Face à la concurrence étrangère, la meunerie française voit sa compétitivité réduite en poudre
Par Rémi Héluin
Dans le courant de l’été, l’Association Nationale de la Meunerie Française (ANMF) a alerté l’opinion sur la hausse drastique des importations de farine. Ces dernières ont augmenté de 40% en un an, représentant désormais 10% de la consommation nationale. En cause ? Un déficit de compétitivité face à des voisins dotés d’outils ultra-performants et d’un environnement plus favorable.
En grande distribution, 25% de la farine vendue provient désormais de l’étranger. Un constat amer pour la meunerie française, qui peine à valoriser ses produits et ses engagements auprès des enseignes autant que des consommateurs finaux. « L’information reprise sur les sachets n’est pas claire : on voit souvent un drapeau bleu-blanc-rouge sur ces derniers, pour évoquer l’origine du blé. Or, il faudrait indiquer la provenance du produit fini afin de mieux éclairer la clientèle », regrette Jean-Jérôme Javelaud, vice-président de l’ANMF. La France est l’un des principaux pays producteurs de blé en Europe, mais sa meunerie ne transforme que 20% des grains, ce qui a représente 4 millions de tonnes de farine en 2024. Une grande partie des céréales est donc exportée, avant, parfois, de revenir sous forme de farine.
Les références premier prix et marques de distributeur ont ainsi gagné du terrain. Deux gammes sur lesquelles les meuniers d’Europe de l’Est - les Allemands en tête - sont particulièrement performants. Derrière cette situation se cache une problématique commune à l’ensemble des entreprises de la filière : leurs marges sont considérablement dégradées depuis l’éclatement du conflit en Ukraine, fragilisant des structures essentielles à la souveraineté alimentaire du pays. L’Observatoire de la formation des prix et des marges, publié par FranceAgriMer, a récemment dévoilé que les marges brutes de la meunerie avaient de nouveau reculé en 2024, comptant parmi les plus basses du secteur agro-alimentaire. Le taux de résultat d’exploitation plafonne ainsi entre 2 et 4 % du chiffre d’affaires, contre plus de 7 % pour l’industrie agroalimentaire.
Des charges et des aides inadaptés face à la concurrence
Dans ce contexte, impossible d’investir dans les outils de production, alors même que cet effort s’avérerait indispensable pour espérer rivaliser avec des concurrents dont les moulins sont extrêmement optimisés et automatisés. Du côté de l’ANMF, on dénonce un niveau de charges « asphyxiant les entreprises, déconnecté des exigences des acheteurs qui trouvent des produits plus économiques sur les marchés » mais aussi le caractère inadapté des dispositifs d’aides développés pour accélérer la transition écologique. La meunerie se trouve en effet dans un « angle mort » des grands projets tels que France Relance 2030, plutôt destinés à des enjeux de réindustrialisation du territoire. La meunerie française s’est engagé avec force dans une dynamique de décarbonation de sa filière… mais cette dernière doit être valorisée en aval, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Cette transition implique d’acquérir des moyens de transport à faibles émissions de carbone, de miser sur des filières aux pratiques vertueuses ou encore de remplacer des équipements de production. Le changement climatique est un sujet majeur pour ces entreprises, dont la proximité avec le monde agricole n’est plus à prouver. En 2024, du fait d’un surplus de précipitations, la qualité de la récolte a été dégradée. Entre grains peu remplis (présentant un faible poids spécifique) et présence d’ergot dans le seigle, le travail de tri a été conséquent. Dans les années à venir, la récurrence de ce type d’événements imposera aux meuniers de multiplier les outils permettant de garantir qualité et sécurité sanitaire des farines… induisant des surcouts notables. D’autres sujets viennent perturber le fonctionnement des entreprises : volatilité des cours du blé, disparition au 31 décembre 2025 de l’Accès Régulé à l'Électricité Nucléaire Historique, faisant craindre une nouvelle hausse des prix de l’énergie, nouvelles taxes sur les assurances… « Notre responsabilité est de sensibiliser le pouvoir politique à la situation, qui est méconnue. Des programmes de subvention doivent être mis en place », défend Jean-Jérôme Javelaud.
Artisanat et industrie, deux terrains à explorer… avec de nombreux obstacles
Demain, la concurrence internationale pourrait-elle s’étendre au delà de la seule farine grand public ? Dans les Hauts-de-France, il s’agit dès à présent d’une réalité. Le meunier belge Dossche Mills est devenu le premier fournisseur de la boulangerie artisanale sur le territoire, avec une stratégie visant à accroître son image de qualité au travers de formations et de partenariats avec des professionnels renommés. Toujours en Belgique, le groupe allemand Bindewald, qui n’est autre que le premier meunier européen, a mis la main en 2024 sur Ceres, un moulin situé à proximité de Bruxelles précédemment rattaché au groupe Soufflet (lui-même acquis par l’union de coopératives InVivo). Si l’entreprise a fait le choix de céder les volumes livrés en sac (donc à destination des entreprises artisanales) pour se concentrer sur le vrac, destiné à l’industrie, elle dispose désormais d’un outil supplémentaire pour abreuver des fabricants français de pains et viennoiseries… d’autant que le site dispose de larges capacités d’écrasement. Une concurrence qui continuera à se heurter à un argument majeur, selon Anne-Céline Contamine, directrice générale de l’ANMF : « Nous disposons d’un savoir-faire reconnu dans la fabrication de farines de grande qualité, c’est une force non négligeable ». De plus, avec plus de 30 000 boulangeries artisanales sur son territoire, la France est un marché complexe nécessitant un savoir-faire spécifique en terme de logistique, ainsi qu’une forte capacité à développer une relation de proximité. L’attachement des consommateurs au prix ou à l’origine de leur alimentation définira l’orientation du marché… avec, en toile de fond, le risque de voir de nouveaux moulins disparaître du territoire français.