Please ensure Javascript is enabled for purposes of website accessibility La boulangerie pousse les bornes (de commande) | Sirha Food

La boulangerie pousse les bornes (de commande)

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Par Rémi Héluin

Alors que la digitalisation du parcours client sest imposée chez lessentiel des opérateurs de la restauration rapide, la boulangerie semble faire de la résistance. Les bornes de commande y demeurent peu implantées, en raison notamment de la nature même du commerce, concentré autour des vitrines et des produits préparés à lavance. Avec la montée en puissance du snacking, la nécessité de servir rapidement la clientèle en heure de pointe et les habitudes numériques des nouvelles générations, de tels outils pourraient malgré tout trouver leur place au sein des boutiques.

La boulangerie n’est toujours pas un établissement de restauration rapide comme les autres. C’est ce qu’il ressort du constat que l’on peut réaliser sur le terrain, autant au sein des grandes enseignes que chez des boulangers indépendants. Plusieurs acteurs du marché ont réalisé chez expérimentations autour de la borne de commande, sans concrétisation massive pour l’heure. « Ces équipements peuvent séduire un public jeune, très tôt habitué à la commande digitale », défend Nicolas Sieller, président de Synapsy, une entreprise spécialiste de l’encaissement au sein des métiers de bouche. Au sein de ces nouvelles générations de consommateur, une forme d’ « isolement social » se déploie, avec une accélération marquée suite à la pandémie de Covid-19. Des études sociologiques menées aux Etats-Unis dévoilent que le temps moyen consacré aux interactions sociales a diminué de l’ordre de 20% sur le territoire américain entre 2000 et 2024. Cette contraction des échanges avec autrui atteint même 40% chez les adolescents. L’Europe n’est pas épargnée par le phénomène, générant de possibles affections en terme de cohésion sociale. Si le défi s’impose à l’échelle de la société, il est tout aussi prégnant pour les commerçants, qui doivent adapter leur façon d’accueillir le public.

Un commerce de vitrines face au reflet d’une société en changement

Alors que la boulangerie était considérée comme un lieu de rencontre et de socialisation, elle pourrait prendre le même chemin que le reste des entreprises de restauration ou de vente au détail. « Au delà du parcours client au sein du point de vente, c’est la totalité de la relation qu’entretient un client avec le commerçant qui se réinvente. Pour confirmer cela, un de nos clients nous racontait une anecdote insolite : il reçoit fréquemment des commandes à livrer… dans les étages du même bâtiment ! Plutôt que de descendre en boutique, certains consommateurs préfèrent recevoir leurs produits directement chez eux, malgré la proximité géographique », témoigne le dirigeant. La nature même du mode de vente des spécialistes du pain et de la gourmandise demeure cependant sensiblement différent à celui d’un restaurateur : si ces derniers fabriquent à la commande, les boulangers préparent quant à eux les produits bien en amont de la consommation. « La boulangerie est un commerce de vitrines », confirme Nicolas Sieller. Cela signifie que l’utiliser une borne de commande prive les produits de leur meilleur argument : la démonstration visuelle de leur fraicheur et de leur qualité, offerte par leur présence physique sous les yeux des clients. Au sein de l’enseigne Brioche Dorée, le nouveau concept de magasin, en cours de déploiement au fil des rénovations et ouvertures de point de vente, exclut pour l’heure le recours aux bornes de commande pour préserver ce contact entre le produit et le client. Cependant, pour de telles entreprises, l’outil recèle des qualités utiles aux opérations. Au contact d’une clientèle internationale, elles permettent de servir sans barrière linguistique, tout en menant les opérations de vente additionnelle peu évidentes lorsque l’on s’exprime dans une langue étrangère. L’enseigne BO&MIE, qui compte six boutiques à Paris et plusieurs implantations en région comme à l’international (Aix-en-Provence, Séoul, Jeddah…), a ainsi déployé des bornes de commande dans plusieurs unités de son parc. Si leur utilisation demeure limitée en heures creuses, elles se révèlent utiles sur la période du déjeuner, particulièrement stratégique pour cette typologie d’acteurs. « Les clients perçoivent ces équipements comme des coupe-file », confirme Nicolas Sieller. En réalité, la borne de commande trouve tout son sens dans des établissements poussant plus loin les curseurs de l’hybridation, avec une offre de cuisine préparée minute, en permettant de différencier les flux entre les clients venus commander un produit présenté en vitrine ou une référence fabriquée à la demande.

Des artisans face aux difficultés de recrutement

Autre argument de poids, la lourde tâche que représente le recrutement, la formation et la fidélisation des équipes de vente. Face aux contraintes et charges pesant sur les épaules des boulangers, la tentation de se passer -totalement ou partiellement- du personnel de vente pourrait prendre de l’ampleur. La borne de commande deviendrait alors la clé de voute d’une boutique autonome, sans présence humaine. Bien loin d’être de la science-fiction, le format a déjà été adopté par des chefs d’entreprises tels que Marie et Frédéric Rat, installés à Pommeret (22). Leur boutique Délices des Anges s’est réinventée pour adopter ce format, réduisant la complexité d’exploitation du commerce. Une preuve supplémentaire que le digital n’a pas fini de réinventer l’expérience de vente, y compris dans un métier traditionnel tel que la boulangerie… permettant aux bornes de dépasser toutes les frontières.