Avec ou sans labels : la boulangerie en étiquette de renouveau
Par Rémi Héluin
Bio, Label Rouge, CRC… depuis le début des années 2000, les labels qualité s’étaient multipliés dans la filière blé-farine-pain, tout autant que sur le reste des produits de grande consommation. Pourtant, plusieurs de ces outils devant recréer de la confiance chez le client final sont aujourd’hui à la peine. Entre incidents climatiques, manque de notoriété ou logiques économiques chez les transformateurs, ces marques ne vivent plus la belle vie.
Et si, pour l’artisan boulanger, le meilleur label était simplement son nom et la relation entretenue avec son client ? La question se pose au sein d’une filière bousculée par la concurrence et l’inflation, qui pousse les professionnels à questionner leurs approvisionnements. Les labels devaient permettre de se différencier et d’attester un engagement au service d’une approche responsable… mais ils peinent à convaincre les consommateurs, tandis que leur multiplication nuit à leur compréhension.
L’Agriculture Biologique aura été la première à observer une chute de ses volumes de consommation, liée notamment aux arbitrages liés à l’inflation, ainsi qu’à une perte de confiance dans une partie de l’opinion. Depuis 2021, les volumes de production de farine labellisée Bio ont chuté, passant de 155 à 139 milliers de tonnes l’an passé.
Dans le même temps, le Label Rouge s’est offert le luxe de continuer à progresser, affichant en 2024 un niveau inédit de 267 milliers de tonnes de farine écrasées, contre 185 quatre ans plus tôt. Ces deux labels bénéficient un ancrage historique fort, qui leur permet de disposer d’une notoriété à même d’intéresser les transformateurs. En 2020, une étude réalisée par Quantitude pour LSA montrait ainsi que le Label Rouge bénéficiait de 92% de notoriété assistée, tandis que le Bio atteignait 53%. Au-delà de la nécessité d’être reconnus, ces indicateurs de qualité doivent bénéficier d’un fort taux de confiance pour avoir un impact durable sur les actes d’achat. La même étude dévoilait que le Label Rouge demeurait l’un des champions du genre, avec 74% de confiance, loin devant le Bio, atteignant 62%. C’est sur cette confiance qu’a voulu capitaliser le Club le Boulanger, qui a développé en 2002 la Bagatelle, seule baguette de Tradition Française certifiée Label Rouge du marché. 180 artisans sont aujourd’hui habilités à fabriquer le produit.
Une culture raisonnée entre tension climatique et ambitions de développement

La force du Label Rouge ou du Bio est également de se déployer sur des milliers de références alimentaires, et pas uniquement sur les produits liés au pain ou aux céréales. La Filière CRC® -pour Culture Raisonnée Contrôlée-, née en 2000, a fait depuis le début le pari d’exister en restant centrée sur ce périmètre, avec des pratiques favorables à la biodiversité et un recours strictement limité aux pesticides. Une stratégie couronnée de succès, puisque ses volumes de production n’ont cessé de croître jusqu’en 2023, atteignant 620 milliers de tonnes de blé récoltées et 504 milliers de tonnes de farine produites. « Grâce à de fortes garanties de moyens et de résultats sur la sécurité alimentaire et la qualité des céréales, la Filière CRC® a été très attractive ces dernières années, et de nombreux membres nous ont rejoint », se réjouit Marc Bonnet, directeur général de la Filière CRC®, qui représente 10% des volumes de blé français destinés à l’alimentation humaine. La campagne 2024 s’est cependant révélée particulièrement complexe, avec un surplus de pluviométrie nuisant gravement aux cultures et diminuant drastiquement les volumes récoltés. Le réseau de boulangeries Ange, fidèle à la démarche depuis sa création, a été contrainte de basculer vers du blé conventionnel en l’absence de matière première pour répondre à ses besoins. « Les volumes finalement récoltés en blé CRC® ne suffisent pas à couvrir les besoins prévisionnels de l'année et nous sommes ainsi contraints de basculer momentanément sur une farine de blé français conventionnel de qualité équivalente, mais non certifiée, jusqu'à la nouvelle récolte de cet été », a affiché l’enseigne au sein de ses points de vente au printemps 2025. Une nouvelle récolte fraichement moissonnée, apportant avec elle un retour à la sérénité pour la démarche : « La nouvelle campagne devrait avoisiner les 500 milliers de tonnes de blé