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Karine Hyon-Vintrou, L’éducation permanente

Le 02 July 2025

Du 9 au 13 juin dernier à eu lieu, à Nice, la 3ème Conférence des Nations Unies pour l’Océan (UNOC3) sur la protection de l’environnement marin contre le réchauffement climatique, les pollutions de diverses natures et la surexploitation des ressources marines. Comment École Ducasse, qui forme chaque année 1 200 élèves aux métiers de chef et de restaurateur, sensibilise-t-elle cette nouvelle génération à la raréfaction des ressources et à la préservation des mers dans les cuisines et sur les tables? Entretien avec Karine Hyon Vintrou, directrice générale de École Ducasse, dont Transgourmet est partenaire du Campus Paris depuis son inauguration en novembre 2020.

Du 9 au 13 juin dernier à eu lieu, à Nice, la 3ème Conférence des Nations Unies pour l’Océan (UNOC3) sur la protection de l’environnement marin contre le réchauffement climatique, les pollutions de diverses natures et la surexploitation des ressources marines. Comment École Ducasse, qui forme chaque année 1 200 élèves aux métiers de chef et de restaurateur, sensibilise-t-elle cette nouvelle génération à la raréfaction des ressources et à la préservation des mers dans les cuisines et sur les tables? Entretien avec Karine Hyon Vintrou, directrice générale de École Ducasse, dont Transgourmet est partenaire du Campus Paris depuis son inauguration en novembre 2020.

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Interview précédente

École Ducasse se sent-elle concernée par cette Conférence des Nations Unies pour l’Océan, et plus largement par les enjeux environnementaux?

Oui, absolument, ces enjeux sont au cœur de ce que l’on enseigne à nos étudiants au quotidien, comme la durabilité, la défense de la planète et la protection de l’environnement et notamment celle des océans. Aujourd’hui, notre ambition en tant qu’école est de former des chefs entrepreneurs, manageurs et aussi des citoyens de demain. Notre approche pédagogique est donc vraiment holistique. Cela va au-delà du simple enseignement de la technique culinaire de haut niveau. On leur apprend aussi à gérer un établissement et à acquérir un savoir-être, on leur transmet la culture du goût et un engagement éthique dans ce contexte de transition écologique.

Cet engagement n’est ni une «coquetterie» ni une façon de céder au discours ambiant?

Non, pas du tout. Chez nous, pour le coup, cet engagement est très ancré. Nous partageons l’ADN du chef Alain Ducasse, le créateur de cette école, c’est-à-dire une philosophie de cuisine durable, de saison et de naturalité avec la réduction des protéines animales et la valorisation du végétal, une cuisine raisonnée, donc tout ça se traduit très facilement en termes pédagogiques par une approche éco-responsable. On a un restaurant d’immersion certifié Ecotable, qui incarne les engagements concrets de l’école sur le plan environnemental. Tous nos élèves de Bachelor doivent passer dans ce restaurant d’immersion afin de bien mesurer la faisabilité dans la vie réelle de tous les principes enseignés ici.

Si on entre dans le détail, comment les menaces qui pèsent sur les océans sont-elles intégrées aux programmes et à la pédagogie?

La connaissance et la gestion des ressources halieutiques font partie intégrante des cours. Les étudiants travaillent sur la liste des espèces menacées afin de les initier à la saisonnalité. L’École collabore avec Mathieu Chapel, un artisan, pêcheur et mareyeur, très engagé dans la pêche artisanale et durable qui leur enseigne les différentes techniques de pêche pour bien comprendre quel est l’impact de chacune sur la destruction des fonds marins et sur la reproduction des espèces. Il leur apprend aussi comment tisser une relation de confiance entre chefs et pêcheurs. Les étudiants apprennent avec lui les techniques de préparation comme l’ikejime. L’École travaille également avec un poissonnier qui enseigne aux étudiants les techniques de maturation et de conservation des produits, avec ou sans glace. Ensemble, notre pêcheur et notre poissonnier habituent les futurs chefs à sélectionner puis travailler des poissons moins nobles et peu exploités comme les merlus, les lieus ou encore les sardines et maquereaux riches en oméga-3, donc bons pour la santé. Un vrai travail est aussi réalisé pour expliquer aux étudiants les techniques pour réduire au maximum les déchets, comment réutiliser les arêtes et les têtes pour faire des fumets de poisson ou des gélifiants. Notre objectif, dans nos cuisines, est de montrer aux élèves que l’on doit traiter et conserver les ressources des océans comme quelque chose de «sacré»; on leur répète sans cesse que les mers et océans ne sont pas des supermarchés, donc nous essayons de tout faire pour les inscrire dans une démarche raisonnée.

Vous avez été appelée pour accélérer le rayonnement international de l’Ecole mais comment vous vous assurez que les pays avec lesquels vous collaborez partagent vos convictions?

Les cours sont transmis à nos écoles partenaires. Ainsi, lorsque l’on s’engage en Thaïlande, en Inde, aux Philippines ou à Abou Dabi, on s’assure que le partenaire mette en place les mêmes standards que nous nous appliquons ici en France dans nos différentes écoles. Il y a des audits qui sont faits de façon annuelle pour nous assurer que tout le monde observe ces mêmes principes si chers à notre enseignement. Certes il y a des pays qui ont un peu plus de mal à l’appliquer car il est moins facile de trouver, par exemple, tous les produits. Nous allons ouvrir une antenne au Kazakhstan et on travaille énormément avec notre partenaire pour arriver à adapter les produits pour qu’ils ne se sentent pas obligés, en fonction des recettes, d’aller chercher des ingrédients à forte empreinte carbone mais qu’ils soient plutôt incités à se procurer des produits locaux de substitution.

Vous sentez que le regard de cette nouvelle génération sur les questions environnementales est différent, avec une plus grande prise de conscience?

Oui, très clairement. Ces jeunes entre 18 et 25 ans sont nés avec ces préoccupations, ils ont grandi avec des personnalités telle que Greta Thunberg. Pour eux, la protection de la planète et des océans n’est plus une question, c’est juste un fait, une réalité. Avec les jeunes, il y a toujours cette complexité de se dire «on sait ce qui est bien pour l’environnement» mais après, est-ce que l’on se l’applique à soi-même?

Sentez-vous que cette génération est inquiète à cause de ces problématiques?

Non, je ne dirais pas que les élèves soient profondément inquiets, mais plutôt engagés et optimistes. Notre chance, c’est aussi de pouvoir leur enseigner un métier où tout ça est très tangible, cela leur permet tout de suite de mettre en application leur vision et ce qu’ils ont envie de faire. C’est cette génération qui va nous aider à embrasser cette transition écologique, car la question du respect des ressources est, pour les étudiants qui la compose, une vérité absolue.

Propos recueillis par Jean-Pierre Montanay

Photos par Franck Juery