Pour les fêtes, les nouvelles bûches et leurs alternatives mettent l'eau à la buche
Par Rémi Héluin
Dans les laboratoires, le feu qu’allumaient les fêtes de fin d’année a changé de couleur : les gâteaux consommés à Noël ou au nouvel an s’éloignent progressivement de la fièvre créative observée depuis le début des années 2000. Entre retour en grâce de la bûche roulée, rationalisation des pratiques ou montée en puissance de douceurs telles que le panettone, la pâtisserie ne cesse d’évoluer pour se conformer à des tendances articulées entre nostalgie, responsabilité et plaisir éternel.Face à une époque faite d’incertitudes et de complexité, les consommateurs cherchent, plus que jamais, un réconfort immédiat dans leurs choix de douceurs sucrées. En marge des créateurs popularisés par une abondante communication sur les réseaux sociaux et au travers de l’effervescence entretenue autour de la pâtisserie, les artisans « traditionnels » doivent être en capacité de répondre à la nostalgie de leur clientèle déjà âgée… mais également à l’anemoia de nouvelles générations, qui entretiennent le même sentiment pour des époques qu’ils n’ont pourtant pas connues. Parmi les exemples les plus marquants du phénomène, la simple évocation d’un Noël blanc - désormais largement raréfié du fait du dérèglement climatique - suffit raviver ce sentiment. Cette période, propice aux moments partagés avec des êtres chers, est associée à des gourmandises d’antan, prolongeant le plaisir au travers de textures moelleuses et douces. De quoi expliquer le retour en grâce de la bûche roulée, un temps marginalisée au profit de son homologue dérivée des entremets. Libérée de la traditionnelle crème au beurre et réalisée à partir de biscuits toujours plus moelleux, elle se dévoile désormais sous un visage résolument moderne et gourmand, sans trahir son attachement à la tradition. Les spécialistes du chocolat, engagés aux côtés des artisans, ont dévoilé à l’approche de Noël 2025 des recettes pensées dans cet esprit. La Chocolate Academy™ France (groupe Barry Callebaut), dirigée par le chef Alexis Sanson, a imaginé une bûche roulée baptisée « Mille et une pistaches », directement inspirée de la fameuse tablette de chocolat Dubaï. Une façon habile de réconcilier les grands classiques du métier avec des tendances très actuelles. Le fameux gâteau peut aussi être un outil pour exprimer son identité, comme l’a démontré la Chocolaterie Weiss : sa bûche roulée, mise au point par le chef Jonathan Chauve, met en lumière le savoir-faire entretenu par l’entreprise stéphanoise autour du praliné.
Gagner en efficacité sans perdre d’impact, le défi des professionnels du sucré
Ce seul produit est symptomatique d’une transformation plus globale et profonde. Les pâtissiers sont désormais en quête de rationalisation sur leurs produits festifs, dont la rentabilité demeure particulièrement limitée, malgré d’importants efforts. L’explosion du coût matière a accéléré ces transformations, de même que la nécessité de mieux préserver les collaborateurs. « L’investissement des équipes est conséquent, de même que le travail de création. Cela nous amène à questionner nos pratiques et à raisonner notre production, afin d’éviter tout gaspillage potentiel », confirme une cheffe pâtissière parisienne. Les moules aux formes spécifiques voient leur usage restreint, au profit des traditionnelles gouttières, qui permettent de réaliser d’importantes séries en un minimum de temps. Même logique du côté des décors : les traditionnels embouts, destinés à masquer l’intérieur des gâteaux après découpe, perdent du terrain au profit de simples plaques de chocolat afin de mieux maîtriser les prix. Pas question pour autant de renoncer au caractère féérique de la période : les artisans doivent demeurer en capacité de générer un fort impact visuel au sein de leurs vitrines, qui sont les meilleurs outils pour démontrer l’étendue de leur savoir-faire. Plutôt que de déployer cette démarche créative sur l’ensemble de la gamme, elle se concentre souvent sur une réalisation proposée en édition limitée. L’Ecole Valrhona a proposé une vibrante démonstration du potentiel de telles créations avec une bûche imaginée par les chefs Baptiste Sirand et Yohan Dutron pour l’École Valrhona : sept tubes, dont six garnis, viennent composer ce gâteau rappelant subtilement la forme originelle de la bûche, tout en valorisant l’iconique chocolat Guanaja 70%.
(c) Laurent Fau
Le panettone transmet le goût du voyage
L’ensemble de ces initiatives élargit les contours des gâteaux festifs, sans réellement en questionner les fondamentaux : en France, la domination de la bûche semblait inaltérable. Pourtant, plusieurs aspects liés à la fabrication de catégorie de plaisirs sucrés sont aujourd’hui bousculés par l’urgence climatique et une prise de conscience montante du public vis à vis de la nécessité de s’orienter vers une consommation responsable. Une réalité qui accroît le potentiel du panettone : cette spécialité italienne, mi-brioche mi-gâteau, offre un plaisir intense à la dégustation grâce à une texture inimitable… et n’impose aucun recours à la surgélation, à l’inverse de la bûche, souvent préparée plusieurs semaines à l’avance puis stockée au froid négatif. Grâce au savoir-faire associé à la fermentation et à la maîtrise du levain naturel, les spécialistes de la discipline offrent un produit pouvant se conserver plusieurs semaines sans employer additifs et autres ingrédients controversés. Il aura cependant fallu plusieurs années et la totale dévotion d’artisans passionnés pour permettre au produit d’émerger sur notre territoire : avant 2020, le panettone pâtissait d’une image dégradée, du fait de l’importation de produits depuis l’Italie, dont la texture finissait par être altérée. Christophe Louie a fait partie de ces pionniers, avant même de disposer de sa propre boutique dans le centre de Paris. Désormais rejoint par des noms reconnus de la pâtisserie et de la boulangerie (Mickaël Martinez, Joël Schwalbach, Diego Laporal, Lucio et Thomas Colombo), il propose ce qui représente désormais un dessert à part entière, apte à s’inviter et à être partagé sur les tables de fête. Pour renforcer cette incursion dans les habitudes alimentaires des Français, les chefs imaginent désormais de nombreuses déclinaisons, allant plus loin que les traditionnels fruits confits : tout chocolat, marron-cassis-vanille, gianduja, café ou même déclinaisons salées (cacio é pépé, citron confit - sésame - zaatar, truffe…), le panettone n’a pas fini d’étonner. Il s’affiche sur les réseaux sociaux et défend une approche engagée, où les additifs, tel que le controversé E 471 (mono et diglycérides d’acides gras, un émulsifiant permettant d’améliorer la texture et la conservation du produit fini) très présent dans les déclinaisons industrielles, sont exclus. Ce produit incarne un heureux retour à des produits plus simples, mais tout aussi riches en savoir-faire. L’engouement qu’il suscite pourrait inspirer plus largement la filière à valoriser des recettes festives régionales parfois oubliées, en s’adaptant aux enjeux de l’époque : avec des produits générant moins de gaspillage tout en étant plus efficaces à produire en série, les professionnels peuvent alors associer performance économique et responsabilité… pour peupler durablement des forêts jusqu’alors massivement remplies de bûches.
(c) Géraldine Martens