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Rudy Guénaire, du steak au sketch

Le 17 June 2025

Co-fondateur de l’enseigne de burgers PNY, ce matheux de 38 ans a réalisé il y a quelques années son rêve d’enfant : ouvrir sa propre agence de design, où il dessine à la fois des lieux et des objets. 

Co-fondateur de l’enseigne de burgers PNY, ce matheux de 38 ans a réalisé il y a quelques années son rêve d’enfant : ouvrir sa propre agence de design, où il dessine à la fois des lieux et des objets. 

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Si le nom « PNY (Paris New York) » vous est familier, rien d’étonnant. L’enseigne, créée en 2012 par Graffi Rathamohan et son camarade de HEC Rudy Guénaire, a été l’un des acteurs phares de la « premiumisation » du burger dans l’Hexagone. Huit adresses quadrillent aujourd’hui Paris et la marque s’est développée à Strasbourg, Lille, Reims, Nantes, Lyon et Bordeaux. Selon Les Échos, le groupe a dégagé 18 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023, emploie 200 personnes et lorgne désormais la Suisse et la Belgique. 

À force de suivre les chantiers aux côtés d’architectes – du studio CUT à Paris au Belge Bernard Dubois, complice de six ou sept ouvertures – Rudy s’est convaincu qu’il pouvait passer de l’autre côté. Il crée donc Night Flight en 2022, clin d’œil au Vol de nuit de Saint-Exupéry (1931, Gallimard). « J’avais encore quelque chose d’inassouvi dans la tête », confiait-il à L’Officiel en 2023. À dix ans déjà, il assurait à ses parents qu’il serait designer ; un goût du beau nourri par une mère professeure de lettres classiques et un père avocat-essayiste, qui emmenaient la fratrie visiter musées et ruines aux quatre coins du monde. 

Peu lui importe de ne pas maîtriser la 3D : il travaille au crayon, persuadé que le trait prime sur le logiciel. Pour imaginer l’univers de ses restaurants, il plonge dans le cinéma – passionnée de l’absence de télévision à la maison et assouvie, à 17 ans, par une orgie d’Hitchcock, Kubrick, Bergman ou Lynch. « C’est facile de faire un beau lieu avec Pinterest et Instagram, tu créé un moodboard avec des éléments glanés à droite et à gauche, n’importe qui peut le faire, t’as pas besoin d’être profond. On commence à voir plein de restos qui se ressemblent tous… De mon côté, j’ai réfléchi à des lieux où raconter une histoire, un peu comme dans un film, une histoire vraiment unique ». 

Le résultat déroute : à Nantes, « on croirait qu'un hors-bord italien aurait perdu le nord et échoué dans les eaux turquoise des îles polynésiennes », écrit Yellowtrace ; à Grenoble, d’immenses hublots d’avion tapissent les murs. Rudy Guénaire assume une « petite passion pour le modernisme » et détaille : « après la Seconde guerre mondiale, dans les années 1950-196 il y a un moment assez cool, avec une société qui croyait encore les yeux fermés au progrès, au fait que le bonheur arriverait par ça et qu’il fallait inventer la maison de demain. On supprime alors les vieux décors de papy pour un truc plus aéré, plus lumineux. C’est l’époque où il y a cette espèce de naïveté avec des formes douces. Tu as plein de belles courbes, des obliques, des lignes pas droites, penchées, mais avec de la douceur ». Parmi ses références, l’Américain John Lautner, élève de Frank Lloyd Wright. Ne lui parlez pas de Philippe Starck en revanche, c’est son anti-modèle. 

