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Boulangerie et nutrition : pour continuer de faire recette, le secteur adapte les siennes

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Par Rémi Héluin

Les injonctions portées dans le sens du développement d’une alimentation plus responsable sont toujours plus nombreuses, et la boulangerie n’y fait pas exception. Sel, sucre, teneur en fibres, suppression des ingrédients controversés… les chantiers sont nombreux pour inventer une approche de la gourmandise plus respectueuse de la santé humaine.  

Pour sauver le pain, faudra-t-il le transformer en profondeur ? C’est la conviction du nutritionniste ancien directeur de recherche à l’Inrae Christian Rémésy, qui a consacré un ouvrage justement baptisé « Sauver le pain » au sujet. Cette parution poursuit le travail de cet infatigable défenseur des farines de légumineuses et références complètes ou semi-complètes. La voie tracée semble semée d’embuches : réintroduire massivement du pain au levain naturel, diversifier les incorporations de graines, développer la compréhension des filières allant du grain au pain, porter l’information nutritionnelle en boutique… La marche semble haute tant les standards développés au sein d’une large part de la boulangerie française sont à transformer. Pas de quoi décourager les Ambassadeurs du Pain, qui défendent la même logique depuis plusieurs années, avec un appui technique notable.  

L’association a développé une méthode, baptisée Respectus Panis®, devant permettre d’offrir un pain de meilleure qualité tout en répondant aux enjeux de responsabilité environnementale de l’époque. Pas ou peu de pétrissage, fermentation à température ambiante, farines dépourvues de tout additif, … un savoureux cocktail qui sonne comme une révolution dans des fournils où la mécanisation et l’utilisation du froid sont devenus des standards.  

Développer des produits au profil nutritionnel optimisé intéresse également les industriels de la filière. Au printemps, Jacquet a dévoilé Super Tartine, une référence contenant 7,5% de fibres, contre seulement 3,8% pour la référence nature de la marque, ce qui lui permet d’afficher l’allégation « naturellement riche en fibres ». Le secret ? L’utilisation d’une farine baptisée LifyWheat, développée par Limagrain (groupe coopératif auquel appartient Jacquet), qui contient dix fois plus de fibres qu’une farine blanche… sans altérer la perception du produit par le consommateur. 
© Jacquet

Inventer des pains plus nourrissants et accessibles à tous, une nécessité de filière 

Même la baguette pourrait s’y mettre : habituellement travaillée avec une farine « blanche » (T65), elle gagnerait en saveur et en intérêt nutritionnel avec une matière première semi complète (T80), en plus d’une fermentation au levain naturel. Certains meuniers entendent accompagner ce changement, à l’image de la Minoterie Girardeau, qui a lancé la farine « La Silex » (T80 écrasée à la meule de pierre), permettant de faciliter la réalisation d’une telle baguette. Au-delà du produit, l’intérêt porté au sujet de la nutrition pourrait devenir un vrai projet d’entreprise. Un décret instaurant un « pain nutrition » est en projet depuis plusieurs mois, en partenariat avec la Confédération Nationale de la Boulangerie-Pâtisserie Française (CNBPF), et permettra de sanctuariser les contours de ce produit sain et savoureux. Reste cependant à convaincre la clientèle de l’intérêt gustatif de des pains, leurs arômes pouvant être plus marqués que ceux développés par les recettes traditionnelles. Le mouvement pourra compter sur la transition alimentaire en cours pour prendre de l’ampleur… avec un intérêt central des consommateurs vis à vis de la santé. Un sondage réalisé en mars 2025 par OpinionWay, pour le compte de Jow, dévoilait que ce sujet était le principal moteur des Français, à hauteur de 59% des personnes interrogées, pour changer leurs habitudes, ce taux atteint même 79% chez les personnes de plus 65 ans. 

Les pâtisseries de Luc Baudin, à l’image de sa tarte au citron signature, associent saveurs intenses, sucres alternatifs et farines riches en fibres… pour un plaisir intact, des yeux au goût.
© Fabien Bernardi 

Sucre et sel, deux ingrédients incontournables engagés dans une même logique responsable 

Cette dynamique de transformation poursuit le travail déjà réalisé sur le sel, dont les taux ont considérablement baissé dans les recettes de pains. En 2022, les organisations représentatives de la filière (boulangerie, meunerie, biscuiterie…), ainsi que des distributeurs, avaient signé un accord volontaire ambitieux : en trois ans, le taux de sel des produits (baguette, pain complet ou aux céréales, pains de mie…) a été réduit de près de 10%, passant de 18g/kilo de farine en 2022 à environ 16 aujourd’hui. Les changements ont été réalisés de façon progressive, et une dernière étape est prévue en octobre 2025 avec un objectif de 1,1g de sel/100g sur le produit fini pour les pains de mie.  

Si les effets néfastes du sel sur la santé ont largement été documentés, ceux du sucre sont tout autant pointés du doigt. Considéré par certains comme une véritable drogue, il fait partie intégrante de l’ADN de nombreuses préparations communes à l’ensemble des boulangeries : viennoiseries et pâtisseries sont autant de plaisirs où cet ingrédient est clé. La filière gourmande a fait en sorte de désucrer les recettes au fil des années, avec des taux de diminution pouvant atteindre 25 à 50% sur certaines préparations. Un effort visiblement insuffisant aux yeux du législateur, qui entendait, à l’automne 2024, instaurer une taxe sur les produits sucrés… y compris ceux fabriqués par les artisans boulangers et industriels. De quoi générer une véritable onde de choc et une levée de bouclier au sein de la filière, qui s’est mobilisée pour faire abandonner la mesure prévue au sein du Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS). Le dispositif a depuis été enterré, laissant peser la taxation sur les seules boissons sucrées… mais pourrait bien ressurgir du fait des contraintes budgétaires du pays. Face à cette éventualité, la Fédération des Entrepreneurs de Boulangerie (FEB) entend mener une démarche proactive pour engager ses membres dans une logique collective de réduction des taux de sucre. Si le projet en est encore à ses balbutiements, il pourra compter sur l’engagement du président de la FEB, Didier Boudy, dont l’entreprise Mademoiselle Desserts est en pointe sur le sujet. L’industriel porte notamment la marque Oh Oui !, dont la vocation est de proposer des pâtisseries avec jusqu’à 65% de sucre en moins et un index glycémique bas. Forte d’une boutique à Paris et de référencements chez des distributeurs grand public et professionnels (Picard, Coup de Pates…), la jeune pousse démontre qu’il est possible de concilier « sucre minime et plaisir ultime ». Côté artisans, l’idée fait également son chemin. Le chef pâtissier Luc Baudin s’est spécialisé dans la pâtisserie saine et désucrée, associant sucres à index glycémique réduit tels que le sucre de coco à des farines riches en fibres… pour un plaisir sans culpabilité. Un savoir-faire désormais partagé dans des formations réalisées en France comme à l’international. En plus de générer du plaisir, les produits des boulangers et pâtissiers pourraient ainsi prendre soin de la santé de leurs clients. De quoi donner envie à la filière de se mobiliser au complet.