François Simon, rendez-vous en tête inconnue
Par Pomélo
Longtemps critique gastronomique au Figaro, où il a construit sa légende, le renommé mais très discret journaliste nous raconte son quotidien professionnel.
On l’attrape par téléphone, un mardi à 9h du matin, alors qu’il saute dans un taxi parisien en direction des plus célèbres de toutes les montagnes italiennes, les Dolomites. Toujours sur la route. « Je suis condamné à être sans arrêt baladé », glisse-t-il. Ce bourreau de travail a de quoi remplir des kilomètres d’articles et de chroniques audio pour les guides de voyage Louis Vuitton, La Tribune Dimanche, Les Échos et, dernièrement, France Inter, pour l’émission dominicale On va déguster, dans laquelle il tient le rôle du « bad cop ». « Ça amusait François-Régis Gaudry d’avoir un contrefeu, ce qui n’est pas idiot en soi, parce que c’est une émission très positive, dans l’empathie. » Sans oublier ses petites vidéos Instagram, qu’il annote de sa voix et de son phrasé reconnaissable entre mille, qui lui ont valu une nouvelle jeunesse sur le réseau social : 383 000 abonnés au compteur, à l’heure où nous écrivons ces lignes. Ce succès, il le doit aussi à la fameuse phrase qui conclut chaque séquence : « Y retournerai-je ? ». C’est d’ailleurs le titre de son livre, publié par Flammarion en mai dernier. Pour l’occasion, le Bon Marché avait imaginé, avec son éditeur, une dédicace en forme de confessionnal, afin de préserver l’anonymat de l’intéressé.
François Simon ne bosse pas seulement dur : il fait vite. L’auteur de ces lignes fut effrayé quand il lut un jour qu’il lui fallait seulement quinze minutes pour boucler un article de deux feuillets (environ une page). Comment le critique culinaire, qui aurait inspiré le rôle de son confrère fictif dans le film d’animation Ratatouille, passe-t-il ses journées ? « Je les commence vers 5 ou 6 heures. Gym, douche glacée, thé vert, œuf à la coque, pain grillé, fruits rouges, et j’attaque. Et vers 10h, j’ai terminé ma première journée. » Travaille-t-il toujours aussi fort qu’hier ? « Disons qu’aujourd’hui, je prends plus de plaisir à prendre mon temps. En fait, les papiers, maintenant, je les frotte, je les ponce, je les laisse mariner, je les rebrosse le lendemain, alors qu’avant, c’était la mitraillette. Je pense que c’était moins bon. Désormais, les phrases ne sont pas plus travaillées, mais un peu plus maturées. »
En reportage, que cela soit en France ou à l’étranger, il confesse s’arranger pour toujours faire des « non-programmes » sur les villes, à part pour les restaurants où il doit réserver. « Le reste du temps, j’essaie de me promener, de flâner. Je ne suis pas dans la course, je marche énormément, toute la journée. Pour les guides Louis Vuitton, je fais à peu près 60 restaurants et adresses en quinze jours. Ça fait beaucoup, il faut avoir un régime très spartiate, ne pas boire d’alcool. Un verre à la limite, quand j’ai terminé la journée. J’essaie de conserver une bonne hygiène de vie, sinon je suis mort. » La marche revient. Souvent, c’est 25 000 pas par jour. « Et même parfois, ça me permet d’intérioriser un peu l’endroit que je vais faire, de penser aux gens qui se sont foulés pour ce projet. C’est l’inverse du miokuri, vous voyez, ce truc japonais ? Cette attitude qui fait que, quand on quitte quelqu’un, on ne le quitte pas du regard — et ça peut durer un certain temps —, ce qui permet de penser à la personne que l’on vient de voir. Là, c’est l’inverse : je pense au restaurant que je vais visiter. Je me dis : “Tiens, qui ça peut être ? Est-ce que c’est bon ? Est-ce que c’est une bonne idée de marier les cuisines du monde ? (en l’occurrence pour le restaurant Almas, rue de Chabrol dans le 10ème arrondissement de Paris, chroniqué il y a peu sur Instagram, NDLR). Vous voyez ? Et puis ça permet de délier les pensées, et finalement, ça fait un bien fou. »
Pour Instagram et les vidéos, c’est une autre mécanique. « Là, il faut vraiment bien se concentrer, parce que je fais ça en freestyle : il faut envoyer le javelot tout de suite. Ça prend sept minutes à monter le truc, bien réguler le son, la voix off… Quand je ne suis pas en forme, ça prend un quart d’heure, encore plus rapide qu’un papier. Ça dure une grosse minute, mais souvent, la première prise n’est jamais la bonne. Et parfois, je trouve ma voix un peu trop triste, donc je remets un peu plus de voix. » Le plus poli des critiques gastronomiques indique que cette célébrité digitale n’a rien changé à sa vie. Et il répond aux sollicitations. « J’ai toujours été courtois avec ceux qui m’envoient des questions du style : “Je viens avec ma fiancée dimanche soir à Paris. Est-ce que vous connaissez un restaurant près de la gare Montparnasse ?” Je réponds. Ce qui est un peu absurde, mais ne pas répondre, je trouve ça incorrect. Cela dit, ça n’arrive pas toutes les demi-heures. Il y a aussi pas mal de jeunes étudiants qui veulent me rencontrer parce qu’ils font un mémoire, par exemple. Donc là, c’est toujours oui. Des gens qui demandent des conseils de carrière dans le journalisme culinaire, là également, c’est toujours oui. Je leur explique qu’il n’y a rien à gratter. Et pourtant, ça suscite toujours autant de vocations. Si c’est une passion pour eux, qu’ils y aillent. Sinon, bien sûr, je ne recommande pas d’y aller. Je leur dis combien ils vont gagner exactement, combien est payé un papier dans Le Monde ou Le Figaro, et là, ils commencent à réaliser. Il faut travailler comme des damnés, ce que je leur explique. »
François Simon suit ses envies et les demandes des rédacteurs en chef des médias avec lesquels il collabore, ce qui ne l’empêche pas d’avoir des lubies de longue date. « J’ai des fixettes sur tout ce qui est crémeux, la chantilly, tout ça, depuis toujours. Un dessert anglais un peu avachi, ça me renverse. Et autrement, les poivres. Ça, c’est ma passion. Je construis même un plat sur un poivre. Je le ramène partout : j’ai sept ou huit poivriers. » Il ne les apporte pas au restaurant, à l’image de Pierre Hermé et d’autres gourmets pointilleux connus pour s’attabler avec leur propre couteau. « Je connaissais des mecs qui venaient avec leur propre sel ou même de la muscade. Dans les années 70’, à une époque où les verres n’étaient pas toujours terribles à table, ils transportaient leur verre avec eux. » s’amuse-t-il, avant de devoir raccrocher, l’appel du devoir sonnant la fin de notre entretien.