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Osip, enchanté par Merlin

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Généralement, il court de restaurant en restaurant.

C’est l’automne, l’hiver approche et l’inventivité de Merlin Labron-Johnson s’aiguise dans son antre « farm to table » à Bruton, charmante petite bourgade du Somerset (sud-ouest de l’Angleterre). Les convives se délectent des légumes d’hiver, les moins glamour dit le chef (betteraves, choux kale, blette, etc…) qui poussent près du restaurant. 
Si ce n’était pas encore l’hiver, le froid mordait déjà, début novembre. Mais le thé champignon à l’ail réchauffe le cœur en même temps qu’il stimule la convoitise d’un menu imposé en six ou neuf temps. Le champignon à la manière d’une huître figure une grande réussite, à l’intérieur duquel tonnent les saveurs et textures (graine de sarrasin pour le croquant, jus très concentré). 

L’épure de l’assiette (tel cet œuf sur le plat, au jaune vraiment jaune, servi sur un ravioli potimarron) rencontre celle du cadre et les vins recèlent de très, très belles découvertes. Le topinambour n’est pas seulement un légume, il donne la couleur au sorbet, qui habille le dessert caramel et marc de café. C’est l’automne, c’est l’hiver, mais fleure un petit parfum d’été.

Osip1 High St, Bruton BA10 0AB 
01749 813322
Fermeture : lundi-mercredi
Menus : 55 – 105 € (sans alcool).  

 

Entretien avec Merlin Labron-Johnson

Je suis guidé par la liberté
et la spontanéité de la nature »

© Merlin Labron-Johnson

Après quatre années torrides à Londres où il s’est révélé avec le restaurant Portland, Merlin Labron Johnson a ouvert fin 2019 son propre établissement, Osip, dans le charmant village de Bruton, deux heures trente à l’ouest de la capitale. Il y fait pousser ses propres légumes, la viande vient des fermes du coin. Il respire, aussi, après le tumulte londonien, même s’il ne débranche jamais : il a ouvert à la fin de l’été The Old Pharmacy, un bar-épicerie, attenant à Osip. Le chef de 31 ans l’admet : il s’ennuie vite, de toute façon, quand il n’a rien à faire.

Pourquoi avez-vous choisi de quitter Londres pour vous installer à Bruton ?


J’ai grandi à la campagne, dans le Devon (deux heures plus au sud). J’ai toujours été entouré par la nature. Je me suis habitué à cuisiner des ingrédients de saison, lorsque j’ai travaillé en Suisse et en France. Idem à In De Wulf, en Belgique, où j’ai eu cette incroyable opportunité avec Kobe Desramaults. Il a créé son restaurant au milieu de nulle part, dans les Flandres. Il était intransigeant : un menu de 20 petits plats composés uniquement d’ingrédients qui venaient du jardin, ou de producteurs locaux. Je me permets, à Osip, d’avoir du café ou du chocolat. Lui ne se le permettait pas. C’est un sacré challenge, l’hiver. J’ai appris et j’ai découvert plein de choses. Il était très ouvert. Et ce qu’il faisait était très artistique, aussi. Il s’est quasiment construit tout seul et il a imposé sa propre voix. 
Cela peut sembler prétentieux mais je suis guidé par cette liberté et cette spontanéité de la nature. 
Je suis arrivé à Londres à 23 ans. J’ai ouvert trois restaurants en trois ans. La critique, les tables réservées longtemps à l’avance, tout marchait. J’étais fier de cuisiner de belles choses. Mais j’avais perdu le sens de mon travail. Je me suis retrouvé sans inspiration. Londres, ce sont aussi les gens qui se ruent dans le métro, le stress, etc… Quand je quittais la capitale, en train ou en avion, mon corps entier se relâchait à la vue des plaines vertes de la campagne. J’avais besoin de respirer. 

Comment décririez-vous votre philosophie ? 

Mon style est inspiré par la simplicité de la cuisine française. À Chamonix, au restaurant Albert Premier, la présentation s’était modernisée mais les recettes étaient les mêmes depuis deux ou trois générations, ce que j’apprécie. C’était très différent à In De Wulf, où la sensibilité était beaucoup plus moderne, le questionnement permanent. « Pourquoi fait-on comme cela ? » Ma cuisine a aussi une forte influence alpine. Les saveurs des fromages, les champignons sauvages, les noisettes, les noix, les saveurs des sous-bois (en français), les herbes sauvages, l’oxalis, les bourgeons et pousses de sapin, etc… On demande souvent aux gens le plat qu’ils ont préféré. Ils répondent très rarement le canard, ou le chocolat, mais un plat qui les a surpris, comme le céleri, par exemple. C’est la meilleure façon de convertir des gens qui n’en auraient pas commandé, en temps normal.

