Le snacking de boulangerie concurrencé, encas de coup dur
Par Rémi Héluin
Longtemps considéré comme un outil stratégique pour permettre la croissance des entreprises de boulangerie, le snacking voit émerger la concurrence d’acteurs au positionnement prix agressif. Grande distribution déclinée en formats de proximité, jeunes enseignes offrant des portions gargantuesques à des prix dérisoires, … face à ces opérateurs toujours plus performants et à la pression sur le pouvoir d’achat des ménages, les boulangers peuvent-ils continuer à fidéliser la clientèle et porter une image d’accessibilité ?
« Au déjeuner, le seul endroit où il y a la queue, c'est dans les boulangeries », répète souvent Bernard Boutboul. Le spécialiste de la restauration, à la tête du cabinet Gira Conseil, rappelle fréquemment sur ses réseaux sociaux et dans des interviews l’importance qu’ont pris les boulangers dans la consommation de repas hors domicile… jusqu’à devenir, toujours selon lui, le leader de la restauration en France. Le fast-food version tricolore serait ainsi né, élargissant progressivement sa gamme en dehors des seuls sandwichs tout en gardant l’image d’une option particulièrement accessible, alors même que les chaines internationales semblaient battues sur ce bastion. Cette position privilégiée pourrait bien être remise en question par la montée en puissance d’acteurs toujours plus structurés et efficaces : même si les boulangeries « en réseau » (les chaines) représentent aujourd’hui près de 2.900 unités sur le territoire français, avec une forte activité côté restauration, elles demeurent bien moins solides et implantées que la grande distribution. Malgré l’érosion de leurs positions du fait du changement des modes de consommation, lié à une perte d’intérêt marquée pour les gigantesques magasins de périphérie, les distributeurs multiplient les formats pour continuer à exister.
Les enseignes de proximité renforcent le lien
La proximité, constituée de supérettes aux enseignes bien connues des Français (Monop’, Franprix, Carrefour City, …), représente un parc de près de 11.000 magasins, et s’offre aujourd’hui le luxe d’une croissance insolente, alors même que le secteur de la restauration hors domicile est à la peine. Selon une étude réalisée par Food Service Vision et NielsenIQ, le chiffre d’affaires de ce canal sur les produits de grande consommation + fruits et légumes (PGC-FL) progresse sur 2025 en semaine et le week-end, respectivement de +8,1% et de +7,3% par rapport à 2023. Au sein de ce grand ensemble, les références dédiées aux repas sont largement plébiscitées : les seuls sandwichs ont progressé de 30% en deux ans chez les jeunes adultes (de moins de 35 ans) au sein de la proximité, ce qui représente 2,6 millions d’unités vendues en plus. Ce même public représente, à lui seul, près d’un tiers de la croissance du réseau… ce qui témoigne de la lente désertion des acteurs traditionnels au sein de ce public. Non seulement cette offre bénéficie de prix attractifs, mais elle se déploie sur des emplacements stratégiques : gares, stations de métro, zones touristiques et centres commerciaux, quartiers de bureaux… autant de secteurs où les loyers limitent l’implantation d’activités avec une lourde activité de transformation sur place, comme c’est le cas pour une boulangerie artisanale.
De nouveaux acteurs aux codes visant les jeunes générations
Il ne s’agit pas là des seuls facteurs pouvant détourner durablement les jeunes consommateurs de l’univers gourmand bâti par les spécialistes du pain et du sucré. Sur les réseaux sociaux, de nouveaux acteurs du marché de la restauration capitalisent sur les codes appréciés par la Gen Z : la pause déjeuner devient une expérience sociale, où le « food porn » s’impose à travers des spécialités riches et généreuses. Parmi elles, le « crousty », un bol de riz surmonté de poulet frit et de sauce, est l’une des plus populaires. La recette est simple : un produit facilement reproductible, au coût matière, servi dans une très large portion… à un prix donnant l’impression au client de faire une bonne affaire. Chaque inauguration donne lieu à des mouvements de foule, grâce à un marketing bien rodé et à la promesse de décrocher un plat gratuit. Entre quantité et prestige conféré par la tendance, les enseignes spécialisées (à l’image des fameux Tasty Crousty et Krousty Sabaïdi) donnent au client le sentiment d’être particulièrement bien servi : la valeur perçue est sensiblement supérieure à celle de l’offre « classique » que peut proposer un boulanger. Même constat du côté des « box », souvent proposées en édition limitée, dont les tarifs défient toute concurrence… avec de réelles conséquences sur la chaine d’approvisionnement, où les coûts sont compressés. Face à ces défis, la filière veut accélérer dans la transformation de ses concepts pour continuer à séduire, en misant notamment sur l’expérience client. Feuillette, qui a récemment inauguré son 100ème point de vente, prévoit en 2026 de faire évoluer sa proposition architecturale et de renforcer l’innovation produit… pour éviter d’être croqué par une concurrence toujours plus vorace.
(c) Tasty Crousty