Jules Niang : « Je joue le rôle de passeur »
Durant Sirha Omnivore 2022, Sirha Food s'est entretenu avec Jules Niang, chef de Petit Ogre à Lyon et initiateur du projet OLEL en Afrique, modèle de souveraineté alimentaire.
Durant Sirha Omnivore 2022, Sirha Food s'est entretenu avec Jules Niang, chef de Petit Ogre à Lyon et initiateur du projet OLEL en Afrique, modèle de souveraineté alimentaire.
Pouvez-vous nous décrire ta cuisine, à Petit Ogre, à Lyon ?
Dans l’idée, pour simplifier, on fait des passerelles entre ce qui se fait ici et ailleurs. J’ai deux terroirs, je suis né au bord du fleuve Sénégal, je suis mauritanien et ma mère est sénégalaise je suis entre les deux pays. A Lyon, je suis 200% lyonnais, c’est ma ville de cœur, mon terroir d’arrivée. Ce que l’on fait à Petit Ogre, c’est une cuisine de contrastes. J’aime combiner sans fusionner, je n’aime pas ce terme. J’aime l’éloge de la diversité, pour moi c’est ça la cuisine. On veut des éléments qui échangent dans l’assiette, qui sont valorisés. Cela fait dix ans que je suis à Lyon, je n’ai pas envie de quitter cette ville. La cuisine de contrastes, c’est un dialogue, faire voyager mais ne pas donner le vertige. J’essaie de les emmener le plus loin possible. Notre carte change tous les mois, on veut produire une nouvelle approche, comme si on changeait de restaurant tous les mois : la cuisine reste centrée sur le produit.
Il est difficile de parler de Petit Ogre sans évoquer le projet OLEL qui vous tient très occupé en Afrique. Vous distillez sur les deux tableaux, en cuisine disons et dans les fermes que vous développez.
Nous parlons de 4 fermes qui recouvrent environ une cinquantaine d'hectares et nous avons une quarantaine de salariés. Ils sont au milieu de trois villages et les salariés les font vivre et inversement. Ma valeur ajoutée dans ce type de projet, c’est de dire « ce que l’on fait du reste ? ». L’idée dans un premier temps n’est pas de ramener en France, une fois cette production lancée, je m’interroge aussi sur l’intégration de produits des fermes dans ce que je fais. On a pu créer une ligne de condiments, une ligne d’épicerie globalement. L’idée est d’ouvrir les portes, c’est possible. Ouvrir les champs des possibles, interroger le marché local, ressortir d’anciennes méthodes de locations, des logiques de transmission de savoir, car des connaissances se perdent. Une fois que tout cela est fait, l'excédent qu'est ce que l'on en fait ? Comment le faire passer dans la ligne d'épicerie ou dans le restaurant. Quelque part, je joue le rôle de passeur. A ce jour, nous sommes zéro déchet dans les fermes, tout est récupéré, rien n'est jeté, tout est reconditionné. Le champ est infini.
On parle ici de fermes, ce sont des lieux de vies, c'est ça qui m'intéresse, on peut poser ses affaires là, et se dire : qu'est-ce que je peux amener, apporter ici. Ce sont des lieux de partage, d'échange pour accueillir tout le monde. Je ne suis qu'initiateur, pas l'élément central. J'ai juste un apport comme chacun. Je dis que je ne suis pas central car il faut rester humble. Quelque part on essaie dans ces pays de suivre le modèle occidental, mais moi j'y suis dans ce modèle occidental et je sais ce que modèle rejette dorénavant. Nous ne sommes plus dans la logique de déguster des produits transformés, on aide les gens à suivre un modèle qui respecte l'environnement, les gens, et quand on obtient ce socle, après on réfléchit comment chercher le modèle occidental. Je ne suis pas le seul à faire vivre le lieu il faut le garder à l'esprit, il s'agit des paysans qui sont sur place.
Par Hannah Benayoun
Photographe : Nicolas Guillemot (WM)