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Levées de fonds, rachats… la finance redessine le visage des pains et gâteaux

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Par Rémi Héluin

Derrière l’imposant chiffre de 30 000 boulangeries en France, le marché se transforme en profondeur pour adopter une logique de concentration inédite. Si les artisans indépendants demeurent majoritaires, ils doivent désormais composer avec des concurrents dotés de moyens conséquents. Communication, Recherche & Développement, avantages salariaux… ces acteurs montants disposent d’atouts majeurs, mais aussi et surtout d’un appétit et d’une soif de conquête apte à transformer le paysage gourmand. 

Coup de tonnerre sur la place parisienne de la boulangerie. Fin mai, la Maison Kayser a signé un partenariat stratégique avec l’enseigne Chez Meunier, fondée par Eric Teboul en 2014. La transaction, qui se chiffrerait à plusieurs dizaines de millions d’euros, accroît encore l’influence d’une entreprise emblématique du secteur, passant ainsi le cap symbolique de la centaine de boutiques rattachées au groupe (au travers des enseignes Maison Kayser, Midoré, Chez Meunier et Dupont avec un thé).  

Cette opération est loin d’être anecdotique : ces derniers mois, plusieurs acteurs renommés du secteur ont fait le choix de s’adosser à de solides partenaires. En région nantaise, le pâtissier Vincent Guerlais a cédé la majorité de son capital au fonds Cerea Partners, avec l’ambition d’accélérer son développement dans la région Grand-Ouest. Même logique pour le Meilleur Ouvrier de France Arnaud Larher, dont la Maison est désormais intégrée à l’épicier Fauchon, lui-même rattaché au groupe Galapagos Gourmet (Gavottes, Traou Mad, Moulin du Pivert, Fossier…). Ces spécialistes du sucré s’inscrivent dans le sillage de grands noms tels que Christophe Michalak (accompagné par l’entrepreneur Didier Tabary) ou Pierre Hermé (dont l’entreprise est détenue majoritairement par Butler Industries, après avoir appartenu aux actionnaires de l’Occitane). 

Devanture d'une boutique The French Bastards, dans le 7ème arrondissement de Paris © The French Bastards

En 2025, la boulangerie devient une start-up 

Les orfèvres de la pâtisserie moderne sont confrontés à la nécessité de développer une marque forte, dotée de nombreux points de vente à l’aménagement soigné, pour survivre. Une contrainte qui finit par toucher le secteur de la boulangerie, dont les codes sont en pleine mutation. Fondée en 2018, l’enseigne The French Bastards a accueilli au printemps dernier le fonds Experienced Capital (lequel a acquis 30% des parts) afin d’accélérer son développement : après Paris, la jeune griffe s’est implantée à Neuilly-sur-Seine, à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), ou encore à Lille. Bordeaux comptera parmi les prochaines destinations de cet acteur qui entend redéfinir en profondeur les standards du métier, grâce à inspirations hybrides entre les domaines du secteur du luxe et de la mode. 

Levées de fonds, investisseurs, … ces termes semblaient jadis bien éloignés des réalités de la filière. Pourtant, ce sont désormais de véritables « start-up » qui y évoluent. Le phénomène touche tout autant des acteurs plus traditionnels, à l’image de la Maison Bécam, fondée par un boulanger-pâtissier de métier. Courant 2022, Cécile et Nicolas Bécam ont levé 2,5 millions d’euros auprès de plusieurs investisseurs, dont le fonds d’investissement Siparex, le Groupe La Boucherie ou encore Baudinvest Bertrand Baudaire. Là encore, les ambitions sont fortes : plus de 50 points de vente devraient être actifs au sein du parc d’ici à 3 ans, alimentés en partie par un laboratoire de 1 300m² situé à proximité d’Angers (Maine-et-Loire) qui aura nécessité 3,5 millions d’euros d’investissement. 

De la boulangerie de rond-point aux enseignes premium, les cibles se diversifient 

Pour pénétrer le territoire des financiers et madeleines, la finance vise parfois plusieurs segments. C’est le cas de Stéphane Courbit, connu pour son influence dans les médias au travers de l’entreprise Banijay mais également dans les jeux en ligne avec Betclic, qui a ciblé le réseau de boulangerie Ange (avec 35% du capital acquis à l’automne 2023), Ladurée (acquis auprès des Holder en 2021, seuls 20% des parts restant propriété de la famille) ainsi que Liberté, une enseigne parisienne au positionnement premium. Ce dernier cas témoigne de la complexité du marché, quand bien même l’entreprise dispose de moyens importants pour se développer : placée en redressement judiciaire après un développement éclair, la marque fondée en 2013 par Mickaël Benichou, qui entendait concilier boulangerie et design, a vu son investisseur se retirer l’année dernière. Depuis, Liberté a fermé plusieurs points de vente, et son avenir est plus qu’incertain. Cette aventure n’est pas la première à connaître des péripéties : en tentant de développer Thierry Marx Bakery, le fonds FrenchFood Capital avait rencontré lui aussi des difficultés, le poussant à abandonner le projet au profit d’une autre entreprise de son portefeuille, Sophie Lebreuilly, acteur dynamique des « boulangeries de rond-point », tout comme Ange. 

Agriculteur, Meunier, Boulanger : la baseline choisie par le réseau de Boulangerie Louise résume le positionnement d’InVivo sur l’ensemble de la chaine de valeur. © Boulangerie Louise 

Dans cet environnement où le recours aux investisseurs extérieurs semble devenir la norme, certains continuent de défendre leur indépendance. Magali Szekula et Jean-François Bandet, cofondateurs de BO&MIE, sont de ceux-là : si leur enseigne engrange 50% de croissance par an, les dirigeants entendent privilégier une vision à long terme, privilégiant la qualité à la rentabilité immédiate. Même vision chez Feuillette, dont l’emblématique fondateur Jean-François Feuillette entend rester pleinement aux commandes pour préserver la singularité de son entreprise. 

Ils pourraient cependant être rapidement rattrapés par un mouvement de concentration plus global : le segment des boulangeries « en réseau » s’avère aussi concurrentiel que soumis à de forts enjeux de rationalisation. Dès lors, bâtir des structures plus solides, dotés d’outils de production d’ampleur, pourrait s’avérer gagnant. C’est la logique adoptée par le groupement de coopératives InVivo, qui œuvre du champ à l’assiette en détenant dans son périmètre à la fois des moulins (via Moulins Soufflet), des usines de fabrication de viennoiserie/pâtisserie (Neuhauser) et une enseigne de boulangerie, Louise (acquise auprès de Laurent Menissez en 2022). Un exemple qui pourrait bien finir par inspirer d’autres acteurs et transformer en profondeur le paysage boulanger français. 

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