Jérôme Raffaelli, le pâtissier qui ressuscite Carême
Artisan et co-fondateur de la pâtisserie marseillaise végétale Oh Faon !, ce quadragénaire a été consultant pour la série française Carême, diffusée depuis fin avril sur Apple TV+. Un biopic façon thriller rock consacré au monstre sacré du sucré, Marie-Antoine Carême.
Artisan et co-fondateur de la pâtisserie marseillaise végétale Oh Faon !, ce quadragénaire a été consultant pour la série française Carême, diffusée depuis fin avril sur Apple TV+. Un biopic façon thriller rock consacré au monstre sacré du sucré, Marie-Antoine Carême.
La cité phocéenne n’est pas encore très reconnue pour sa scène pâtissière, mais elle peut déjà remercier Oh Faon ! : lancée en 2018 par Jérôme Raffaelli et son mari Kevin Yau, l’enseigne accomplit un travail remarquable, à commencer par la renversante Balade en garrigue, un gâteau mêlant mousse de romarin, praliné de pignons de pin, crème d’amande et pâte sablée. Et nous ne sommes pas les seuls à en penser du bien : le magazine Fou de Pâtisserie comme le classement gastronomique La Liste ont tous deux couronné Oh Faon !. Ces deux dernières années, pourtant, c’est une autre mission qui a occupé l’esprit de Jérôme : imaginer plats et desserts, pour une nouvelle série de fiction produite par Apple TV+, destinée à pas moins de 75 millions d’utilisateurs (il s’agit d’une estimation, la plateforme ne publiant pas ses chiffres).
Comment devient-on chef d’orchestre culinaire d’une superproduction réalisée par Martin Bourboulon (auteur des deux récents succès Les Trois Mousquetaires) ? « Avec Martin, il y a 20 ans, on servait les cafés ensemble comme second ou troisième assistant à la mise en scène. Il a fait son chemin, moi le mien. Un jour, l’appel de son assistante arrive pour deux raisons, je pense : notre approche, ancrée dans la tradition pâtissière mais bousculant les codes grâce aux ingrédients végétaux ; et puis mes 15 ans d’expérience comme assistant réalisateur », explique le pâtissier, qui cite parmi les derniers films “un peu sympas” Populaire (2012) de Régis Roinsard, comédie romantique encensée par la critique.

Huit mois, du lundi au vendredi, à Paris
Au total, une bonne douzaine de personnes ont rejoint l’équipe de Jérôme Raffaelli, dont Xavier Pistol, chef exécutif du Printemps du Goût, et Théo Gardet, chef pâtissier de l’Auberge Nicolas Flamel. Et dire que le maestro marseillais comptait d’abord refuser. « Ce qui m’embêtait, c’était de m’éloigner pendant 8 mois de la boutique : à Paris du lundi au vendredi, à Marseille seulement le week-end ». D’autant plus que l’on s’attaque ici à un monument de la gastronomie française, inventeur du croquembouche, artisan du gâteau de mariage moderne, perfectionneur du soufflé, codificateur de la mayonnaise… bref, une légende. Les tournages se déroulent dans « pratiquement tous les beaux châteaux d’Île-de-France », ainsi qu’au Palais-Royal, berceau du grand restaurant. « Nous avions aussi un labo à Montreuil (Seine-Saint-Denis) pour toutes les préparations. Le matin, en arrivant sur le plateau, on disposait d’une cuisine ambulante » se remémore Jérôme.

Respecter l’ADN de Carême avec des visuels « qui parlent aux gens d’aujourd’hui, nourris à Instagram »
Le budget permet de faire appel à de vrais artisans – pas à des spécialistes du food design – pour réinjecter de la « vérité culinaire ». « Je savais qu’on se prendrait parfois des murs : des pièces montées qu’on ne verrait pas au montage. Mais la fierté, c’était que tout ce qui serait filmé serait réellement cuisiné. Un food stylist m’a dit un jour : “Tu te rappelles cette pub avec la poire glacée et le chocolat fondu ? En fait, c’était de la peinture.” J’ai pensé : “Le mec ne sait donc pas faire une sauce au chocolat et la tenir à bonne température !” » Jérôme avoue une phase de doute : « Suis-je légitime pour m’attaquer à ce monument ? » Outre les archives dessinées et menus disponibles en ligne, il s’appuie sur un historien recommandé par le chef marseillais Emmanuel Perrodin. Respecter l’ADN de Carême, oui, « mais avec des visuels qui parlent aux gens d’aujourd’hui, nourris à Instagram ».
Lorsque le tournage débute fin 2023, tous les épisodes ne sont pas encore écrits ; il faut se projeter dans l’inconnu. Dans une scène, le brief précise : au mariage de Talleyrand, organisé autour du thème de la féminité et de l’érotisme, Carême entre avec son « extraordinaire », un Aphrodite. Raffaelli imagine alors une statue en crème où les invités viendront tremper des choux – voire plus si affinités. La production adore. Le chef décorateur : « Elle fait quelle taille, ton Aphrodite ? » Jérôme Raffaelli : « Soixante centimètres. » « Non, il faut qu’elle soit à taille réelle. »
« C’est la magie du cinéma : tu n’es pas seul », lance le pâtissier. Une structure en polystyrène est ainsi pré-sculptée par les décorateurs, recouverte d’une ganache montée à la vanille. Les comédiens savent précisément où tremper leurs choux – cou, sein – là où la crème est la plus abondante. Pour chaque repas filmé, l’équipe gastronomique réalise un menu complet : 6 créations par épisode, soit 48 au total. En amont, le pâtissier s’appuie sur les croquis de Sasha Nogueira (Du dessin à l’assiette) avant les prototypes et le « testing visuel », où seule l’apparence compte, cinéma oblige. Même les figurants sont mis à contribution : l’un qui sait lever un poisson, l’autre qui sait flamber… Les plats non servis quittent les frigos sous forme de doggy bags pour l’équipe, ou sont donnés à des associations. À quand un making-of dévoilant les coulisses des créations du patron d’Oh Faon ?!
Par Pomélo
Photo portrait par Oh Faon!