Recyclage, surcyclage ou redistribution… la boulangerie circulaire tourne rond
Chasser les miettes pour créer de nouvelles mies… et fédérer de nouveaux amis. C’est ainsi que l’on pourrait décrire la démarche engagée par la filière blé-farine-pain, où les invendus et rebuts de production se transforment progressivement en de nouvelles matières premières mais aussi en des gourmandises toujours plus accessibles et attrayantes. Cette transformation d’ampleur se dessine tout au long de la chaine de valeur et devient d’autant plus nécessaire depuis début 2024, avec l’obligation de trier à la source les biodéchets. "
Chasser les miettes pour créer de nouvelles mies… et fédérer de nouveaux amis. C’est ainsi que l’on pourrait décrire la démarche engagée par la filière blé-farine-pain, où les invendus et rebuts de production se transforment progressivement en de nouvelles matières premières mais aussi en des gourmandises toujours plus accessibles et attrayantes. Cette transformation d’ampleur se dessine tout au long de la chaine de valeur et devient d’autant plus nécessaire depuis début 2024, avec l’obligation de trier à la source les biodéchets. "
Avec près de 1,3 millions de tonnes jetées chaque année, le pain demeure, en 2025, le produit alimentaire le plus gaspillé en France. La responsabilité de ce constat incombe autant aux acteurs de la filière boulangère qu’aux consommateurs : ce sont ainsi en moyenne 3 tonnes par an qui finissent à la poubelle au sein des entreprises artisanales, 10 tonnes chez les supermarchés et 9 kg pour les ménages. Selon l’ADEME, les boulangeries traditionnelles détruiraient 60% des produits invendus ou écartés lors du processus de production. Un constat alarmant, compte tenu de la raréfaction des ressources naturelles, de l’envolée du prix des matières premières… et des exigences réglementaires. En effet, depuis le 1er janvier 2024, jeter peut coûter très cher : les entreprises sont désormais contraintes de trier leurs déchets et d’assurer la gestion jusqu’à l’élimination ou la valorisation de ces derniers, ce qui implique la mise en place d’un compost ou d’une collecte réalisée par un organisme spécialisé. Non seulement les poubelles contiennent de l’or - à plus forte raison quand il s’agit de produits tels que la viennoiserie ou la pâtisserie -, mais elles pèsent lourd pour les structures de petite taille… financièrement et en termes de bilan carbone inutile : une seule baguette représente, du champ à la dégustation, environ 140 grammes de CO2 émis dans l’atmosphère et 150 litres d’eau !
Les dons et paniers antigaspi, des outils en plein essor

© Phénix
Pour éviter cette funeste issue, les solutions facilitant le traitement des invendus se sont multipliées ces dernières années. Les plus visibles sont sans doute les applications « antigaspi », à l’image de Too Good To Go ou Phénix, offrant une alternative aux dons aux associations, qui a longtemps été la seule option accessible aux professionnels. Ces outils induisent cependant une complexité opérationnelle supplémentaire sur le terrain : les équipes doivent en effet préparer les paniers, ce qui a poussé plusieurs entreprises à se réorienter vers le don. La start-up Phénix s’est spécialisée sur le sujet dès 2014, et dispose de 50 coachs sur le territoire français pour mettre en relation entreprises et associations, fluidifiant ainsi les échanges.
Plus étonnant, des boutiques dédiées aux produits de la veille voient le jour. C’est le cas à Paris, sous l’impulsion d’Adrien de Dumast et de Martin Herbelin. Rue Saint-Maur (Paris 11è) et avenue Secrétan (Paris 19è), les deux associés proposent sous l’enseigne « Demain » des pains, viennoiseries, pâtisseries et autres douceurs récupérés auprès de dizaines de boulangeries partenaires. Les clients sont autant attirés par la logique antigaspi que la promesse d’un prix réduit de moitié. Une idée inspirée d’un concept suisse, baptisé Äss-Bar, implanté à Zurich dès 2013 avant d’essaimer sur le territoire helvète (avec neuf boutiques à date). Un outil complémentaire pour les artisans, qui bénéficient d’une rétrocession sur le chiffre d’affaires réalisé.
Biscuits et bières donnent au pain invendu de nouvelles saveurs