 

Chaise Phoenix dessinée par Rudy Guénaire
 
Croquis de chaises par Rudy Guénaire
PNY Grenoble
© Ludovic Balay


Le patron de PNY conçoit lampes et porte-manteaux et rêve de signer des couverts : « très peu de beaux couverts existent, surtout modernes. Il n’y a pas de couverts mieux dessinés au monde que la collection Pearl de l’Autrichien Josef Hoffmann ». À l’image de Gio Ponti – « des mecs qui faisaient du graphic design, de la vaisselle, des immeubles… » – il touche à tout, mais se passionne surtout pour la chaise : « J’ai commencé à en dessiner sans trop savoir que c’était un des trucs les plus difficiles parce que tu n’as que des contraintes, de poids, de stabilité. Mais j’aime bien les équations avec pas mal d’inconnues. Ma chaise Phoenix par exemple, elle est quand même propre, construite autour de deux feuilles d’aluminium. C’était pour le PNY de Grenoble, un éditeur de meubles, La Chance, m’a appelé pour en proposer une version. La chaise Beau Rivage, elle est cool également, tu as l’impression que ça vient du passé mais ça fait un peu futuriste aussi, tu es un peu perdu dans le temps ». 

PNY nantes 
© Ludovic Balay


Autre passion : le bois. « J’adore ça et évidemment, je suis attiré par les bois riches et précieux. Je reviens du Brésil et j’ai découvert le jacaranda que tu ne peux plus couper, symboliquement, c’est l’équivalent de l’éléphant en Afrique. Mais c’est un bois d’une beauté irréelle, un bois un peu sombre, un peu rouge où il se passe une infinité de choses. C’est vraiment l’anti-chêne, le bois le moins excitant qui soit. Et puis le bois, tu as ce côté puissant, féminin. Il n’y a rien de plus immense et pourtant, les vibrations sont positives, chaleureuses. Ça m’arrive de tomber sur des clients qui me disent détester le bois. C’est comme si tu détestais les frites, les confitures ou le soleil ! ». 

Selon lui, on ne parle pas assez de la lumière au restaurant : « C’est ultra important mais en France, on ne sait pas trop faire, contrairement à Bruxelles ou Copenhague, par exemple. Les seuls qui font bien ça ici, c’est Studio KO, à l’origine de Chiltern Firehouse à Londres, une ancienne caserne de pompiers. Les Anglo-saxons mettent les moyens financiers, font appel à des LED designers qui prennent tous les matériaux et passent ça dans un logiciel un peu complexe ». Dans son appartement parisien, il a fixé des appliques de Miguel Milá garnies d’ampoules Soraa, « les meilleures du monde ! ». 

Libre, il se tient à l’écart des tendances : « Je ne suis pas trop les nouveautés, ça me fatigue et j’ai besoin de vivre un peu dans mon monde ». Une uniformisation planétaire qu’il déplore : « ç’est la grande tristesse : tu te tapes treize heures d’avion et tu tombes sur le même coffee-shop. Ça m’atteint psychologiquement ». Son récent périple brésilien, pays encore peu influencé par l’Occident, lui a ainsi paru salutaire. À São Paulo, le Seen de l’hôtel Tivoli l’a « mis par terre ». « On se croirait un peu dans Batman ». En Europe, il salue la direction artistique du groupe londonien Bao : « En direction artistique de restauration en Europe, ce sont les plus forts selon moi ». 

Si tout finit par se ressembler, c’est aussi, assure-t-il, à cause de normes toujours plus strictes : « Il y a des matériaux qui doivent désormais être sur des ERP (établissements recevant du public) pour que le sol ne soit pas glissant. Avant, on se moquait des normes, c’est pour ça que tous les hôtels deviennent moches : ils utilisent de l’oberflex, un bois recouvert de plastique qui est immonde et qui coûte plus cher car ‘anti-feu’, idem pour les banquettes en tissu elles aussi ‘anti-feu’… Ensuite, il y a la question du prix : les gens vont dans des églises et admirent des sols en marbre qui ont des patines incroyables. Un vrai comptoir en zinc dans un bistrot, ça se garde 130 ans. Mais comme les fonds d’investissement regardent à 5 ans… C’est pour ça que je reste fasciné par ces espèces de moments dans l’histoire de l’humanité, comme Notre-Dame de Paris, où des gens ont mis des moyens colossaux pour faire des choses extraordinaires. On oublie un peu ça aujourd’hui ». 

Par Pomélo