Lisa Roche et Léo Troisgros, le futur de l'hospitalité en présent
Par Pomélo
Portrait d’un couple qui réinvente l’auberge sans folklore ni révérence.
A quoi reconnaît-on une grande table ? Pour l’auteur de ces lignes, cela tient à sa capacité à donner envie de revenir — et vite. Nous n’étions pas encore partis de la Colline du Colombier que, déjà, nous nous promettions de réserver à nouveau, à d’autres saisons, pour en croquer d’autres facettes : l’automne et sa chasse, l’été et ses légumes gorgés de soleil. La Colline du Colombier n’est pas un restaurant comme les autres : c’est une adresse dont on tombe amoureux, une machine à bonheur. Un peu comme cette épicerie géniale mais trop loin de chez vous, au-dessus de laquelle on rêverait d’habiter pour exploser le compteur des visites. Les Roannais ont décidément de la chance : l’auberge est plantée à moins d’une demi-heure de chez eux, à Iguérande (Saône-et-Loire).
À sa tête, Lisa Roche et Léo Troisgros — couple à la ville comme à la scène, nés à quelques jours d'écart en 1993 — ont repris la main sur la Colline du Colombier, ouverte en 2008 par les parents de Léo, Marie-Pierre et Michel. Le point de départ tenait en une idée simple : transformer une ancienne ferme en gîte pour renouer avec une manière paysanne de se nourrir dans le Brionnais. Une maison où l’on mange très bien, où l’on respire, et où l’on est accueilli comme chez des amis qui ont du métier. C’est exactement ainsi qu’on se sent sur place, loin de la collection de gestes techniques et de la liturgie des autres « gastros ».

Le lieu lui-même y contribue beaucoup. Les « cadoles » de l’architecte Patrick Bouchain — cabanes façon vaisseau spatial au confort contemporain — donnent l’impression rare d’être vraiment loin de tout. Si vous avez l’occasion d’y dormir, même une nuit (comptez 270 € tout de même), quel plaisir, au petit matin, de se lever avec le chant des pommiers et ce grand panier de petit-déjeuner déposé devant la porte. Bien sûr, le nom Troisgros pèse. Il convoque Roanne, un siècle d’histoires de salle et de sauce, une maison devenue la plus ancienne triplement étoilée en activité au guide Michelin. Pour autant, Léo — cadet de son frère César, resté à l’adresse mythique — ne joue pas l’« extension de marque ». Avec sa compagne, il a racheté l’auberge familiale pour faire exister ce lieu avec une voix et un rythme propres.
Côté assiettes, la maison a compris ce qu’une partie du public cherche en 2025 : une carte courte, lisible, réjouissante. Cela commence au bar qui, malgré son nom, est un véritable restaurant improvisé au milieu des canapés jouxtant la réception. D’abord, un pâté en croûte de volaille d’anthologie — sans gelée, coiffé de grains de raisin. On pourrait n’avaler que cela, mais d’autres intitulés titillent : les frites « Coin de rue » à tremper dans une sauce cocktail ; les escargots cuisinés à la tomate, accompagnés de petites crevettes qui apportent du croquant à ce qui pourrait n’être que visqueux ; et ce riz, l’un des héros de la maison. Léo Troisgros n’a pas réussi à « voler » la recette du riz à sushi de son passage au Japon ? Qu’à cela ne tienne, il l’a fait à sa manière : riz japonais, vinaigre d’Orléans, vinaigre de riz, beurre et œufs de truite. Une nouvelle madeleine de Proust pour quelques euros seulement.
Le soir, le restaurant gastronomique qui ne dit pas son nom — Le Grand Couvert — prolonge la même grammaire : beau décor de bois et de pierre, grande cheminée qui berce les tables. Une soupière d’accueil pose le ton, enveloppante, mais traversée de reliefs acides. L’acidité sert d’ailleurs de fil rouge au repas, comme dans ce magistral bar dans l’esprit d’un millefeuille, superposant poisson, guanciale, agrumes et feuilles de câpres.
Et parce qu’on parle beaucoup de cuisine et trop peu de service, il faut dire un mot de la salle. Lisa Roche donne la mesure : chaleur sans tutoiement automatique, vivacité, humour à bonne distance. L’équipe circule, regarde, anticipe. On s’y sent chez soi parce qu’elle a clairement décidé que c’était la priorité. Un théâtre naturel, sans effets mais avec du cœur, où les assiettes racontent sans expliquer.
Au fond, la Colline du Colombier offre ce que l’on vient secrètement chercher : du soin. Un ancien directeur d’un des plus célèbres restaurants de Paris nous confia un jour qu’en cas d’angoisse, mieux valait déjeuner dans un grand restaurant que d’aller chez un psychiatre. C’est si vrai ici.
