Please ensure Javascript is enabled for purposes of website accessibility Les banlieues populaires, hauts-lieux papillaires de la pâtisserie de demain | Sirha Food

Les banlieues populaires, hauts-lieux papillaires de la pâtisserie de demain

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Par Rémi Héluin

Tema’s Cake, Maison Azalée, Maison Prestige… ces noms sont désormais bien connus des amateurs de pâtisserie. Grâce à une solide communauté, fédérant, au travers des plateformes numériques, des dizaines de milliers d’amateurs de douceurs créatives, chacune de leurs ouvertures est un véritable événement. Si leurs identités sont toutes différentes, elles partagent un point commun : celui d’être nées dans des banlieues populaires, loin des territoires traditionnels de la pâtisserie fine.

En moins d’une décennie, de simples gâteaux sont devenus de véritables marqueurs sociaux. Des créateurs tels que Cédric Grolet, Pierre Hermé, Christophe Michalak ou François Perret élaborent des pièces de luxe comestibles, qui suscitent l’envie et se négocient, pour certaines, à plusieurs dizaines d’euros. Si leurs noms étaient déjà reconnus dans l’univers de la pâtisserie, le développement des réseaux sociaux a marqué une étape décisive dans l’ancrage de leurs créations dans la culture populaire. Une catégorie d’heureux privilégiés se distingue alors, disposant des moyens suffisants pour y accéder, aussi bien sur le plan financier, temporel et matériel. En face d’eux, un public moins aisé développe également le souhait d’atteindre ces produits tant vantés.

Il n’en fallait pas plus pour attirer des entrepreneurs bien décidés à apporter leur grain de sel dans cet univers sucré. Les fameux trompe-l’œil, marque de fabrique de Cédric Grolet, sont alors reproduits à l’envie dans les vitrines, à cela près qu’ils sont généralement moulés (à l’aide de supports) et non sculptés. Le morceau de rêve coûte généralement plus de 7€, soit un niveau de prix nettement supérieure à la moyenne observée dans des environnements populaires. Pas de quoi décourager la clientèle, qui se presse toujours plus nombreuse dans ces établissements, avec notamment un public jeune et connecté pour qui suivre les tendances est tout sauf une option.

De la Seine-Saint-Denis à Dubaï, la success story de Tema’s Cake dépasse les banlieues

Dans cette sphère sucrée, initialement peu visible du point de vue de la « haute pâtisserie », certains se distinguent par leur dynamisme et leur réussite. C’est le cas de Fatima Aouad, souvent surnommée Tema, ce qui inspirera le nom de son enseigne, Tema’s Cake. En moins de sept ans, l’entrepreneuse franco-algérienne aura transformé une passion en réussite. Ses premiers pas dans l’univers de la pâtisserie, au sein de la cuisine de son appartement en 2010, sont loin derrière elle. Après une première tentative infructueuse au Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis), elle s’installe en 2019 à Aulnay-sous-Bois. Les difficultés liées au Covid-19 ne parviendront pas à atteindre sa détermination. Il faudra attendre le développement de sa gamme de trompe-l’œil pour que la marque prenne son envol : ils sont désormais plus de 350 000 à suivre ses aventures sur Instagram, et l’ouverture de chaque nouveau point de vente se mue en véritable mouvement de foule. Après le centre commercial Créteil Soleil (Val-de-Marne), Tema’s Cake a investi le centre de Paris, à quelques encablures du Forum des Halles… avant de s’étendre au quartier d’affaires de La Défense. Le développement se dessine désormais en France autant qu’à l’international, avec une pâtisserie à Dubaï et de nombreux autres projets, en succursale ou en franchise. Pour Fatima Aouad, ancienne esthéticienne, ce parcours est avant tout le fruit d’un travail acharné, mais également d’un sens inné du marketing et du commerce, qu’elle partage avec nombre de ses confrères. Bien loin d’être de simples clients, les adeptes de ses douceurs forment une communauté prête à se déplacer et à patienter : près de 3 500 personnes étaient présentes lors de l’ouverture de la boutique de Créteil.

Les trompe-l’oeil, la gamme signature de Tema’s Cake
(c) Tema’s Cake

Un potentiel à capter partout en France au risque de l’écœurement ?

Au-delà de Tema’s Cake, d’autres marques tentent de capter une part du gâteau que représente cette nouvelle pâtisserie « tendance ». W&M, Maison Prestige, Maison Azalée, Dayou Pâtisserie, Maison Marquise… quelques noms qui peuplent désormais l’Essonne, la Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne ou encore les Hauts-de-Seine. Cet engouement pour des gâteaux au visuel soigné ne concerne pas que l’Ile-de-France. A Limoges (Haute-Vienne), Marie Couloumy, à la tête des Pâtisseries de Marie, en a fait sa signature. Pistache, vanille, cacahuète, mangue… cette gamme, introduite au printemps, a permis de capter une nouvelle clientèle, au-delà de son cercle traditionnel de quadra. « Cela ma permis de me faire connaître à l’échelle de la ville, et de me différencier de la concurrence, en étant la seule à proposer des trompe-l’œil à Limoges », se réjouit la pâtissière. Là encore, cette gamme dépasse sensiblement le niveau de prix des références traditionnelles. « Les consommateurs ne seraient pas prêts à payer plus cher pour des pâtisseries classiques. Je suis positionnée entre le haut de gamme et une offre plus accessible », poursuit la dirigeante. Si le bilan est positif d’un point de vue strictement comptable, de telles réalisations nécessitent plus de temps de préparation, ce qui accroît le niveau d’investissement des chefs d’entreprise et des équipes. Ce n’est pas la seule difficulté qui se dessine pour ces structures ayant fait le choix de se positionner massivement sur les tendances : leur caractère éphémère et l’accélération du renouvellement des attentes d’un public « zappeur » les force à une quête permanente d’innovation. Si le trompe-l’œil semble s’être durablement ancré dans les goûts du public, d’autres références au caractère « foodporn » assumé s’invitent dans les vitrines. Hybrides croissant ou flan et cookie, tablettes de chocolat fourrées, tiramisus aux multiples saveurs… les gammes de pâtisserie se muent progressivement en un patchwork bigarré d’influences cosmopolites. Le format est, pour le moment, couronné de succès, en marge de toute considération éthique ou diététique. Pour toutes ces entreprises, l’enjeu sera de disposer d’assez de carburant pour prolonger le voyage, au risque d’un atterrissage forcé.

Tiramisus aux fruits, tablettes de chocolat façon Dubaï… les créations se sont multipliées sous influence des réseaux sociaux. 
(c) DR