Guillaume Blot, photographe en chef de la France old-school
À 36 ans, ce Nantais est la nouvelle coqueluche de la photo food. Enfin, plus que la cuisine, ce sont les lieux qui racontent l’Hexagone d’antan. Après les rades, documentés dans un livre du même nom en 2023 (éditions Hoëbeke) - un succès critique et commercial - il continue à explorer la France traditionnelle avec Restos Routiers, en librairie depuis le 15 mai 2025.
À 36 ans, ce Nantais est la nouvelle coqueluche de la photo food. Enfin, plus que la cuisine, ce sont les lieux qui racontent l’Hexagone d’antan. Après les rades, documentés dans un livre du même nom en 2023 (éditions Hoëbeke) - un succès critique et commercial - il continue à explorer la France traditionnelle avec Restos Routiers, en librairie depuis le 15 mai 2025.
Mettre en lumière des héros et héroïnes de tous les jours
Si l’on devait qualifier Guillaume Blot, on dirait que c’est un mélange de Raymond Depardon (le côté observateur du pays) et de Martin Parr (les clichés joyeux, colorés et décalés qui font sourire). Les plus grands journaux et magazines lui ont ouvert leurs colonnes ces dernières années, pour des commandes de reportages ou pour mettre en avant ses bouquins, Brut ou Libération il y a quelques jours à peine. L’obsession de Guillaume , c’est de raconter une France délaissée dans les médias et auprès d’une partie de la population. Une France dont les morceaux disparaissent année après année. En soixante ans, les lieux détenteurs de licences IV sont passés de 200 000 à 40 000. Voilà pour les bars et bistrots mais le constat est similaire avec le parc des restos routiers : ils étaient 4 500 à quadriller le territoire dans les années 1970, on n’en comptabilise que 700 à l’heure actuelle. “Roland Barthes écrivait dans La Chambre Claire (Gallimard, 1980) que la photo, c’est ce qui a été, donc ça a existé. Moi, j’ai sacrément envie que ça continue. Il y a une dimension politique en racontant ces histoires du quotidien, ces héros et héroïnes de tous les jours. C’est l’idée de les mettre en lumière, de donner envie d’aller les voir. Les restos routiers, on peut les soutenir en s’y arrêtant simplement, sur la route des vacances ou du boulot plutôt que d’aller dans une franchise ou dans d’autres endroits plus aseptisés sur les aires d’autoroutes”.
Avenir fait de relais colis, supérette et séminaire d’entreprise
Il en faut de l’énergie pour tenir ces établissements où la marge est étroite (le propre du resto routier est de proposer un menu facturé entre 16 et 18 euros, avec quart de vin et café compris) et où l’on ne compte pas ses heures, plus que dans un restaurant classique, puisqu’il est parfois possible de se doucher sur place voire d’y dormir. Autant de raisons pour lesquelles on ne se bouscule pas au portillon pour reprendre ces adresses. Les enfants parfois, ou des candidats extérieurs. “Les jeunes ne reprennent pas, ce sont plutôt des personnes de la route, des anciens chauffeurs routiers”, précise Guillaume Blot à partir de son expérience. Face à la disparition progressive du genre (les sandwichs n’y sont pas pour rien), “il y aura une nécessité de diversification”, ajoute Blot. Certains proposent déjà un service de relais colis ou de supérette, d’autres ouvrent leur espace à des séminaires d’entreprise, des cérémonies diverses (y compris des cérémonies d’enterrement), activité événementielle non négligeable. Qu’il est loin le temps où RTL diffusait chaque jour de la semaine l’émission “Les routiers sont sympas”. Max Meynier, idole des chauffeurs routiers, y parlait de ces derniers toute une soirée, entre 1972 et 1983.

