Brice Lallement, cuisinier hors-père
Par Pomélo
Photos (c) Audexcom
Qui es-tu Brice Lallement ? Pour répondre à cette question, direction le cœur de la Champagne, où nous avons rencontré le cuisinier de 26 ans - attachant et à l’aise dans ses baskets - qui travaille depuis deux ans à L’Assiette Champenoise***, le célèbre restaurant familial tenu par son père Arnaud.
Quand les clients de L’Assiette Champenoise, trois étoiles au Guide Michelin, y voient une ambassade de la haute gastronomie française, Brice Lallement, lui, y retrouve d’abord le décor de son enfance. « J’ai passé la plupart de ma vie ici, ce lieu m’habite. Dans le jardin, avec mon frère, on jouait au foot. À la piscine, j’ai appris à nager. » Au rond-point du parc, il a fait ses premiers tours de vélo. « À 12 ou 13 ans, papa m’a dit : “Viens avec moi en cuisine.” Je préparais les amuses-bouches. » Depuis tout petit, il traverse les fourneaux à 19 heures pile, quand la brigade dîne avant le coup de feu. Mais le déclic professionnel survient en classe de 4e : « C’était en moi depuis toujours, mais là je me dis : en fait, c’est génial, ce métier. Je les vois s’amuser, prendre du plaisir, et ce que ressentent les clients derrière, c’est fou. Je vais faire ça. »
Après le collège, cap sur le lycée hôtelier, à une heure de Tinqueux, dans les Ardennes. « Mon premier jour, je m’en souviendrai toujours. » Arnaud Lallement l’accompagne : une rentrée pas tout à fait comme les autres. « Sur le parking, tous les élèves voient mon père sortir de la voiture : je n’ai pas encore mis un pied dans l’établissement que j’ai déjà l’étiquette de “fils à papa”, on ne va pas se le cacher. En entrant, on visite l’internat, les salles… et là, tous les profs de cuisine et de salle viennent lui serrer la main. Certains parents le reconnaissent, les autres se demandent pourquoi autant d’attention. » Comment vit-il alors cette période ? « Plus ou moins bien. Je ne parle pas aux jaloux. Quand on me dit : “C’est sûr que tu manges bien à la maison”, je réponds : “Ah bah oui, caviar et homard tous les jours !” J’étais un ado un peu débile, comme tout le monde. » De ces années, il garde pourtant des amitiés solides : « Une amie est assistante maître d’hôtel dans un deux étoiles à Malte ; un autre ouvre sa pâtisserie. C’est rare, finalement, dans les lycées hôteliers, que beaucoup continuent ».
Très vite, il enchaîne les expériences dans les maisons prestigieuses. À Lameloise***, en Saône-et-Loire, il se fascine pour la cave. Chez Anne-Sophie Pic à Valence, dans le restaurant éponyme, il garde en mémoire « la trentaine de bains-marie alignés pour les jus : le cuisinier faisait ses mélanges au fur et à mesure ». De La Grenouillère**, d’Alexandre Gauthier, il reste bluffé par l’architecture de la cuisine et de la salle « vraiment incroyable ». S’ajoutent d’autres passages auprès de Yannick Alléno ou d’Arnaud Donckele, deux immenses sauciers — comme son père.

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La curiosité le pousse également en dehors des frontières nationales. L’Auberge du Moulin Hideux, premier Relais & Châteaux de Belgique, lui fait découvrir une cuisine de gibier très recherchée. Puis vient la Côte ouest américaine, chez Manresa, l’ancienne table trois étoiles du chef David Kinch, où il s’initie aux fermentations. La Californie lui apparaît comme un potager géant de grande qualité. Et l’Amérique nourrit chez lui une autre passion : le sport. Fan du Magic d’Orlando — « Je suis allé en Floride avec mon père, qui travaille de longue date avec Disney » —, il regarde la NBA en VO, la nuit. « Les commentateurs américains transmettent plus d’émotions. Comme en cuisine : dès que tu fais passer une émotion, c’est meilleur. » Son autre dada : le football américain universitaire. « Parfois plus impressionnant que la ligue pro, parce que la ferveur est dingue. » Ce qu’il aime, c’est l’optimisme ambiant de l’Amérique : « Même dans les périodes compliquées, les Américains se disent : “Ça va être dur trois ou quatre ans, mais on investit maintenant, parce que quand le monde repartira, on sera prêts.” »
Côté musique, ce fou de rap US écoute aussi beaucoup de jazz, de soul et de rock. « Ça va faire très bobo, mais j’ai une centaine de vinyles à la maison. » Il cite The Blueprint de Jay-Z, « un album exceptionnel, sorti le 11 septembre 2001… ». Et puis le vin, évidemment : « J’ai de la chance, mon nom m’ouvre beaucoup de portes. » Il y a deux ans, il annonce à Arnaud Donckele qu’il rentre « à la maison », à L’Assiette Champenoise***. Les chefs savent qu’un jour ou l’autre, on rentre à la maison. Il démarre alors comme chef de partie poisson, en charge des arrivages et du filetage. Huit mois plus tard, son père l’appelle de l’autre côté du passe : « Tu vas nous aider à créer des plats avec les autres sous-chefs », lui dit-il alors. À Brice de multiplier les essais ; certains arrivent en salle, d’autres restent au carnet. Est-il fier d’une recette arrivée jusque dans l’assiette des clients ? « On est des éternels insatisfaits nous les cuisiniers. Être fier, c’est d’un autre ordre : on peut l’être d’un enfant, d’une œuvre, mais d’un plat… ». Sous-chef, alors ? « Je n’aime pas le dire. Dans une autre maison, je ne sais pas si je le serais. Ici, on crée ensemble et on s’occupe aussi des événements, en France et à l’étranger. »
Quand il a du temps libre, il aime retourner à ses essentiels : croque-monsieur, poulet frit, et pizzas, qu’il prépare dans un four installé chez un ami vigneron avec le chef pâtissier du restaurant familial. Parmi ses grands souvenirs culinaires, il cite la recette de homard de son grand-père — toujours servie au restaurant — et les crêpes de sa grand-mère bretonne. C’est avec elle qu’il rencontre Paul Bocuse à 12 ou 13 ans. « Monsieur Paul est resté 45 minutes à table avec nous : il se souvenait de ma grand-mère. Ils parlaient d’une époque révolue qu’ils avaient connue. » A Brice, désormais, d’écrire la sienne.