Claire Heitzler, au nez et à la rhubarbe des mauvaises habitudes du sucré
À rebours de certaines mauvaises habitudes dont la pâtisserie française a parfois du mal à se défaire, Claire Heitzler démontre qu’il est possible de créer des desserts de haute volée en s’inscrivant dans une démarche écoresponsable poussée.
Par Maryam Levy
(c) Stéphane Bahic
À rebours de certaines mauvaises habitudes dont la pâtisserie française a parfois du mal à se défaire, Claire Heitzler démontre qu’il est possible de créer des desserts de haute volée en s’inscrivant dans une démarche écoresponsable poussée.
Par Maryam Levy
(c) Stéphane Bahic
Avec son sourire franc et rieur, l’énergie douce et solaire de Claire Heitzler est immédiatement communicative. Installée dans une ruelle calme de Levallois-Perret, la discrète boutique pourrait presque passer inaperçue ; c’était sans compter sur la solide réputation de la pâtissière et de ses recettes qui ont su convaincre bien au-delà des Hauts-de-Seine. Il règne une atmosphère d’arrière-cuisine dans le laboratoire que l’on peut apercevoir lors des allers et venues des pâtissiers de la brigade. « J’adore l’ambiance de la restauration, du travail d’équipe, de la solidarité, c’est très enrichissant. Mon concept est un peu hybride entre le restaurant et la pâtisserie : les desserts sont dressés au moment de la commande, ce qui permet un résultat toujours frais », explique-t-elle. Car il n’y a qu’un choix limité de desserts sur place ; pour le reste, il faut passer commande en amont. Des pratiques qui lui permettent de ne pas trop sucrer ni graisser les recettes, des méthodes souvent utilisées pour allonger leur
conservation.
Le bon, le bien et le beau
L’écoresponsabilité fait bien partie intégrante de l’ADN de la pâtisserie de Claire Heitzler. « Concilier le bon, le bien et le beau en respectant la nature et les hommes qui en prennent soin », peut-on lire d’emblée sur le mur. Et jusque sur la veste de la cheffe, le nom de la boutique « Claire Heitzler & producteurs » y est brodé, comme une revendication. Aucune purée de fruit surgelée ici, le rythme des récoltes dicte celui du catalogue tout au long de l’année. « J’ai un respect pour les produits frais que nous passons du temps à travailler, pour les producteurs qui les cultivent.
Les pâtisseries sont bonnes grâce à eux et leur énergie, pas parce qu’il y a mon nom dessus. Je connais mes producteurs et je veux les mettre en avant », assène t-elle avec un réel enthousiasme.
Formée chez Thierry Mulhaupt à Strasbourg, la pâtissière passe ensuite par la maison Troisgros, auprès du chef pâtissier d’alors Sébastien Dégardin, où elle se souvient d’une rigueur particulière : « j’ai appris énormément, c’était exceptionnel ». Puis, l’exigence de la maison Alain Ducasse fait prendre à son parcours un tournant inattendu. « C’est quelqu’un qui vous pousse dans vos retranchements pour vous tirer vers le haut, il m’a fait grandir ». Elle accepte ainsi — d’abord à contrecoeur — un poste au Japon qui influencera profondément sa vision de la pâtisserie : « c’est une période très importante dans ma carrière qui a forgé mon palais. Les Japonais mangent beaucoup moins sucré et plus léger, ils sont très attachés aux saisons, fiers de leurs produits et de leurs fruits », résume-t-elle.
Souvenirs d’enfance en étendard
Après la restauration, ouvrir sa boutique représentait un nouveau défi. « J’ai tendance à me lasser assez vite des choses acquises », sourit-elle
avec malice. Le défi est relevé fin 2021. Cette même passion débordante l’anime depuis l’enfance. « Je suis un bec sucré et j’ai grandi dans un
petit village en Alsace juste en face de la boutique de Christine Ferber. Je traversais la rue et je pouvais goûter ses pâtisseries. Lorsque je rentrais
de l’école, je pouvais passer des heures à les regarder travailler, ça me fascinait », raconte-t-elle. C’est dans un autre souvenir d’enfance que Claire Heitzler a puisé son inspiration pour élaborer sa tarte à la rhubarbe : « ce dessert me rappelle de belles journées ensoleillées pendant lesquelles ma mère faisait une tarte à la rhubarbe meringuée. J’adore ce fruit et j’ai rencontré mon producteur lors du festival Omnivore. M. Vermes est venu me voir à la fin d’une scène pour me présenter ses produits et j’ai découvert toutes ses variétés. De la précoce en avril, à la plus tardive jusqu’à fin octobre, tout pousse en pleine terre dans la Somme, se souvient-elle. Avant, pour moi la rhubarbe c’était une seule variété au printemps et c’est tout ». Cuite au four, confite en marmelade, encore croquante après une cuisson sous-vide et même fraîche à crue, dans ce dessert la rhubarbe est travaillée sous toutes ses formes.