Une inspiration pour les restaurateurs… qui ne doivent pas se limiter à une esthétique
Le marketing de la nostalgie est à la mode, à Paris, le resto-PMU Le Cornichon ouvert récemment fait un tabac, sans mauvais jeu de mots. Quid des restos routiers ? “Certainement que ça va inspirer des nouveaux restaurants”, juge Guillaume Blot, qui cite Aux Bons Crus, déjà existant, situé dans le vibrant XIᵉ arrondissement de la capitale qui “surfe sur une esthétique et un concept de resto routier”, analyse le bonhomme. Selon la définition stricte, il ne s’agit pas d’un resto routier officiel, il faut pour cela afficher un menu à 16-18 euros, abriter un grand parking pour garer les camions, un coin hygiène aussi. Sans oublier le tutoiement généralisé. Cet “esprit routier” est-il une bonne chose ? Guillaume voit le verre à moitié plein avec un coup de projecteur qui permettra de fréquenter davantage les routes départementales et nationales où sont positionnées ces ambassades françaises populaires. À l’inverse, il alerte sur le fait qu’il ne faut pas limiter cet esprit routier à une esthétique.
On ne devient pas resto routier en une journée en achetant quelques nappes à carreaux Vichy. Ça prend du temps et puis l’âme n’est pas insufflée par des objets et une déco, mais par les personnes, que ce soit les patrons ou les habitués.

Tête de veau généralisée et choucroute coup de cœur
Le plat qui incarne le plus les restos routiers ? La tête de veau, ce plat qui était devenu le totem de Jacques Chirac. Parmi ses grands souvenirs de bouche, Guillaume Blot cite volontiers la choucroute mensuelle de La Table d’Othe qui borde la D660, dans le petit village de Paisy-Cosdon (Aude). Les habitués se réveillent tôt pour réserver leur menu, mitonné par Benjamin, en cuisine, et sa maman Corinne jamais bien loin, dès la veille. Il y a aussi Mimi et sa popote paysanne, elle tue ses propres canards dans son restaurant Le Bourg, à Fargues-sur-Ourbise (Lot-et-Garonne).

Le photographe évoque en parallèle le label “La Casserole”, de la chaîne des Restos Routiers, qui distingue des offres plus gastronomiques. On se refile les bons plans sur des groupes Facebook de chauffeurs ou sur l’appli TruckFly, les “meilleures adresses de la communauté poids lourds” (rachetée par le groupe Michelin). Certains gourmets frissonneront en voyant sur table du surimi ou une salade macédoine mais c’est dans l’ADN du resto routier : du sans-chichi. Guillaume Blot s’attarde sur l’impératif d’un rapport qualité-prix imbattable parce qu’il y a une enveloppe de frais à respecter tous les mois chez les chauffeurs routiers. D’où une cuisine pas toujours fait maison… et un buffet d’entrées qui permet de ne pas lasser cette clientèle assidue.
Buffets à volonté et buvettes de stades
En parlant de buffet : c’est une autre obsession de Blot, les restaurants spécialisés dans les buffets à volonté. Tout comme les buvettes de stade. Pour rester sur les restos routiers, on demande à l’intéressé un grand souvenir. “Jacques, un ancien forestier de 92 ans. Il mangeait pour la première fois de sa vie un hamburger avec sa fille, c’était touchant”. Au total, le livre raconte en photos 72 établissements mais 128 ont été visités (soit près de 20% des restaurants routiers du pays), il a fallu faire un choix. Mais cette série n’est pas terminée : initiée en 2018, Guillaume assure qu’il continue, ce projet, il l’est à vie. L’an dernier, il a mis les bouchées doubles : 47 restaurants où il a les mis les pieds en juillet et en août, 7 000 à 8 000 kilomètres au total. Si vous croisez sur les routes d’été un Volkswagen Transporter T5 conduit par un trentenaire à chapeau blanc, il y a de fortes chances que ce soit Guillaume Blot. Retenez bien son nom, on a là affaire à un futur grand de la photo.
Par Pomélo