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Pains, pâtisseries et viennoiseries, des luxes plus si accessibles

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Par Rémi Héluin


Crise énergétique, envolée des cours du blé puis du beurre, du sucre ou encore du cacao, le secteur de la boulangerie-pâtisserie n’a pas été épargné par l’inflation. L’essentiel de ses postes de coût a progressé rapidement, dont la masse salariale, ce qui a contraint artisans, réseaux et industriels à réaliser plusieurs hausses tarifaires. Le seuil psychologique du croissant ou de la baguette à un euro a ainsi été largement franchi, imposant de vastes efforts de pédagogie pour faire accepter cette nouvelle norme, qui implique le décrochage d’une partie de la clientèle, pour laquelle la descente en gamme est devenue la seule option pour palier à la hausse des prix. 

23 centimes en vingt ans. La baguette avait vu son prix évoluer de façon marginale entre 2002 et 2022, comme le détaillent les chiffres de l’INSEE. Une pièce de 250g de « pain courant » se négociait alors à 93 centimes en moyenne. Sur le même intervalle, les salaires ont évolué de façon bien plus significative, tout autant que les niveaux de prix de l’alimentation de façon générale. Si l’on regarde sur le temps long, le temps de travail nécessaire pour s’offrir ce produit de première nécessité s’est considérablement contracté. En 1970, la baguette ne coûtait que 60 centimes de franc (soit environ 10 centimes d’euros), soit 10 minutes de labeur, en tenant compte du SMIC de l’époque. Désormais, c’est moitié moins : à peine 5 minutes pour s’offrir une baguette. Face à cette réalité, la filière a opéré un rattrapage sur ces trois dernières années, à la suite de l’explosion des prix de l’énergie mais aussi d’une hausse des cours du blé. La baguette a ainsi franchi le seuil symbolique de 1€ (avec un prix moyen de 1,02€ en 2024). 

La baguette, un produit emblématique et particulièrement bataillé 

 Le prix de la baguette est un marqueur clé de l’image prix d’une boulangerie. Sa progression rapide a pu dégrader la perception des clients, affectant la vision d’un commerce accessible et fédérateur. 
© DR

Le caractère bataillé de ce produit emblématique de la boulangerie française a incité plusieurs acteurs à se positionner avec des promotions permanentes et alléchantes, à l’image du fameux « 3+1 » (3 produits achetés = 1 produit offert). De par un ancrage profond de la consommation de pain dans les habitudes alimentaires des Français, l’augmentation des prix y a été plus faible que dans le reste de l’Europe : il avait augmenté de 18% en moyenne entre 2021 et 2022 sur l’ensemble des pays de la zone Euro, contre seulement 8% en France. Cependant, l’apparition de pains dits « spéciaux », toujours plus élaborés et valorisés, remet en question la logique d’accessibilité poursuivie par les artisans hexagonaux : farines biologiques, graines, variétés « anciennes » de blé, longues fermentations et travail au levain naturel, autant d’arguments qui permettent de justifier des prix de vente dépassant fréquemment 10€ le kilo. 

Une addition salée côté sucré 

Les hausses les plus spectaculaires en boulangerie ne sont pourtant pas à chercher du côté du pain : des produits complexes à produire, et intégrant des matières premières coûteuses, sont plus impactés par l’inflation. C’est le cas de la viennoiserie et de la pâtisserie. Fin 2024, la tonne de beurre industriel se négociait à 8 180 €, soit près du double des cours observés un an plus tôt (4 260 € en septembre 2023). Au total, la facture a été quasiment triplée pour certains professionnels, en fonction de la gamme de beurre utilisée. Adieu croissants autour d’un euro : leur prix avoisine désormais les 1,30€… et dépasse parfois le seuil de 1,50€ dans des environnements urbains. Si les boulangers ont souvent contracté leurs marges sur ce produit, ils ont développé des références plus onéreuses pour préserver leur rentabilité globale. Les douceurs sucrées que représentent les pâtisseries ne sont pas en reste. Les 3,80€ déboursés en moyenne par les consommateurs pour l’achat d’un gâteau individuel en 2023 (source OpinionWay) semblent bien loin : l’augmentation ne concerne pas que les références haut de gamme, très visibles sur les réseaux sociaux, mais également des produits du quotidien. Les recettes intégrant du chocolat sont les plus touchées, le cacao ayant connu une crise sans précédent en 2024 à la suite des mauvaises récoltes dans les régions productrices. La montée en gamme de l’offre sucrée participe à un tendance inflationniste globale sur cette catégorie : trompe-l’œil, entremets soignés, sophistication des produits de pâtisserie boulangère tels que le flan… Il n’est pas rare de voir apparaître des gâteaux proposés à 7€ l’unité, y compris dans des établissements situés dans des banlieues et zones rurales. 72 % des consommateurs perçoivent encore la pâtisserie comme un luxe accessible, selon une étude menée récemment par Dawn Foods. Mais pour combien de temps encore ? Le risque de la descente en gamme est palpable pour la filière artisanale, avec une réorientation possible de la consommation vers l’offre industrielle, dont les prix demeurent bas du fait de la mécanisation de la production et de la massification des achats. 

Au déjeuner, l’offre boulangère perd en attractivité 

Cette tentation s’exprime tout autant du côté de l’activité snacking. La boulangerie a longtemps été considérée comme une option particulièrement accessible à l’heure du déjeuner, avec un iconique sandwich jambon-beurre jadis positionné aux alentours des 3,50€ chez les indépendants. Le panier moyen de la pause déjeuner atteignait ainsi 9,20€ chez les boulangers en 2023, se rapprochant progressivement du reste des opérateurs de la restauration rapide. 2,6 milliards de sandwichs ont ainsi été vendus sur le territoire en 2021. Depuis, les artisans ont été contraints d’améliorer leur maîtrise des coûts de revient face aux variations des matières premières. Avec l’accroissement du nombre de références salées, la diversité des ingrédients peut s’avérer éminemment complexe à gérer. Les assauts de la grande distribution, ainsi que des acteurs du snacking positionnés sur les menus à 5€ et apparentés pourraient mettre en péril la dynamique de la filière boulangère. Le choix d’acteurs tels que Marie Blachère (menu P’tit malin avec 4 items), La Mie Câline (menu Cook’mie malin) ou Ange de mettre en avant des formules positionnées sur ce segment d’entrée de gamme ne doit rien au hasard : la guerre des prix n’a pas fini d’animer les vitrines des boulangeries, afin que le savoir-faire artisanal demeure un luxe accessible. 

Photo de couverture par Rachel Claire

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