Please ensure Javascript is enabled for purposes of website accessibility La galette, une reine attachée à sa couronne | Sirha Food

La galette, une reine attachée à sa couronne

arrow
Article précédent
arrow
Article précédent

Par Rémi Héluin

Chahutée mais certainement pas vaincue par laugmentation du prix des matières premières, la galettes des Rois continue doccuper la même place dans le coeur des Français : ce produit éminemment gourmand, symbole de partage et de tradition, demeure le gâteau phare du mois de janvier. S’il représentait par le passé de précieuses étrennes pour les artisans, il doit désormais composer avec un environnement complexe pour survivre et continuer à surprendre. Entre rationalisation des achats et méthodes ou diversification des saveurs tout en préservant la tradition, les chantiers se multiplient au coeur des recettes.

Sur les réseaux sociaux des chefs pâtissiers de palace, la galettes des Rois se prête à toutes les excentricités. Qu’il s’agisse de formes originales ou de saveurs toujours plus raffinées, ce gâteau populaire semble devenu un terrain de jeu idéal pour les orfèvres du sucré. Pourtant, l’attention médiatique offerte à ces produits est inversement proportionnelle à la part des 60 millions d’unités qui seraient vendues chaque année sur la période de l’Epiphanie, selon les estimations de la Fédération des Entrepreneurs de Boulangerie (FEB). 92% des Français consomment de la galette en début d’année, d’après une étude réalisée par l’IFOP en 2024, et la version frangipane entretient toujours une domination sans partage sur la catégorie, étant plébiscitée par 73% du public, contre seulement 13% pour les versions aux pommes ou briochées.

Si la côte d’amour pour le produit ne se dément pas, ce sont les aspects économiques qui pourraient venir altérer cette relation. Depuis fin 2021, le prix du beurre a augmenté de plus d’un tiers, et même si l’accalmie observée sur les cours de la matière grasse laitière depuis quelques semaines donne un peu de répit aux entreprises de la filière boulangerie-viennoiserie-pâtisserie, le prix du produit fini a inévitablement progressé sur la même période. Une évolution d’autant plus naturelle que l’amande, autre composant clé de la recette, a connu elle aussi une envolée de ses tarifs. En 2009, un kilogramme du célèbre fruit sec se négociait à près d’un euro. Aujourd’hui, la même quantité de produit est facturée entre 5 et 10 euros, voire 13 pour les options les plus qualitatives. La farine, bousculée par l’éclatement du conflit ukrainien, ou encore le sucre, ont connu également des hausses, même si leur impact sur le coût matière global de la recette demeure plus limité. En boulangerie artisanale, la galette finit par devenir plus coûteuse qu’un entremets aux multiples strates : pour un produit destiné à satisfaire six personnes, la somme demandée dépasse désormais les 20 euros, voire la trentaine en région parisienne. De quoi détruire de la demande, ou la réorienter vers la grande distribution, où les références industrielles peuvent être deux à trois fois moins onéreuses selon les gammes. Toujours selon l’IFOP, en 2024, 51% des Français demeuraient fidèles aux boulangeries pour cet achat, loin devant la grande distribution, captant seulement 34% du public.

Eviter le coût (de massue)

Conscient de la nécessité de préserver l’accessibilité du produit, les professionnels ont réduit leurs marges sur la galette des Rois, qui était par le passé une des références les plus rentables de leur commerce, pain mis à part. En parallèle, ils ont multiplié les initiatives afin de maîtriser le coût matière du produit ainsi que le temps passé à sa fabrication. Parmi les pistes d’adaptation les plus solides, la réduction du diamètre des galettes s’est répandue en vitrine. Dans les usages de la majorité des boulangers, une galette vendue pour 4 à 6 convives mesurait 22 cm, tandis que la taille supérieure pouvait atteindre 24 à 26 cm. En réduisant de 2 cm chaque catégorie, ils peuvent absorber de façon discrète une partie des causes, même si la pratique se rapproche de la fameuse « shrinkflation », ou réduflation, tant décriée par l’opinion. D’autres leviers d’optimisation peuvent être explorés : l’utilisation d’un feuilletage inversé, nécessitant moins de temps de repos et offrant une meilleure régularité, étalé à 2 mm au lieu des 3 mm généralement observés dans les laboratoires, anticipation des achats sur les produits secs afin de s’approvisionner en période de plus faible demande, notamment pour la poudre d’amande, contrôle strict du poids de la garniture et de chaque produit fini… autant de bonnes pratiques qui doivent devenir un automatisme.

