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Meneau, la deuxième mort de Vatel

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Marc Meneau s’est éteint ce matin à l’âge de 77 ans. Il aura marqué par sa connaissance encyclopédique de la cuisine les années 80 à l’Espérance de Saint-Père-sous-Vézelay. 


La cuisine de Marc Meneau était l’invention d’un espace-temps à part, aligné sur aucune vague culinaire, aucune école, ni classique ni Nouvelle cuisine. Meneau, l’autodidacte, était pourtant un enfant de cette double trame patrimoniale et avant-gardiste. Plongé dans les Grands livres du XVe au XVIIIe siècles, il n’aimait rien tant que de reproduire et surtout augmenter les plats des grands maîtres Apicius, Taillevent ou Brillat-Savarin. Il incarnait comme peu de cuisiniers cette soif de comprendre l’anthropologie d’un plat, ses racines, sa raison d’être. Au point de continuer à se perfectionner en allant suivre sur le terrain les enseignements d’Alex Humbert, le chef de chez Maxim’s ou encore d’André Guillot, l’un des cuisiniers les plus respectés au XXe siècle.  

Douce folie

Lui qui avait modestement repris le bistrot familial de Saint-Père en 1966, avait bien fini par se hisser au niveau de ses pairs. Il le devait à son acharnement à transformer avec son épouse le lieu de son enfance en Relais & Châteaux aussi luxueux qu’excentrique. De fait, l’Espérance était un hôtel-restaurant à nul autre pareil : collection d’art, haute verrière abritant la salle à manger contemporaine contrastant avec la sublime cour pavée intérieure, vaste jardin laissé au regard des clients, service de très haute volée, cave puissamment achalandée de tous les grands crus de Bourgogne… C’était l’idée d’un luxe à la française absolu, aussi inaccessible par ses prix que par sa fantasmagorie. C’est là que l’immense violoncelliste Rostropovitch était descendu quand il s’était enfin décidé à enregistrer les suites de Bach dans la basilique de Vézelay. C’est aussi là – raccourci de l’histoire musicale – qu’un Serge Gainsbourg convalescent avait vécu de grands moments. 

Car Meneau, l’intellectuel de la cuisine, cultivé et jouisseur, entretenait avec l’Art un rapport aussi constant qu’ambigu. L’artisan timide et bégayant avait cédé la place de haute lutte au créateur insatiable et puissant, attiré par la brillance du cinéma pour lequel il collabora avec la réalisatrice Sofia Coppola. Mais il ne fut jamais aussi près du mythe que lorsqu’il imagina en 2000 pour Roland Joffé l’ensemble des grands buffets du péplum culinaire Vatel. Depardieu incarnait le grand maître d’hôtel du prince de Condé, passé à la postérité pour s’être suicidé pendant une réception alors que la livraison de la pêche du jour avait du retard. Meneau avait naturellement prêté sa grande culture à l’élaboration d’un décor culinaire qui devait être irréprochablement fidèle à l’original. 

Huître en gelée d'eau de mer…

Cette douce folie, Marc Meneau l’incarnait pleinement. Homme puissant, exigeant comme pas deux dans l’exercice quotidien de sa cuisine. Son apprentissage aura marqué une génération de jeunes cuisiniers, confrontés à l’équation complexe de réaliser une cuisine aussi précieuse que vive, dont les recettes empruntaient les trames des grands maîtres pour mieux s’en émanciper. Le foie gras poché aux haricots de Chéu, l’huître en gelée d’eau de mer, le cromesquis de foie gras ou le filet de Saint-Pierre cuit sur la pierre de Vézelay avaient cette intemporalité des grands plats quasi non reproductibles. Le mot qui définit sans doute le mieux la cuisine de Meneau est « baroque ». Ligne rythmique limpide mais riches ornements. 

Inclassable, Meneau avait malgré sa carrure et sa carrière, la fragilité des grands créateurs. Il avait dû affronter deux faillites avant d’aller retrouver en Chine, ce luxe que l’Hexagone n’était peut-être plus à même de lui apporter. L’ouverture d’un 7 étoiles prestigieux à Shanghai avait relancé l’homme pourtant à terre. Et c’était justice. Car Meneau fera à jamais partie d’une catégorie rare chez les chefs : celle des Grands Seigneurs.

Luc Dubanchet 


© www.thatsmags 
 
 

 

 

 

Marc Meneau en 5 dates

1966 : Reprend le bistrot familial à Vézelay 
1972 : Première étoile au Guide Michelin 
1983 : Troisième étoile au Michelin, 19/20 au Gault&Millau 
2015 : Seconde liquidation judiciaire de l’Espérance 
2016 : Ouverture du premier hôtel 7 étoiles à Shanghai 
 

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