Par Pomélo
La France est envahie depuis quelques années par les coffee shops – enseignes indépendantes comme chaînes – qui prennent le pas sur nos cafés et bistrots traditionnels. Le marché, de plus en plus mûr, pousse ces adresses à aller toujours plus loin dans l’expérience client. On peut donc se demander quelle sera la suite.
L’Hexagone est chaque année un peu plus accro aux lattes, cappuccinos, flat whites, americanos, cold brews, chai lattes ou autres matcha lattes. Ces mots sont entrés dans le quotidien des Français : selon un article du journal Le Monde publié fin 2024, un tiers d’entre eux se sont rendus au moins une fois dans un coffee shop cette année-là (ils n’étaient qu’un sur cinq en 2020). Les coffee shops indépendants poursuivent leur progression mais, en parallèle, au-delà des grandes marques comme Columbus Café ou Starbucks, des enseignes plus petites se structurent. Noir, par exemple, compte déjà dix-sept boutiques à Paris et en proche banlieue (6 autres sont en cours d’ouverture) et vise même Londres.
Le magazine de déco IDEAT s’attardait il y a deux ans sur l’architecture de ces lieux qui cherchent précisément à ne pas se ressembler (au passage, lisez l’excellent article du Guardian : “The tyranny of the algorithm: why every coffee shop looks the same”). Fini le coffee shop « juste joli » : on veut désormais un décor instagrammable. Chez Noir, les formes dessinées par les architectes évoquent la goutte ou le grain de café.
Au milieu de cet océan de coffee shops indépendants mais souvent bâtis sur les mêmes codes (boissons chaudes similaires, mêmes marques de kombuchas et sodas plus ou moins artisanaux, cookies, banana breads et tartines d’avocat à la carte, menus inscrit au mur en majuscules avec des typographies Futura, Montserrat ou Bebas Neue…), certains ont choisi un ADN culturel étranger affirmé. Bingsutt (3ᵉ arrondissement de Paris) rend hommage aux cafés typiques de Hong Kong – les fameux cha chaan teng – eux-mêmes influencés par la coutume britannique de l’afternoon tea. On y boit l’iconique milk tea, chaud ou froid, accompagné de brioches coiffées de beurre fondu.
Toujours dans la capitale, on compte aujourd’hui une demi-douzaine de coffee shops vietnamiens. En 2024, un nouveau venu, Kapé (11ᵉ arrondissement), s’est spécialisé dans le café philippin. « Le centre du monde géopolitique s’est déplacé. Les lieux à la mode ne sont plus Londres ou New York, mais la Chine ou la Corée. Le coffee shop asiatique est la quintessence de ce phénomène », explique, dans Le Monde, l’anthropologue Eve Bantman-Masum, autrice d’une étude sur les coffee shops parisiens. À quand des coffee shops aux influences algérienne, marocaine, portugaise, tunisienne, italienne, turque ou espagnole ? Ce sont pourtant les principaux bassins d’immigration du pays.
À l’inverse, certaines marques internationales lorgnent Paris, comme % Arabica ou Bacha Coffee. Et si l’avenir du coffee shop français se jouait plutôt à l’étranger ? Aux États-Unis, à Nashville (Tennessee), le café Now and Then fait un tel carton que le magazine américain Bon Appétit lui a consacré un long article. Le lieu se résume à un comptoir de dix places, avec sets de table japonais faits main et petites cuillères dorées : on se croirait moins dans un café que dans une cérémonie. Les fondateurs, convaincus que le café a toujours été sous-estimé, se sont inspirés des bars à vin pour proposer une carte d’une dizaine de crus rares, facturés entre 8 et 50 dollars la tasse. Ces cafés peuvent être servis de multiples façons (d’où une attente pouvant atteindre dix minutes par personne), y compris dans une coupe mousseuse après un passage au shaker avec de la glace. Du lait ? Possible, mais seulement en fin de dégustation : l’ajout de lait enrobe le palais et modifie la perception des arômes. Les clients sont donc invités, tel un sommelier le ferait pour le vin, à préciser ce qu’ils recherchent dans une tasse.
Chez Noon, à Taïpei (Taïwan), on se croirait déjà en 2050 : béton omniprésent, comptoirs en bois et paniers blancs pour que les affaires des clients ne touchent pas le sol. L’idée est d’explorer une même origine de café (Honduras ou Éthiopie, le jour de notre passage) à travers trois approches. Première étape, la méthode dite puriste : un espresso classique, accompagné d’une fiche détaillant les notes identifiées (raisin, fruit de la passion, prune, cacao). Vient ensuite le même café, mais avec un nuage de lait dont une partie de l’eau a été retirée, pour une texture plus douce et crémeuse. Enfin, on sert une troisième « tasse » – en réalité un verre à cocktail old-fashioned – qui recrée la boisson initiale… sans café : uniquement les arômes évoqués plus tôt, relevés d’un trait d’alcool.