé d’âge 

Pour séduire une clientèle engagée et soucieuse des sujets environnementaux, la marque Les Extra-ordinaires a développé plusieurs formats de sacs à pain 100% lin, fabriqués en Anjou. Des emballages durables, solides et élégants qui sont désormais disponibles à la vente dans plusieurs boulangeries partenaires.
© Les Extra-ordinaires 

Pour amplifier la dynamique visant à limiter le volume de contenants jetables, l’enjeu est de dépasser le seul instant du déjeuner… et de questionner les pratiques entourant le pain, la viennoiserie ou encore la pâtisserie. Des initiatives visant à proposer des boîtes à gâteau lavables ont vu le jour… mais peinent à se déployer et à fédérer la clientèle, comme en témoigne la cessation d’activité en 2024 de MadameZeFrench, à l’origine du pionnier du genre baptisé BentOgatO. La plus faible récurrence d’achat pour ce type de gourmandises sucrées, comparé à la restauration, représente un frein naturel à l’adoption de telles pratiques. Le pain, quant à lui, fait partie du quotidien… mais le retour des sacs à tissu dédiés à son transport s’avère tout aussi complexe. L’habitude du sachet en papier offert semble quasi-inattaquable… à moins d’œuvrer, là encore, sur la variable économique. La carte de fidélité « écoresponsable » pourrait être l’un des outils les plus efficaces pour mener la transition. A Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), la Maison Malécot a mis en œuvre avec succès un tel dispositif, comme en témoigne son co-fondateur Giovanni Malécot : « Plus de la moitié de notre clientèle, environ 60% plus précisément, réutilise ses emballages ou utilise des sacs en tissu » Le secret ? Un fonctionnement simple : à chaque visite avec un emballage réemployé ou réemployable, le client voit sa carte tamponnée. Une fois celle-ci remplie, un produit est offert. S'engager dans une approche responsable peut ainsi créer du lien et permettre de se différencier dans un environnement toujours plus concurrentiel… ce qui pourrait amener toujours plus d’artisans à s’emballer pour le réemploi.