Please ensure Javascript is enabled for purposes of website accessibility Le pain va-t-il disparaître des tables françaises ? | Sirha Food

Le pain va-t-il disparaître des tables françaises ?

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Par Rémi Héluin


114 grammes en 2015, 105 grammes six ans plus tard… rien ne semble pouvoir enrayer la baisse journalière de consommation de pain en France. Malgré le fort attachement de la population à cet aliment de base, et la reconnaissance d’un savoir-faire unique, la population développe de nouvelles habitudes en termes de repas qui remettent en question la place de la filière blé-farine-pain dans les assiettes. Petit déjeuner abandonné par une partie de la population, montée en puissance des textures moelleuses et du snacking… autant de défis d’ampleur pour l’ensemble des maîtres de la fermentation. 

Malgré son statut d’icône de la gastronomie française, la baguette n’a jamais connu de périodes aussi troublées. Son inscription fin 2022 au Patrimoine Immatériel de l’UNESCO, au travers des savoir-faire artisanaux et la culture qui y sont associés, n’y a rien changé : le pain à croûte, qui fait partie intégrante de l’identité de la boulangerie française, est désormais challengé par les produits moelleux que sont le pain de mie, les buns et autres spécialités du monde.  

Une étude réalisée par QualiQuanti pour le compte de la Fédération des Entrepreneurs de Boulangerie (FEB) en 2021 révélait en effet que le pain de mie était consommé par 86% des Français, même si la baguette de tradition demeurait le pain préféré des Français, cité comme tel par 41% des personnes interrogées. Désormais, le marché du pain de mie industriel préemballé pèse plus de 500 millions d’euros par an… un segment que pourraient conquérir des acteurs artisanaux, comme en témoigne le succès de la boutique spécialisée Carré Pain de Mie, située à Paris : chaque jour, l’enseigne vend près de 450 kilos de pains moelleux ! Pourtant, rares sont les boulangers indépendants à avoir encore saisi cette opportunité, même si le « shokupan », inspiré du savoir-faire asiatique et réputé pour sa texture nuageuse, se répand lentement dans les vitrines.  

Le pain de mie "carré" signé Carré Pain de Mie, à Paris, se distingue par sa texture "motchi motchi".
© Carré Pain de Mie

La baisse de consommation de pain, une réalité contrastée 

Contrairement aux idées reçues, les jeunes ne sont pas ceux qui se détournent le plus massivement du pain. Si 36% des Français ont réduit leur consommation de pain entre 2018 et 2023 (source sondage IFOP/Confédération Nationale de la Boulangerie-Pâtisserie Française (CNBPF), novembre 2023), c’est au sein de la population des 35-49 ans que se concentre le plus cette dynamique : ils sont 43% à manger désormais moins de pain. A l’inverse, les plus jeunes (18-24 ans et 25-34 ans), 26% des 25-34 ans affirment avoir accru leur consommation. Un résultat en phase avec les observations de l’étude menée par QualiQuanti en 2021, où 41% des moins de 30 ans exprimaient la même tendance. Cependant, ce public a plutôt tendance à aborder le pain comme un élément d’un plat dégusté hors-domicile. Alors que le petit déjeuner est le moment de consommation privilégié pour le pain, les jeunes de moins de 24 ans se détournent de ce moment de consommation : ils ne sont plus que 57 % à prendre ce repas, contre 83% chez les 55-65 ans (source sondage LSA/Appinio, janvier 2025). 

Non seulement la population a adopté un mode de vie toujours plus nomade, où le snacking -avec ou sans pain- s’avère central, mais la perception du produit s’est érodée. Selon le sondage IFOP/CNBPF de 2023, 66% des Français considèrent désormais le pain comme la base d’une alimentation équilibrée. Ils étaient 88% en 2005. Entre temps, la phobie du gluten et les doutes vis à vis des pains « blancs » ont laissé des traces. 

Pain de campagne, aux graines, au seigle… la diversité répond à de nouvelles attentes 

Des pains plus nutritifs et aux diverses saveurs, le visage des vitrines de boulangerie évolue 

La santé est devenue un aspect majeur au sein de l’alimentation, notamment à la faveur du Covid-19 qui a accru la sensibilité du public sur ce sujet. La boulangerie n’y fait pas exception : des produits plus nutritifs y reçoivent une attention croissante. Ce public « sélectif » ou « nutritionniste » représente respectivement 24% et 19% de la clientèle des amateurs de pain, d’après l’étude OpinionWay/FEB de 2021. Ainsi, le pain de campagne est plébiscité par 72% des consommateurs, suivis par les pains complets et aux graines à 60% (source sondage Banette/IFOP, 2023).  

Cet attrait pour les pains dits « spéciaux » amène à se tourner vers des inspirations du monde, tels que pains d'origine nordique ou d'Europe de l’Est, avec des recettes riches en graines, déclinées chez plusieurs meuniers au travers de mélanges pouvant être travaillés efficacement au fournil (Tour de Mains chez Foricher les Moulins, pain Norvégien chez Girardeau / Suire ou Moulins Bourgeois...). Ils associent praticité d'usage (faciles à trancher et à congeler) et bonne conservation, avec un apport d'énergie durable, en plus d’être très digestes quand ils sont travaillés à base de levain naturel. Dans le même temps, des boulangers engagés s’intéressent à de nouvelles méthodes de fabrication visant à développer naturellement la saveur et les qualités nutritionnelles des produits, à l’image de Respectus Panis®, imaginé par les Ambassadeurs du Pain

En plus de satisfaire le palais et de nourrir sainement les corps, ces pains offrent une meilleure durée de conservation. Les produits dits « de garde » ont prouvé leur utilité pendant les confinements imposés sur la période 2020-2021, mais également bien au-delà : ils permettent de lutter contre le gaspillage alimentaire. Or, le pain demeure le premier produit alimentaire gaspillé, devant les fruits ou les légumes, comme en témoigne une étude réalisée par OpinionWay pour le compte de Smartway en 2023 : un tiers des Français (33%) jette du pain au moins une fois par mois.  

La baguette, porte-étendard et victimes des difficultés d’une filière 


Face à ces évolutions, et à des consommateurs recherchant le meilleur alignement entre praticité (conservation, disponibilité du produit), prix et goût, la baguette se trouve mise en difficulté : cette dernière impose en effet des visites quotidiennes dans les points de vente… ce qui est bien loin d’être au goût d’un public pressé. Cela se retrouve dans la qualité perçue : seuls 44% des Français estimait que la qualité du pain a progressé en 2023 (source IFOP/CNBPF), contre 51% en 2005. Un résultat d’autant plus sévère que la filière s’est engagée dans de nombreuses démarches de progrès, à l’image des labels (CRC, Label Rouge, Bio…).  

L’année dernière, la CNBPF a affirmé son intention de porter un projet de décret définissant un « pain nutrition », qui permettrait de mieux guider le consommateur et satisfaire son appétit pour des produits plus sains. Cela ouvre la perspective d’une nouvelle transformation de l’offre en boulangerie : en plus de la diversification des gammes (avec la montée en puissance du snacking ou de la viennoiserie), le cœur de métier des artisans se trouvera profondément renouvelé. L’objectif ? Faire perdurer le savoir-faire… et la présence du pain sur les tables. « Sans pain, c’est moins bien », comme l’a récemment rappelé une campagne de communication pilotée par Intercéréales. Reste désormais à faire entendre le message à l’ensemble de la population.