Lindsey Tramuta, l’Américaine qui connaît la scène food parisienne comme sa poche
Journaliste et autrice installée à Paris depuis 2006, Lindsey Tramuta collabore avec des titres de référence tels que le New York Times, Bloomberg et Condé Nast Traveler. Plus de 100 000 curieux suivent également ses aventures sur Instagram. Son dernier livre est un guide 100% culinaire édité par le très respecté média en ligne américain Eater. À l’occasion de la publication de ce titre fin avril, nous avons parlé avec elle de la scène food parisienne.
Journaliste et autrice installée à Paris depuis 2006, Lindsey Tramuta collabore avec des titres de référence tels que le New York Times, Bloomberg et Condé Nast Traveler. Plus de 100 000 curieux suivent également ses aventures sur Instagram. Son dernier livre est un guide 100% culinaire édité par le très respecté média en ligne américain Eater. À l’occasion de la publication de ce titre fin avril, nous avons parlé avec elle de la scène food parisienne.
Après The New Paris (2017) et The New Parisienne (2020) publiés chez Abrams Books, place au tout nouveau The Eater guide to Paris en rayon depuis quelques jours dans les bonnes librairies des Etats-Unis et du Royaume-Uni (premier tirage de 7 000 exemplaires). 200 pages pour capter ce qu’est la scène food parisienne d’aujourd’hui avec près de 200 lieux, les nouveaux venus comme les classiques. Au-delà du carnet d’adresses de Lindsey Tramuta, des personnalités invitées racontent Paris ou d’autres destinations en France pour passer un week-end (la cheffe 3 étoiles Michelin Dominique Crenn et sa femme, l'actrice Maria Bello ; le chef et blogueur star américain David Lebovitz qui réside dans la capitale française ; l’influent consultant culinaire Julien Pham…). On trouve également dans le guide des pages sur le contexte de la gastronomie à Paris. Oui, le restaurant est né du côté du Palais-Royal à l’époque de la Révolution mais il y avait des choses avant. “Au XIIème siècle déjà, on commençait à avoir des espèces d’auberges”. Lindsey revient également sur l’immigration qui a “beaucoup façonné la scène culinaire, d’abord l’immigration intérieure (Auvergnats, Bretons, Provençaux…), précise-t-elle. Mais aussi l’immigration étrangère “pas uniquement les anciennes colonies, mais aussi des vagues d’immigration de différentes parties de la Chine ou de l’Afrique de l’Ouest : où est-ce qu’ils se sont installés dans la ville, qu’est-ce qu’ils ont emmené avec eux… C’était vraiment pour dire qu’on ne peut pas parler d’une simple brasserie ou d’un bistrot sans poser un contexte historique”.
Sirha Food - Pourriez-vous nous parler d’un plat qui symbolise la scène culinaire parisienne en 2025 ?
Lindsey Tramuta - J’hésite entre kebab - oui, toujours le kebab - et un plat de Hanz Gueco, chef et associé du restaurant Le Cheval d’Or (19ème arrondissement). Chez lui, on a la même finesse et l’élégance qu’on peut attendre et connaître d’une cuisine française moderne mais aussi des saveurs qui viennent de plus loin avec des associations beaucoup plus originales. Le plat en question est un pithiviers d’agneau au poivre du Sichuan. C’était extraordinaire. Il a fait des twists sur les poireaux vinaigrette avec de l’algue, du gingembre… C’est ça, aujourd’hui, la scène culinaire française. Un hommage mais sans que ce soit une fusion mal faite. Je pense qu’enfin, les chefs sont beaucoup plus confiants. On ne va pas minimiser les saveurs, on ne va pas se cacher, on affirme notre identité.
SF - Et pour revenir sur le kebab, pourquoi cette réponse ?
LT - Parce qu’il y a de plus en plus de kebabs intéressants. Mehmet notamment dans le 18ᵉ arrondissement, qui sert du vin naturel ou des bières artisanales. Il y a des variations un peu plus allemandes également à Paris, les sandwichs kurdes aussi qui sont une variété de kebabs. J’avais fait un sujet dans le dernier numéro du magazine Bon Appétit. Et pour moi, Paris n’a peut-être pas la même histoire que Berlin (considérée comme une vraie capitale du genre, NDLR) mais il y a quand même une histoire. Le kebab parle d’immigration, c’est super et c’est aussi une façon de montrer que la street food n’est pas forcément de mauvaise qualité. Les prix augmentent parfois d’ailleurs. Cette réponse autour du kebab, c’est primordial parce qu’aujourd’hui, c’est à mon sens aussi important dans la capitale qu’un étoilé Michelin ou un néobistrot comme le Saint-Sébastien ou Recoin (nouveaux héros de la presse culinaire, NDLR). Aujourd’hui, on ne peut pas vraiment définir Paris comme étant la ville des bistrots et des brasseries parce qu’en termes de volume, ce n’est peut-être plus aussi vrai. Ceux qui croient toujours que Paris, c’est uniquement tous ces classiques, ont tort, et puis ils ratent une bonne partie de ce qui fait vibrer cette ville.