© Kignon
Les associations, boutiques et applications ne sont plus seules à participer à la valorisation des invendus : des biscuiteries et brasseurs impliqués dans une logique de circularité se sont saisis de l’enjeu. Kignon fait partie de ces entreprises engagées : Alix, Louise, et Katia se sont associées en 2021 pour bâtir un projet responsable sur le plan écologique et sociétal. En plus de collecter du pain bio auprès de plusieurs boulangeries nantaises, à partir duquel la structure fabrique des biscuits croustillants, Kignon participe à une dynamique d’inclusion grâce à l’implantation de son outil de production au sein d’un ESAT (Etablissement et Service d’aide par le Travail). Ainsi, 30 tonnes de pain sont revalorisées chaque année, avec de grandes perspectives, en témoigne l’accueil positif reçu par les produits au sein des magasins bio spécialisés.
Côté brasserie, la bière au pain s’est implantée durablement dans le paysage grâce à des acteurs tels que Pain de Minuit ou La Mie Bière, ainsi que de nombreux micro-brasseurs locaux. Une façon d’économiser de l’eau et des céréales, tout en apportant de nouvelles saveurs toastées au produit.
Broyage ou compostage, la transformation « fait-maison » prend son envol

© Expliceat
Si recourir à des partenaires extérieurs est une solution pratique et séduisante, les artisans peuvent transformer par eux-mêmes pains, viennoiseries et autres biscuits en une nouvelle matière première. C’est le parti-pris adopté par Franck Wallet, créateur du Crumbler en 2017. Plus de 600 professionnels ont déjà été séduits par l’équipement, qui est rentabilisé en seulement une année après l’installation : la chapelure qu’elle produit trouve en effet de nombreuses applications, qu’il s’agisse de substituer en partie la farine ou d’autres ingrédients plus coûteux tels que la poudre d’amande. En plus de développer la partie matérielle, la start-up Expliceat fournit recettes et conseils pratiques à destination des professionnels. Ainsi, elle a noué un partenariat avec le Meilleur Ouvrier de France Boulanger Mickaël Morieux pour proposer régulièrement de nouvelles créations.
Le compost est aussi une option séduisante, même si elle peut se révéler complexe à gérer, en plus de générer de potentielles nuisances et d’occuper beaucoup d’espace. Des outils tel que l’agrodigesteur Biomost constituent ainsi une alternative efficace, traitant les bio-déchets en moins de 24h et générant un liquide pouvant être évacué par le circuit des eaux usées ou servir à l’arrosage.
Valoriser au mieux l’ensemble des productions alimentaires est un enjeu qui concerne l’ensemble des acteurs de la chaine de valeur, ce qui implique des transformations profondes au sein des concours et événements plébiscités par les professionnels. Sirha Food a imaginé le dispositif Sirha Collect pour répondre à ces enjeux : au travers de collaborations nouées avec des acteurs associatifs et solidaires, les produits réalisés par les compétiteurs et les exposants peuvent trouver une nouvelle vie. A l’occasion du Sirha Lyon 2025, plus de 17 tonnes de denrées alimentaires avaient été redistribuées, tandis que 2,5 tonnes avaient été transformées en compost. Le pain n’était pas en reste, avec 2,3 tonnes collectées pour devenir de la bière. Pour Sirha Bake & Snack 2026, des partenaires tels que Re’Up et Les Restos du Cœur participeront activement à bâtir un impact positif. Un stand dédié au dispositif sera présent au cœur de l’évènement, avec des points de collecte et d’information permettant à l’ensemble des participants de prendre part à la dynamique. De quoi imaginer un avenir plus vert, où l’ensemble des acteurs de la filière blé-farine-pain auront adopté une logique circulaire… pour éviter de tourner en rond.
Par Rémi Héluin