Please ensure Javascript is enabled for purposes of website accessibility L'apprentissage face à la cure d'austérité, régime tonique | Sirha Food

L'apprentissage face à la cure d'austérité, régime tonique

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Par Rémi Héluin

Après un véritable « âge dor », porté par des aides à lembauche et dimportantes dotations aux centres de formation, lapprentissage fait désormais les frais des mesures daustérité décidées par les pouvoirs publics. Un changement qui pourrait complexifier la transmission du savoir-faire autant que le fonctionnement dentreprises artisanales, qui voient le coût du travail se renchérir une nouvelle fois.

Pour les chefs d’entreprise, le tour de vis n’est pas passé inaperçu. La réduction de la somme versée aux structures accueillant des apprentis lors de leur embauche a été notable : depuis début 2025, l’aide est passée de 6.000€ à 5.000€ pour les entreprises de moins de 250 salariés, et même à 2.000€ au sein des structures dépassant ce seuil. Cela n’était qu’un début : un décret du 31 octobre dernier vient faire évoluer le calcul du montant de cet outil très apprécié. Désormais, il est réalisé sur la base du nombre de jours effectués dans le cadre du contrat d’apprentissage. Auparavant, pour les contrats d’une durée inférieure à un an ou dans le cas d’une rupture anticipée du contrat, tout mois commencé déclenchait le versement de l’aide pour la totalité de ce même mois. Ce nouveau mode de fonctionnement pourrait bien coûter cher aux entreprises, d’autant plus sur des contrats courts. De plus, les paiements ont été mis en attente à compter du 1er novembre, et ce jusqu’en février 2026. C’est à partir de mars que les aides seront à nouveau versées, sur la base d’une étude d’éligibilité réalisée en prenant en compte les textes en vigueur lors de la signature du contrat.

Un modèle attractif mais coûteux

En boulangerie et en pâtisserie, et plus encore dans le secteur tertiaire, les embauches d'apprentis ont commencé à ralentir sous l'effet de ces annonces et nouvelles règles. « J'ai fait le choix de réduire le nombre d'apprentis que je forme chaque année dans mon entreprise. Ils étaient deux auparavant, désormais je n'en conserve qu'un seul », témoigne Bruno Montcoudiol, Meilleur Ouvrier de France Pâtissier installé à Monistrol-sur-Loire (Haute-Loire) et Saint-Etienne (Loire). Le fait est d'autant plus marqué dans le secteur tertiaire, où les jeunes rencontrent désormais de réelles difficultés pour trouver des entreprises souhaitant les accueillir. L’objectif mis en avant par le ministère du Travail est selon lui d'« assurer la soutenabilité du système ». Peu entendable pour les entrepreneurs, qui se sont élevés contre ces mesures, même si les chiffres prouvent que le sursaut de l’apprentissage observé depuis la loi dite « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » du 5 septembre 2018, qui a profondément réformé le financement du format, a eu un impact notable pour la collectivité. Alors que seuls 400.000 contrats d’apprentissage étaient signés en 2018, ils étaient un million l’an dernier ! Le gouvernement table sur une contraction de l’ordre de 10% du nombre d’entrées dans cette filière pour 2026, liées notamment à la perte d’attractivité, ce qui permettra de réaliser de substantielles économies. Une étude réalisée par la Direction générale du Trésor, publiée le 25 novembre 2025, relevait que le coût d’apprenti atteignait 14.700€ pour les finances publiques en 2023. Au global, le coût de l’apprentissage aurait quasiment triplé entre 2018 et 2025. Nos voisins allemands ont adopté, quant à eux, un modèle bien différent : leurs dépenses par apprenti sont trois fois inférieures aux nôtres (et deux fois plus faibles au global, atteignant 7,1 Milliards d'euros en 2023 contre 14,9 Md€ en France sur la même période), et le coût de l’apprentissage pèse principalement sur les patrons. L’étude de la Direction générale du Trésor compare les deux approches, alors même que celle adoptée outre-Rhin : la tradition de l’apprentissage y est plus forte que sur notre territoire, ce qui peut permettre de limiter les coûts, de même que la part plus conséquente du temps passé en entreprise en Allemagne. Une comparaison à traiter avec précaution, comme le rappelle le rapport lui-même, du fait de fortes différences sur le plan opérationnel.

La qualité de la formation en péril

Les centres de formation craignent eux aussi de voir leurs dotations réduites. Le « coût contrat », qui leur est versé par l’Etat afin de mener à bien l’accompagnement des élèves, est appelé à être réduit. Depuis le 1er juillet dernier, les entreprises doivent mettre la main à la poche et verser 750€ par contrat d’apprentissage pour compléter cette somme. Du côté des Chambres de Métiers, qui gèrent de nombreux Centres de formation des apprentis (CFA), les craintes sont nombreuses. Une nouvelle baisse des dotations impliquerait d’adapter le fonctionnement des structures. Le mouvement a déjà débuté, comme en témoigne la colère des professeurs, qui ne sont plus en mesure de faire participer leurs élèves à certains concours du fait de frais de déplacements ne pouvant plus être financés.

Les jeunes eux-mêmes ciblés par des tentatives d’économies

Les apprentis sont affectés par cet environnement d’instabilités et de contraintes, devant composer avec un cadre dégradé et des perspectives réduites… avec le risque d’être, eux aussi, mis à contribution. Lors des débats sur le Projet de loi de financement de la Sécurité Sociale (PLFSS), les parlementaires se sont vivement opposés au sujet de la suppression potentielle de l’exonération des cotisations salariales sur les salaires perçus par les apprentis. Initialement rejetée par l’Assemblée nationale, la mesure avait été réintroduite par le Sénat… avant d’être une nouvelle fois balayée lors de la nouvelle lecture, à l’Assemblée, de la partie recettes du texte, réalisée le 5 décembre. Pour l’Association nationale des apprentis de France (ANAF), c’est une « bonne nouvelle » mais, comme le rappelle l’organisation, « le chemin n’est pas fini, le projet de loi doit de nouveau passer au Sénat » L’organisation avait estimé entre 101 à 187€ par mois la réduction de salaire induite par une telle mesure, en fonction de l’âge et de l’année de formation. Autre point d’attention pour les apprentis, la suppression de l’aide de 500€ qui leur était octroyée afin de passer le permis de conduire. Cette fois, c’est au sein des débats du Projet de Loi de Finances (PLF) que le sujet sera traité. La mise en œuvre de telles évolutions aurait un impact direct sur l’attractivité de l’apprentissage pour les jeunes, l’aspect financier étant toujours plus central compte tenu de l’évolution du coût de la vie.