L'intelligence artificielle au fournil (et au moulin)
Par Rémi Héluin
Pour accomplir leur complexe mission de production et de vente, les boulangers peuvent désormais compter sur un renfort à l’aspect virtuel… mais aux effets concrets. L’intelligence artificielle (IA) accélère la digitalisation des activités dans les fournils et les boutiques, en renforçant l’efficacité des entreprises. Recettes, cuissons, tendances de consommation, prédiction des ventes… rien n’y échappe.
Contrairement aux idées reçues longtemps diffusées au sujet des métiers de boulanger et de pâtissier, la seule force des mains et du corps ne suffit pas à réaliser pains, viennoiseries, gâteaux et autres douceurs sucrées. L’affirmation est d’autant plus vraie dans un contexte où les professionnels sont contraints de surveiller avec attention leurs prix de vente, le coût de leurs matières premières et, par conséquent, leurs marges. L’artisan moderne est sur tous les fronts, face à la diversité des tâches à traiter. S’il était déjà accompagné d’outils numériques permettant de gérer les encaissements, les plannings ou encore les commandes clients/fournisseurs, le chef d’entreprise dispose désormais de l’option IA pour gagner en efficacité. Cette irruption prend corps dans des équipements clé d’une boulangerie. Chez le fabricant de fours italien Unox, la technologie OPTIC.Cooking reconnaît de façon automatique les ingrédients insérés dans la chambre de cuisson, et active le programme adapté. Un dispositif qui réduit le risque d’erreur et évite les manipulations inutiles. Le pétrin est également concerné, grâce à l’initiative du moulin Calvet. Baptisé iiXGO, l’équipement mis au point par les équipes de l’entreprise automatise le processus de pétrissage des pâtes et analyse en temps réel la texture et l’élasticité de la pâte, ce qui permet d’assurer une qualité constante.
Produire mieux pour gagner en efficacité et en responsabilité
Si ces machines intelligentes demeurent encore marginales dans les coulisses des boulangeries, c’est du côté de la gestion que les transformations sont les plus visibles. Des solutions telles qu’Inpulse ou Helean permettent de prévoir les ventes avec une grande fiabilité, en prenant en compte les historiques d’activité, les fêtes du calendrier, des événements locaux ou encore la météo. « Si un boulanger produit trop, il se voit contraint de jeter des produits. A l’inverse, dans le cas de quantités insuffisantes, les ventes perdues sont tout aussi dommageables pour l’entreprise. Cela rend indispensable une prévision fine des besoins », défend Paul Barbotin, co-fondateur de la start-up française Helean. L’entreprise revendique d’accompagner de grands noms du secteur, tels que Ange ou Sophie Lebreuilly, avec des gains substantiels en termes de marge mais également de facilité de gestion, grâce à la gestion des stocks et des commandes fournisseurs intégrée à l’outil. « On parle beaucoup d’IA mais notre objectif premier est que cela ne se voie pas pour l’utilisateur. Pour que la solution soit adoptée, elle doit être simple d’utilisation », poursuit le spécialiste des nouvelles technologies. Si ces outils commencent à être adoptés de façon massive par les réseaux structurés, les indépendants peinent à monter à bord de cette révolution silencieuse. Une réalité prise en compte par l’éditeur de solutions d’encaissement Toporder by myPOS, qui a intégré des fonctionnalités similaires au sein même des caisses déployées chez des centaines d’artisans. Le caractère intégré de l’écosystème accroît sa facilité d’usage et limite les coûts pour les entrepreneurs.
Miser sur l’IA pour innover et surprendre sa clientèle
La simplicité n’est sans doute pas le seul sujet lié à l’accessibilité de la technologie et des perspectives qu’elle offre. Pendant longtemps, réaliser un suivi performant des tendances de consommation ou créer des visuels travaillés, pouvant être placés au centre de campagnes de communication ou au centre de créations raffinés, était réservé à des entreprises de grande taille. « L’arrivée d’outils d’intelligence artificielle m’a permis d’imaginer des créations réservées jusqu’alors aux palaces, alors que je suis un boulanger de quartier ! », sourit Matthieu Bijou. Installé à Saint-Maurice (Val-de-Marne) depuis 2023, le chef d’entreprise a multiplié les innovations. « J’utilise l’IA pour les concours, pour créer mes nouvelles cartes de snacking, ou encore pour créer mes propres emballages. C’est une vraie fierté de pouvoir créer par moi-même, tout en modernisant et en faisant évoluer mon travail » Au quotidien, la communication de la Maison Bijou est travaillée avec une IA générative, de même que les créations festives. Pour Noël 2025, la bûche signature -inspirée des origines péruviennes de son épouse- de l’entreprise a vu son visuel et sa boite aboutis en quelques heures, permettant ensuite de créer un moule sur mesure. L’idée peut s’appliquer à bien d’autres références, comme la viennoiserie… et pourrait donner naissance à de nouvelles possibilités de personnalisation. Grâce à l’IA, le client est en mesure de générer en quelques clics le visuel du gâteau de ses rêves - la seule limite étant sa maîtrise du « prompt », devenue centrale pour passer les bonnes instructions aux outils. Un artisan doté d’équipements tels qu’une imprimante 3D alimentaire (à l’image de Patiss3, la machine développée par l’entreprise française La Pâtisserie Numérique), ou des outils permettant de fabriquer des moules, serait alors en mesure de donner vie au visuel ainsi développé. Côté pain, les possibilités semblent plus restreintes, de par l’importance plus faible qu’occupe le visuel et les contraintes inhérentes au façonnage des pâtes. Les plus inventifs pourront miser sur des recettes travaillées par l’IA sur la base des nouvelles tendances de consommation : ube, matcha, chocolat façon Dubaï… autant de produits en vue dont la rencontre avec la boulangerie ne manquerait pas de surprendre. Dans cette agitation permanente et cette quête du renouveau, l’intelligence artisanale aura encore fort à faire pour séparer le bon grain de l’ivraie.