Des spécialistes du feuilletage, tels que le tourier parisien Anthony Nguyen, ont popularisé l’emploi du pandan en viennoiserie… mais aussi au sein des galettes des Rois. Cette plante originaire d’Asie du Sud-Est dévoile des saveurs de noix de coco, de vanille et d’amande qui se marient parfaitement avec la douceur de la frangipane
(c) Anthony Nguyen

Créer pour exister

Malgré l’omniprésence de la galette aux amandes, la diversification des références s’avère être un autre outil pertinent afin de regagner de la rentabilité… et en visibilité. Cette dynamique créative, largement observée sur les réseaux sociaux, permet de se différencier grâce à des associations de saveurs surprenantes. Au delà du traditionnel chocolat ou des agrumes, des parfums plus insolites s’invitent au coeur des galettes : matcha, pandan, sésame noir… un vent d’exotisme souffle sur ce produit traditionnel, permettant de fédérer une clientèle plus jeune et prête à payer un prix sensiblement plus élevé que pour les versions classiques. Maxence Barbot, Maxime Frédéric, Cédric Grolet, Anne Coruble, Léandre Vivier… autant de jeunes créateurs qui dépoussièrent la discipline et inspirent de nombreux boulangers de quartiers, à même de s’emparer des tendances pour les proposer à leur tour, parfois en version simplifiée. Ces nouvelles créations « signature » peuvent être proposées au cours des week-ends du mois de janvier, ce qui évite d’affecter la production, majoritairement concentrée sur la version frangipane.Imaginer la galette responsable

L’ensemble de ces mouvements permet de maintenir la place de la galette dans les habitudes de consommation, sans questionner son impact environnemental et son avenir face aux enjeux climatiques. 80% des amandes consommées à l’échelle du globe proviennent de Californie, où cette monoculture engendre un véritable désastre environnemental, lié notamment à des pratiques d’irrigation massives. Face à ce triste constat, des producteurs tentent de relancer la production d’amande française, longtemps mise de côté, laissant le champ libre à des concurrents lointains (Californie, Australie) ainsi qu’à des acteurs européens bien implantés, tels que l’Espagne. Sur notre territoire, plus de 40 000 tonnes d’amandes sont consommées chaque année, alors que la production française devrait atteindre 2 300 tonnes lorsque les vergers auront atteint leur plein potentiel. Un volume relativement confidentiel, proposé à des tarifs élevés (environ 13 euros le kilogramme), ce qui n’a pas empêché des chefs engagés de se tourner exclusivement vers l’origine bleu-blanc-rouge pour la réalisation de leurs galettes. C’est notamment le cas du pâtissier parisien Romain Demailly, oeuvrant dans la Boulangerie du Square, une entreprise familiale du 18è arrondissement. Associées à du beurre fourni par la laiterie renommée L’Or des Prés, les amandes drômoises d’Hervé Lauzier expriment leur plein parfum dans une frangipane parfaitement équilibrée… donnant un aperçu de ce que être la galette responsable : un produit d’exception, ancré dans les terroirs français et dégusté avec parcimonie, bien loin de la logique de volumes encore préférée par de nombreux consommateurs. De quoi redonner tout son brillant à la couronne si chère à ces mets royaux et festifs.

Avec un approvisionnement en amandes 100% françaises, fournies par l’ « amandiculteur-poète » Hervé Lauzier, les galettes carrées de la Boulangerie du Square (Paris 18è) tournent rond
(c) La Boulangerie du Square