À Londres, vous voulez du yuzu, du thon du Portugal ou du homard, vous passez un appel à minuit et vous êtes livrés le lendemain. C’est beaucoup trop facile. C’est presque tricher »

Que voudriez-vous améliorer dans votre façon de cuisiner ?

Je suis plutôt content de ce que je fais. Tendre vers l’autosuffisance pourrait être la prochaine étape. C’est un challenge énorme mais c’est possible avec un petit restaurant (une petite trentaine de couverts). 

Vous faites pousser vos propres légumes. Qu’est-ce que cela change dans votre manière de percevoir la cuisine ? 

J’apprends aux côtés d’agriculteurs qui ont plus d’expérience que moi. On a eu des courgettes pendant au moins quatre mois. Nous en avons proposé différentes variations au menu, aussi à l’épicerie à côté. Parfois, on fait un essai, et on a des concombres pendant trois ou quatre jours. On adapte alors le menu. Même si cela fait mielleux, quand je vois une graine, je pense à ce qu’elle deviendra et à ce que je vais en faire. Vous avez un résultat en tête, comme en cuisine. Et si vous prenez des raccourcis, vous faites des erreurs. Il n’y a rien de mieux que de cuisiner la carotte que vous avez cueillie le matin. Vous en prenez soin et vous voulez montrer au client que cette carotte ne vient pas du supermarché. À Londres, vous voulez du yuzu, du thon du Portugal ou du homard, vous passez un appel à minuit et vous êtes livrés le lendemain. C’est beaucoup trop facile. C’est presque tricher. À Bruton, je dois travailler en fonction du climat. L’hiver, entre janvier et mars, c’est très limité… et vous devez toujours faire un menu gastronomique.

Comment faites-vous ?

Vous avez les ingrédients les moins glamour : choux kale, salade, betteraves, blettes. Vous devez être très créatif. Hier après le service, nous avons parlé à 2 heures du matin des futurs menus avec les chefs qui travaillent avec moi. Un exemple, un cake avec différentes couches : topinambour, céleri, pomme de terre, une sauce à base de noisettes, etc…

Le sentiment d’accomplissement est-il dès lors plus fort ?

Oui ! J’adore aller au restaurant, à Paris. Beaucoup travaillent avec le même fournisseur. Les plats sont tous incroyables, mais les produits sont les mêmes toute l’année. Se forcer à travailler des produits comme les betteraves ou les choux kale, c’est aussi créer une identité plus forte. C’est dur, certes. Mais la récompense n’en est que plus belle. 

Quel lien avez-vous avec la France, où votre mère a grandi ?

La France est comme un lieu saint, pour moi. J’y ai passé beaucoup de temps, enfant. J’adore la langue, que j’aimerais apprendre. J’étais toujours excité à l’idée d’aller au supermarché. Vous avez un rayon entier de 300 yaourts. Vous vous demandez, d’abord : mais pourquoi autant ? Et vous êtes content d’avoir le choix, dans un second temps. Et c’est pareil avec les desserts ! À la boucherie, vous avez du ris de veau et des rognons (en français), que vous ne trouvez pas dans un supermarché anglais.

Êtes-vous toujours impliqué dans des projets sociaux tels que Refettorio Felix ou Help Refugees U.K ? 

Non, malheureusement. C’est plus difficile, ici à Bruton. Mais j’aimerais beaucoup, car la cuisine a cette vertu aisée de connecter et d’aider les gens. De manière très égoïste, j’aime cuisiner pour des gens très privilégiés qui ont beaucoup d’argent. Mais je trouve plus de satisfaction à cuisiner pour des personnes qui n’ont pas cela. J’ai cuisiné, en 2018 et 2019, dans les camps de réfugiés les plus inhumains, en Grèce, à Athènes et sur l’île de Lesbos. Je devais cuisiner presque tout seul pour 800 personnes, dans de grandes marmites. On utilisait une espèce de grand bâton trouvé sur la plage pour mélanger le tout. Le budget était de 30, 40 centimes par personne. J’ai fait beaucoup de dhall. C’était très dur, les deux premiers jours. Une fois, je demande à quelqu’un de faire tremper les pois chiches pendant la nuit. J’arrive le matin et ce n’est pas fait. L’heure du repas arrive. Les pois chiches sont toujours durs. Je ne veux pas les servir mais les gens n’ont pas mangé depuis 24 heures… It was very bad. L’expérience était très différente, mais très enrichissante.

Propos recueillis par Quentin Guillon

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