Version glacée ou pâtissière, le bûche à bûche de Noël
Par Rémi Héluin
Le royaume des bûches est, de longue date, divisé en deux territoires. Au sein des foyers, les préférences s’orientent vers la déclinaison pâtissière, à base de crèmes, mousses, croustillants et biscuits, ou glacée. Cette dernière, longtemps invisibilisée par l’omniprésence de sa consœur, redouble désormais d’arguments : nouvelles formes, textures et saveurs, vertus antigaspi, sensation de légèreté en fin de repas… autant d’atouts qui portent son développement.
Entre vacherins et profiteroles, le répertoire des gâteaux glacés s’est construit autour de grands classiques, transmis par des générations d’artisans. Il aura fallu compter sur l’engagement de professionnels chevronnés pour faire évoluer la technique et le visage de ces entremets. Leur maîtrise technique s’est révélée indispensable pour un sujet aussi complexe et sensible que la glacerie. L’équilibre des recettes doit être pleinement abouti pour offrir des produits à la texture idéale, faisant du travail du glacier un exercice d’équilibriste périlleux, entre effets du froid et des différents sucres. Gabriel Paillasson compta parmi les premiers à porter une vision d’excellence de cette discipline, l’intégrant à la Coupe du Monde de la Pâtisserie qu’il fonda, aux côtés d’une poignée d’artisans partageant son exigence, en 1989. La glacerie y est intégrée sous différentes formes, ce savoir-faire étant cher à l’homme récemment disparu, de par sa double distinction aux titres de Meilleur Ouvrier de France pâtissier et glacier. Celui que les Compagnons Pâtissiers des Devoirs Unis surnommaient « l’intrépide » n’a pas été le seul à faire évoluer sensiblement le métier. Alain Chartier, Emmanuel Ryon, David Wesmael, Gérard Taurin… autant de noms reconnus, dont le savoir-faire a inspiré, et inspire encore, plusieurs générations de professionnels.
Has-been désormais tendance, la savoureuse renaissance de la bûche
Longtemps consommée en France sur une période de l’année très identifiée, lorsque les beaux jours s’installent et jusqu’à la fin de l’été, la glace ne parvenait pas à s’affranchir de codes et de modes de dégustation très ancrés. Le glacier Henri Guittet, fondateur de la marque parisienne Glazed, a été confronté à cette réalité dès le démarrage de son activité. « Lorsque j’ai ouvert ma boutique en 2014, le dessert glacé était has-been ! Nous avions fait le choix de proposer des parfaits glacés ainsi que des créations individuelles, qui ne rencontraient qu’un succès très limité. Nos clients ne l’envisageaient pas pour autre chose que le dessert de fêtes de fin d’année », se souvient l’entrepreneur à la forte identité créative. Le caractère saisonnier de la consommation française pourrait s’expliquer par l’omniprésence des desserts laitiers sur notre territoire, lesquels sont moins profondément ancrés dans les habitudes dans des pays tels que le Royaume-Uni ou les pays nordiques, où la glace est dégustée toute l’année de longue date. Les habitudes sont cependant en train de changer rapidement : d’après une étude Opinionway, en fin d’année 2023, les ventes de bûches glacées en grand distribution avaient progressé de 11,7% en volume par rapport à 2022. Une tendance toute aussi positive est observée dans la filière artisanale. « Les bûches glacées ont longtemps été vieillottes. Désormais, nous parvenons à sortir du traditionnel vacherin vanille-framboise et à proposer des créations plus modernes. Il demeure cependant difficile de s’aventurer sur des terrains trop audacieux, avec des ingrédients tels que le whisky ou le matcha : cela reste un dessert familial à partager, ce qui impose d’être consensuel au risque de perdre des ventes », observe Henri Guittet. Chocolat, agrumes, fruits rouges cueillis à pleine maturité en saison… autant de saveurs qui font mouche, accompagnés d’un travail précis sur les textures (coulis, biscuits reconstitués, différentes couches de glaces et sorbets…) et le visuel. « Il est important de proposer des options répondant aux différents régimes alimentaires spécifiques, avec des références végétales et/ou sans gluten, ce qui permet d’améliorer l’accessibilité de l’offre », conseille le glacier. La valorisation des produits de saison a aussi un impact positif sur l’intérêt que portent les consommateurs aux douceurs glacées : créer des rendez-vous, en intégrant par exemple le potimarron à l’automne, le marron à Noël ou encore l’os à moelle pour les plus téméraires à Mardi gras, permet de stimuler les ventes et d’imaginer des associations avec des plats salés.
(c) Sunny Raux
Anti-gaspi, légères, responsables… les bûches glacées ont tout bon
Côté boutique, les professionnels de la glace déploient de nombreux artisans pour démontrer le caractère vertueux de leurs produits : non seulement la bûche glacée peut être achetée à l’avance, ce qui évite la course des achats festifs de dernière minute, mais elle se portionne sans difficulté, pouvant ainsi être dégustée en plusieurs fois… pour éviter tout gaspillage alimentaire, désormais traqué par les consommateurs comme les entreprises, mais aussi tout risque d’écoeurement grâce à des produits plus légers. De plus, l’impact environnemental d’une bûche glacée demeure maîtrisé face à sa cousine pâtissière : si sa conservation nécessite un stockage en froid négatif, entrainant une consommation énergétique réelle, son processus de fabrication impose un recours plus limité aux cuissons à haute température, plus impactantes. Des atouts qui font mouche : chez Único Glacier, à Lyon, ces références de fin d’année ont connu une croissance de 50% en volume depuis la sortie du Covid. La Confédération des Glaciers de France (CGF) souhaite continuer à accompagner cet engouement en défendant son label Glaces artisanales de France, attestant d’une fabrication française à partir d’ingrédients sélectionnés et dans le respect de strictes normes d’hygiène. La remise en question de certains ingrédients communément utilisés en glacerie aurait pu enrayer cette dynamique, avec notamment le caractère controversé de l’émulsifiant E471 ou encore les problématiques sanitaires rencontrées sur certains texturants avec de fortes teneurs en oxyde d’éthylène. La hausse des tarifs, liés à l’explosion des coûts de l’énergie et des matières premières, a également été sensible au sein de cette filière. Cela n’a pas remis en question la fidélité des clients chez des glaciers engagés tels que Glazed : « Notre clientèle est sensible à notre engagement de longue date en faveur de produits et filières responsables. De plus, nos recettes excluent les ingrédients controversés de longue date grâce à une parfaite maîtrise des procédés. Malgré les hausses de tarif, que nous avons fait en sorte de contenir car il est essentiel pour moi de proposer des créations accessibles, le public comprend l’importance d’investir un peu plus pour disposer d’un dessert de qualité sur sa table de fêtes ». De quoi offrir de vastes perspectives à ces bûches… qui n’ont pas fini de faire feu de tout bois, malgré leur caractère glacé.
(c) Nicolas Villion