CRC® récoltés, pour 90 000 hectares de terres cultivés. Cela nous permettra d’approvisionner l’ensemble des acteurs du marché », annonce Marc Bonnet. En plus des aléas climatiques, la filière doit composer avec la fidélité relative de ses partenaires. Récemment, le distributeur Auchan a annoncé mettre fin au partenariat entretenu depuis 2018 avec le CRC®, sans apporter plus de précisions sur les raisons ayant mené à ce retournement stratégique. Au total, ce sont près de 3% des volumes du CRC®, soit 15 000 tonnes par an, qui sont concernés. « Les acteurs de la grande distribution ont été soumis à une augmentation générale des coûts, et ils ont fait tampon lors de cette conjoncture. Cela les amène à réaliser des arbitrages », observe le dirigeant. L’enjeu est désormais de parvenir à consolider les acquis de la démarche, tout en s’ouvrant à de nouveaux partenariats afin de gagner en visibilité : « Passé le choc de ne pas être en mesure d’approvisionner l’ensemble de nos partenaires, nous devons reconstruire des liens plus forts avec nos adhérents et nous recentrer sur nos fondamentaux pour ensuite repartir de l’avant » En clair, la Filière CRC® doit parvenir à grandir tout en restant fidèle à ses valeurs… pour gagner une reconnaissance durable du public, laquelle est encore limitée de par la relative jeunesse de la marque.
Parler prix et rémunération pour initier un changement durable, le pari Agri-Ethique

© Agri-Ethique
Les labels centrés sur les sujets agricoles affichent une complémentarité réelle avec des démarches traitant les aspects économiques. C’est le cas d’Agri-Ethique France, qui revendiquait en 2024 une croissance de 75% de son chiffre d’affaires sur l’ensemble du périmètre désormais couvert par le label. Développé en 2013 par la coopérative Cavac, le dispositif, qui défend un « commerce équitable nord/nord » et des contrats pluriannuels d’au moins trois ans, s’est d’abord déployé sur la filière blé-farine-pain, avant de s’étendre progressivement sur 56 autres activités, allant des légumes aux produits laitiers en passant par la viande ou les œufs. La structure s’est imposée comme tiers de confiance et véritable valeur refuge… tout en étant capable de faire évoluer son modèle à la suite de la crise traversée en 2023, avec une envolée des cours du blé. La clé de son succès serait-elle autant la diversification, augmentant mécaniquement la notoriété, que le positionnement sur le sujet économique, éminemment central pour les acteurs de l’amont à l’aval ? « Chez Agri-Éthique, on ne parle pas seulement de consommation responsable, on parle de stabilité financière et de vision long terme. Nos contrats sécurisent les revenus, structurent les filières et permettent aux agriculteurs comme aux marques de se projeter », explique Ludovic Brindejonc, Directeur d’Agri-Éthique. Une précieuse sérénité alors que les cours mondiaux sont toujours plus volatiles, avec le risque réel d’imposer aux agriculteurs des prix insuffisamment rémunérateurs. Reste cependant à convaincre plus largement le monde de la boulangerie : en dehors de quelques meuniers, industriels et réseaux de boulangerie (Minoterie Girardeau, La Boulangère, Ange ou L’Atelier Papilles), seuls près de 500 indépendants ont rejoint le dispositif. « On est en passe d’atteindre le milliard d’euros, preuve qu’un modèle équitable, clair et engagé peut devenir un standard. C’est notre conviction : une filière durable commence par un cadre clair et équitable. Agri-Éthique est devenue une réponse systémique aux enjeux de valeur, de production, et de consommation », veut croire Ludovic Brindejonc.
En marge de ces mouvements, une nouvelle génération d’artisans se déploie désormais en boulangerie, portant une attention toute particulière à la qualité de ses ingrédients… sans revendiquer en boutique un attachement à un quelconque label. Une logique qui trouve son origine dans une volonté d’émancipation et de maîtrise totale de son image, ce qui est impossible dès lors que l’on partage une marque avec d’autres acteurs. A Lyon, Antoinette (quatre boulangeries) utilise essentiellement des farines issues de l’Agriculture Biologique, sans que cela ne soit devenu un argument de vente. Une autre façon de faire vivre les labels et un engagement vis à vis d’une approche durable de la boulangerie… et un nouveau défi pour les filières vertueuses, qui devront savoir vivre une belle vie sans étiquette.