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En boulangerie, bientôt l'âge de livraison

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Par Rémi Héluin

Très largement déployée dans les grandes enseignes de restauration rapide, la livraison est encore peu adoptée par les artisans boulangers. Les freins à son expansion y sont nombreux : faible prix unitaire des produits, enjeux de préservation de la fraicheur, intégration dans les process opérationnels des boutiques… de quoi décourager les plus convaincus, y compris les pionniers du genre, dont certains avaient fait de ce canal leur spécialité.

Un clic, une baguette. Cette promesse alléchante demeure, encore aujourd’hui, inaccessible à l’essentiel de la population… mis à part à un public aisé, résidant dans les grandes agglomérations et pouvant s’offrir un pain proposé à un tarif lesté par la commission des plateformes : la fameuse Tradition s’y négocie généralement à partir de 1,70€ hors frais de livraison. Un niveau de prix apte à freiner la demande des consommateurs. Pourtant, Uber Eats comme Deliveroo ont redoublé d’efforts afin de séduire ces commerçants de proximité, qui sont désormais représentés par des enseignes structurées et des indépendants. La filiale d’Uber affirmait cet été référencer au total 5 000 supermarchés, épiceries, supermarchés et commerces de bouche, à l’image des boulangers. Un volume qui aurait augmenté de 40% depuis l’année dernière. Les petites entreprises doivent s’adapter à ce que l’on appelle « l’économie de la flemme », parfaitement incarnée par la livraison, en développant de nouveaux services. Reste cependant que la présence des professionnels du pain sur ce type de plateforme se justifie principalement par leur offre de restauration, plus adaptée aux habitudes des fidèles de ce canal, mais également par leur capacité à répondre à certains instants de consommation spécifiques tels que le brunch, qui représente un moment de convivialité sur lequel les boulangers peuvent se positionner. L’enseigne Chez Meunier, qui compte 21 points de vente, a été primée cette année par Deliveroo parmi ses « Pépites de Quartier » sur cette catégorie, preuve de la légitimité de l’offre. Ce format doit cependant s’introduire dans la complexe réalité opérationnelle d’une boulangerie, où l’intensité des flux et le caractère étroit des points de vente peut rendre l’expérience particulièrement douloureuse pour le personnel. Cela confère un avantage aux grandes enseignes, qui disposent généralement de boutiques plus spacieuses… et peuvent donc investir dans la visibilité conférée par les publicités et promotions, largement inaccessibles aux entreprises indépendantes.

Le destin contrarié des spécialistes du pain livré à domicile

Ces plateformes digitales ne sont pas les seules à avoir tenté de faire percer la livraison boulangère. En Alsace, la start-up Baguette Box s’employait dès 2019 à approvisionner les particuliers en pains et viennoiseries frais chaque matin, grâce à un contenant dédié loué par les clients de l’entreprise. Une mission éminemment complexe, puisque la société initialement fondée par Maurice Heitz a été liquidée en 2022… avant de voir la marque être reprise par l’entrepreneur Vincent Hengy, qui affirme livrer 800 box après une délicate phase de repositionnement. Du côté du spécialiste lyonnais du sujet, Baguette à Bicyclette, mêmes difficultés : l’entreprise s’est mise sous la protection d’une procédure de sauvegarde en 2024, dont elle est sortie dans le courant de cette année. Caroline Faucon, fondatrice de la structure qui avait par ailleurs racheté en 2020 son homologue parisien Croustillant, a profité de cette « bouffée d’oxygène » pour faire pivoter son modèle et élargir ses services. Après avoir abandonné la livraison aux particuliers -trop complexe, coûteuse et chronophage-, Baguette à Bicyclette se concentre désormais sur les entreprises avec des propositions telles que des plateaux-repas et cocktails. L’enjeu : sortir de la niche que représentait le petit-déjeuner et mieux exploiter sa flotte de livraison… tout en la rationalisant, puisque la structure est désormais allégée, avec cinq salariés.

Implantée à Lyon, Baguette à Bicyclette a abandonné la livraison aux particuliers, avant de diversifier l’usage de ses emblématiques triporteurs.
(c) Baguette à Bicyclette

Livrer les professionnels, une option plus rationnelle

Pour développer leur activité, de nombreux boulangers ont misé sur l’approvisionnement de points de vente extérieurs - restaurants, épiceries, magasins spécialisés, etc. Une stratégie qui nécessite, là encore, de gérer la logistique d’un produit aussi éphémère que fragile, mais qui demeure plus simple à mettre en œuvre que d’approvisionner les nombreuses adresses des particuliers. A Nantes (Loire-Atlantique), La Maison Boulangerie-Café, tenue par Pierre-Antoine Arlot et Chin-Jy Cheng, réalise aujourd’hui 40% de son activité par ce biais. Si le format est fragile à bien des égards, induisant de potentiels délais de règlement et nécessitant de trouver des partenaires de livraison performants (ou d’internaliser la flotte, lorsque les volumes le justifient), il se révèle plus adapté aux spécificités de la boulangerie et parvient à la faire vivre hors les murs… pour jouer à domicile sur tous les terrains, sans trop se livrer.