SF – As-tu en tête une nouvelle adresse qui va être un vrai “game-changer” pour la ville ?
LT – Il y a un établissement qui a ouvert il y a deux mois environ, qui s’appelle De Vie (2ème arrondissement) et qui est animé par deux anciens mixologues du Little Red Door avec un chef irlandais hyper talentueux en cuisine, qui est passé par les fourneaux du restaurant Frenchie*. Ils n’ont pas encore ouvert le bar mais à terme, ce sera deux espaces côte à côte. Actuellement, le comptoir est ouvert, et il est très sophistiqué dans l’offre sans alcool, qui est vraiment intéressante. Ils n’utilisent même pas de glaçons parce que c’est du gâchis : des verres ont été conçus avec une sorte de carré au milieu, intégré, qui refroidit une fois mis au frais. Au niveau des plats, il s’agit d’un menu en six étapes, avec une cuisine française moderne, très maîtrisée techniquement. Je me rappelle encore des asperges blanches et vertes coupées en deux et interposées avec du vieux comté et une sauce. Le tout inséré dans une tarte préparée dans les règles de l’art. Le visuel est assez frappant, le plat hyper goûteux. Pour moi, De Vie est à la fois très inventif et en même temps rassurant pour ceux qui ne veulent pas un concept « à la Noma » qui les éloignent trop de quelque chose de terre à terre.
SF - En 2022, le Financial Times avait publié un article sur le quartier parisien de Belleville (et ses environs) qualifié de territoire le plus excitant de la capitale culinairement parlant. Pour vous, quel est le quartier qui bouge beaucoup en ce moment ?
LT - Peut-être la rue Keller et ce qu’il y a juste à côté, dans le 11ème arrondissement, entre le restaurant Tarántula, Giclette, Jip… Je trouve intéressant de voir qu’il y a des bouts de l’arrondissement qui continuent à se développer. Idem rue Saint-Maur toujours dans le 11ème : pendant des années, il n’y avait que le Servan et Double Dragon, on trouve désormais Jolyne, un tout petit bar à vins mais très sympa, vraiment chaleureux. C’est très parisien de se répandre dans le même pâté de maisons, comme l’a fait par le passé quelqu’un comme Greg Marchand ou encore Terroirs d’Avenir. On peut se moquer de cette idée de ne pas s’éloigner trop mais il y a aussi un avantage à créer ce genre de petit village car Paris est fait de petits villages. Et aussi, s’il y a des commerces qui ferment avec le risque d’avoir des chaînes pour les remplacer, mieux veut avoir des options qualitatives proposées par les mêmes personnes, les mêmes chefs, qui au moins essaient de garder un esprit et un certain niveau dans la même zone géographique.

SF - On dit souvent que Paris est à la traîne côté gastronomie par rapport à d’autres métropoles comme Londres, New York ou Tokyo. Qu’en pensez-vous ?
LT - Il y a certaines choses qui ne sont pas vraiment développées ici, la cuisine thaïe par exemple, je sens un grand manque là-dessus alors qu’à l’inverse, les cuisines vietnamienne et laotienne sont géniales. Je pense malgré tout que Paris est plus ouverte, on dit ça depuis des années mais c’est toujours vrai. Et à mes yeux, il y a vraiment une aisance, avec des chefs qui s’imposent davantage sans avoir peur d’offusquer par des saveurs trop épicées, différentes ou inconnues. Après, si on compare le rapport qualité-prix, je trouve que Paris s’en sort toujours parmi les meilleures grandes villes du monde. Par ailleurs, ce que je crois également, c’est que Paris ne sera jamais en avance sur beaucoup de choses mais quand les gens sur place se mettent à faire un truc, ils vont le faire bien, de manière aboutie. Prenez l’exemple des cocktails : Paris était très en retard en 2007 quand l’Experimental Cocktail Club a ouvert, les bars à cocktail créatifs existaient déjà à Londres et aux Etats-Unis depuis de nombreuses années. Mais par la suite, tout s’est développé assez rapidement et avec beaucoup d’intention et de sérieux. Aujourd’hui, Paris est très compétitif, c’est est une ville qui peut être sur la liste des meilleurs scènes cocktails au monde. J’associe cette situation à une grosse peur du risque, ce qui est culturel. Le risque c’est mal vu, c’est vu comme un problème et on apprend ça très jeunes alors que dans mon pays natal, aux Etats-Unis, ce n’est pas grave d’échouer et de recommencer. Cette peur empêche parfois de faire sortir des choses qui n’existent pas encore sur le terrain.
Par Pomélo
Portrait photo par Joann Pai