Please ensure Javascript is enabled for purposes of website accessibility Ouverture 7j/7 contre fermeture hebdomadaire, discorde sensible chez les boulangers | Sirha Food

Ouverture 7j/7 contre fermeture hebdomadaire, discorde sensible chez les boulangers

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Par Rémi Héluin

Dans plus de la moitié des départements Français, les jours sans pain sont désormais de l’histoire ancienne. L’arrêté imposant une fermeture hebdomadaire des boulangeries a été abrogé dans 54 territoires, sous l’impulsion de la Fédération des Entrepreneurs de Boulangerie (FEB) et de ses adhérents. Une évolution réglementaire qui continue d’entretenir les craintes de la filière artisanale, attachée à cette mesure devant protéger les plus petites structures. Précieux héritage du passé ou entrave à la liberté d’entreprendre, le sujet continue de diviser. 

A l’occasion de la fête du Travail, le premier mai dernier, tous les boulangers semblaient parler à l’unisson : plus question de leur imposer un jour chômé, ce dernier nuisant à la pérennité de leurs entreprises. S’ils bénéficiaient jusqu’alors d’un flou juridique concernant leur capacité à ouvrir sur cette journée, des contrôles réalisés en Vendée en 2024 avaient mis en lumière le fait que le pain semblait considéré comme un produit non-essentiel aux yeux de l’inspection du travail. Les craintes de potentielles sanctions ont découragé l’essentiel des professionnels, gardant leurs portes closes pour ce 1er mai 2025, dans l’attente d’une potentielle évolution réglementaire pour l’année prochaine. 

Des fermetures imposées pour protéger, une idée dépassée ? 

Certains réseaux de boulangerie ont généralisé l’ouverture 7j/7, à l’image de Feuillette. Cela se justifie notamment par le développement des activités de restauration rapide, dont les autres acteurs ont adopté la pratique de longue date. « De par leur visibilité, les réseaux sont très exposés aux potentiels contrôles de l’Inspection du travail, ce qui les pousse à respecter les arrêtés en vigueur », rappelle Paul Boivin, délégué général de la FEB.

La chose semble bien moins évidente du côté du jour de fermeture hebdomadaire, encore soutenu par la Confédération Nationale de la Boulangerie-Pâtisserie Française (CNBPF). Le dispositif date de 1919, année au cours de laquelle une loi a permis la mise en place d’arrêtés préfectoraux imposant à l’ensemble des commerces vendant du pain, qu’ils soient artisans, dépôts, terminaux de cuisson ou rayons de supermarché, un jour de fermeture hebdomadaire. L’objectif : préserver l’équilibre économique entre les acteurs de la filière, permettant la répartition naturelle de la clientèle entre les points de vente, tout en offrant aux chefs d’entreprise autant qu’à leurs équipes un repos précieux. Autant d’arguments mis à mal par la réalité du terrain, selon Paul Boivin, délégué général de la FEB : « Le client consomme dans tous les cas au sein de sa zone de chalandise naturelle, ou sur son trajet domicile-travail. Il va ensuite arbitrer en fonction de la qualité des boulangeries qui s’y situent, sans considérer le sujet de la fermeture hebdomadaire ». 

Il n’en demeure pas moins que la Fédération doit faire entendre ses arguments devant les tribunaux, pour obtenir la suppression des fameux arrêtés. « Ce dogme est désormais dépassé, poursuit le représentant. Toutes les dispositions de cette époque ont disparu, à l’image de la réglementation des congés. La jurisprudence administrative va dans notre sens, et près de 35 millions de Français, dans 54 départements soit 54% du territoire, peuvent désormais bénéficier de l’ouverture 7j/7 de leurs boulangeries ». L’ensemble de la façade Atlantique est désormais concerné, et quelques zones de résistance demeurent pour des raisons politiques, notamment autour de l’arc méditerranéen. 

Le « 7/7 », un sujet à capter 5/5 pour s’adapter à la réalité propre de chaque entreprise 

A contre-courant de la tendance qui pousserait à ouvrir plus pour développer l’activité, certains artisans continuent à faire le choix de privilégier leur confort de vie en ouvrant seulement quatre jours par semaine… y compris dans des départements où l’arrêté interdisant l’ouverture 7j/7 a été abrogé.

Liberté d’ouverture ne signifierait pas pour autant généralisation de la pratique. Pendant la période Covid, les pouvoirs publics avaient mis en œuvre une dérogation temporaire, permettant à l’ensemble des boulangers d’ouvrir leur commerce toute la semaine. De nombreux artisans avaient alors adopté ce mode de fonctionnement, permettant de palier partiellement à la perte d’activité liée aux confinements. Si certains y ont pris goût, allant même jusqu’à adopter définitivement le « 7/7 » y compris dans des départements soumis au fameux arrêté, d’autres sont revenus en arrière… allant même jusqu’à augmenter le nombre de jours de fermeture après la pandémie. En cause, les importantes difficultés de recrutement et de fidélisation observées dans la filière.  

Franck Thomasse, président du Syndicat des Boulangers du Grand Paris (qui rassemble Paris et sa petite couronne), œuvre dans un territoire où le jour de fermeture hebdomadaire est toujours en vigueur. A l’automne 2024, la cour administrative d’appel de Paris a même confirmé la validité de l’arrêté préfectoral local, attaqué par la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) et la Fédération de l’épicerie et du commerce de proximité (FECP). Les deux organisations, qui représentent notamment les supérettes, revendiquent une position dominante sur la vente de pain dans la capitale et souhaiteraient permettre à leurs adhérents d’en proposer sans interruption. La mesure conserve ainsi un précieux et emblématique bastion, avec le risque de déplaire à la clientèle : selon un sondage réalisé en février 2020 par l’IFOP, 62% des sondés estimaient que les boulangeries à Paris devraient avoir la possibilité d’ouvrir tous les jours. « Permettre une ouverture 7j/7 altérerait les conditions de travail des boulangers et de leurs équipes, autant que l’attractivité du métier », défend Franck Thomasse. Le président doit cependant composer avec un nombre croissant de contrevenants à la règle… en reconnaissant que ses moyens d’action demeurent limités. Le Syndicat a ainsi renoncé à poursuivre les entreprises proposant du pain tous les jours de la semaine, ce qui impliquerait de mobiliser des frais de procédure et de contribuer à l’encombrement du système judiciaire. Au-delà de l’aspect juridique, ce choix pourrait simplement relever du bon sens. « La population d’artisans et d’entrepreneurs évolue considérablement en boulangerie. Nous évoluons désormais avec de jeunes professionnels qui souhaitent plus de liberté, afin de bâtir sans entraves leur propre business-model, en fonction de leurs envies et de leur environnement concurrentiel », observe Paul Boivin. 

Bien loin de l’image d’une boulangerie à deux vitesses, écrasant les artisans indépendants, cette nouvelle liberté devrait donc permettre à chacun de s’épanouir et d’être stimulé par la concurrence. Un horizon qui ne semble pas encore proche de nous, tant la guerre des modèles semble être nourrie par les différents acteurs en présence… alors même qu’il faudrait sans doute tout faire pour chasser en meute, se capter 5/5 et mieux défendre les métiers du pain, bien au-delà du fameux « 7/7 ».