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Après le menu à quatre mains, le menu hommage ?

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Par Pomélo

On l’a vu, revu et trop vu : le menu à plusieurs mains qui, le temps d’une soirée spéciale, réunit au restaurant les cuisines de deux chefs ou plus. Une manière pour ces derniers — souvent amis — de se revoir, d’animer la vie de l’établissement et de faire parler de celui-ci dans les médias. Quand un général de la haute gastronomie est moins à la mode, un menu partagé avec une toque fraîchement aperçue dans l’émission Top Chef lui sert d’élixir de jeunesse ; de son côté, le cuisinier passé par la case téléréalité prouve qu’il est crédible ailleurs que dans la petite lucarne puisqu’il pose aux côtés d’un « grand » des fourneaux. Même topo lorsqu’un chef ambitieux, « bloqué » à une étoile Michelin, s’acoquine avec un confrère doté d’un astre rouge supplémentaire. Cela signifie en creux : « Regardez, je suis adoubé par plus grand que moi ; c’est ce que je vaux, ou en tout cas, là où je vais. » 

Le menu à plusieurs mains vivra toujours, mais il ennuie — à commencer par les journalistes gastronomiques —, car il ne s’agit bien souvent que d’un coup de com’ et, dans la majorité des cas, de la superposition de deux réflexions superposées et non d’une seule, commune. Aujourd’hui, il y a les « collabs » qui jouent le même rôle : on croise deux noms ou deux lieux pour aboutir à un mélange d’univers. Il peut s’agir de deux territoires (la cuisine française bourgeoise et végétale du Faubourg Diamant et la cuisine chinoise moderne de Bao Family, par exemple) ou de deux genres de restauration (la table gastronomique étoilée Septime et les burgers de Dumbo). 

Au détour de recherches, on est tombés sur l’annonce de l’ouverture du restaurant Le Chateau Royale (oui, orthographié ainsi) prévue pour le printemps 2025 à New York, et on s’est dit qu’il existait bel et bien une troisième voie : le menu hommage — tribute, diraient les Américains. Cette future table se veut une célébration des restaurants français emblématiques qui existent, ou ont existé, dans la Grosse Pomme comme dans l’Hexagone. La carte proposera ainsi une version de la sole grillée, sauce au beurre et à la moutarde, du célèbre restaurant La Grenouille, créé en 1962 : « Des vacances en une bouchée, elle changera votre humeur », avait loué un critique culinaire du New York Times. 

Mais ce n’est pas tout : Le Chateau Royale prévoit également de faire sortir de ses cuisines un autre grand plat, venu d’un autre grand restaurant : les escalopines de bar au caviar et émincé d’artichauts de L’Ambroisie, à Paris, couronné de trois étoiles Michelin depuis 1986. Ce ne sera sans doute pas exactement la même chose — de toute façon, les recettes ne peuvent être protégées — seule une technique très spécifique ou un nom peut prétendre à un copyright. Le Chateau Royale ira même plus loin dans le clin d’œil, jusque dans le décor : la salle devrait s’inspirer des « détails vintage et des banquettes en velours » de Lutèce, adresse mythique des années 1960-1970. 

Certains d’entre vous rétorqueront, à juste titre, que l’hommage existe depuis longtemps (combien de lieux proposent une purée bien beurrée « façon Joël Robuchon » ?), mais il s’agit ici d’un hommage appelé à devenir un axe fort de la cuisine du restaurant, voire le pilier de son ADN. Le passé n’est donc pas un vilain mot, surtout à une époque qui vénère le vintage et la nostalgie. Dans son restaurant Table, le chef étoilé Bruno Verjus ne sert-il pas, au dessert, la tarte aux pralines roses mise au point par Henry Cornil pour Alain Chapel, monstre sacré de la gastronomie française (et auteur du fameux livre La Cuisine, c’est beaucoup plus que des recettes, publié en 1980 chez Robert Laffont) ? 

On peut même s’amuser avec le passé, y compris avec des personnes que l’on ne connaît pas, car, comme le disait le fondateur de la chimie moderne Antoine Lavoisier (1743-1794), « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». À l’heure où l’on parle de plus en plus des femmes en cuisine, pourquoi ne pas jeter un œil au travail de Marie Bourgeois, dite la mère Bourgeois, grande dame de la cuisine des années 1920 ? Et pourquoi ne pas se pencher sur ces anciennes maisons trois étoiles Michelin (en 1931, les toutes premières du guide) totalement tombées dans l’oubli : Hôtel de la Poste, Pernollet, Besançon, Charreton, Chalet du Lac, Jouve, Saint-Nicolas, Parendel, Mallet, Hostellerie Chavant, Voizard… 

Plonger dans les archives peut être un acte résolument moderne lorsqu’on le fait avec les codes de 2025. On vous recommande d’ailleurs de faire un tour à la Librairie Gourmande, à Paris (50, rue Vavin, VIe), forte de 20 000 références consacrées à la gastronomie et au vin. Sa patronne, Déborah Dupont-Daguet, est un puits de science qui prend le temps de répondre aux requêtes les plus pointues. Et si vous êtes libre les 14 et 15 juin prochains, toujours dans la capitale, ne manquez pas la troisième édition du Salon du livre de cuisine ancien et moderne (Petite Halle aux Chevaux, 104, rue Brancion, XVe, de 10 h à 18 h). 

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