La cuisine philippine aiguise les appétits
Par Pomélo
Des Philippines – ses 7 000 îles et 116 millions d’habitants – les Français connaissent encore peu de choses. C’est pourtant le répertoire culinaire qui pourrait bientôt « boomer » chez nous. Ailleurs, il cartonne déjà, notamment à Londres, souvent en avance de quelques années sur la scène hexagonale.
L’excitation londonienne démarre en 2017 avec l’ouverture du glacier Mamasons et ses parfums dépaysants : sorbets calamansi (agrume), guyabano (fruit tropical) et, bien sûr, ube, tubercule violet à la teinte lavande, proche de la patate douce. L’ube rivalise désormais avec le matcha dans les coffee shops (y compris à Paris, avec Kapé depuis 2024), d’autant qu’il coûte moins cher. Fini la niche : même Pret A Manger s’y est mis. Chez Mamasons, on le retrouve en halo-halo – dessert culte à base de glace pilée, lait concentré et garnitures sucrées (haricots rouges, flan, coco, gelées…) – ou en bilog, un sandwich au pandesal (pain moelleux philippin) toasté.
Le sandwich devient si populaire que la cofondatrice, Florence Mae Maglanoc, ouvre quatre ans plus tard une véritable boulangerie, Panadera, et relance le buzz avec une version garnie d’une croquette de corned-beef (poitrine de bœuf saumurée puis effilochée), ketchup au calamansi, aïoli, oignons croustillants et laitue. Elle boucle ensuite la boucle avec un restaurant, Donia, où le menu affiche logiquement l’adobo (plat national fait de viande, volaille, poisson ou légumes braisés au vinaigre et au soja) décliné en croquettes. Le critique du Financial Times est sous le charme : « Elles étaient extraordinaires, ce qui m’a incité à revoir radicalement mes objectifs de vie et à passer plus de temps à manger de l’adobo ». Le Guide Michelin, qui référence l’établissement, salue des saveurs acidulées et sucrées, notamment un cochon de lait servi avec une « délicieuse sauce au foie et au poivre ». Pendant ce temps, l’associé historique de Florence Mae Maglanoc, Omar Shah, poursuit l’essor du groupe Maginhawa, l’une des belles success stories récentes, avec neuf enseignes valorisant principalement les influences philippines, jusqu’à une marque de ramen (Ramo).
Au-delà de ces marqueurs acidulés-sucrés, la force de la cuisine philippine tient à ses sauces. Comme l’expliquait en 2024 Yasmin Newman, autrice de 7000 Islands (Hardie Grant Books, 2018), dans le Guardian : « Aux Philippines, la cuisine est une affaire de personnalisation. Vous ne trouverez jamais un plat unique par personne comme dans les restaurants occidentaux (…) Les convives partent d’une assiette vide et choisissent leur propre aventure culinaire ». Cette manière interactive inclut les sawsawan, ces sauces faites pour tremper : « Regardez, et vous verrez les Philippins tremper tout, du petit-déjeuner aux collations nocturnes. Imaginez du kawali de porc croustillant arrosé d’un mélange acidulé de vinaigre local et d’ail, ou des mangues vertes croquantes servant à ramasser du bagoong (pâte de crevettes) collant ». Ces pratiques trouvent leur origine dans les communautés tribales où le repas est collectif.
Si vous prenez l’Eurostar, ajoutez Turo Turo à votre liste : un restaurant philippin moderne spécialiste du barbecue. Cela dit, pas forcément besoin de traverser la Manche pour goûter les Philippines : à Paris, la cheffe Erica Paredes s’est fait un nom avec son bistrot rock Reyna. À la carte : une burrata plongée dans un mélange très pimenté en entrée, et une pavlova d’anthologie où la meringue rencontre fraises et grenade et surtout une crème de pandan (plante star d’Asie du Sud-Est) aux accents vanillés qui lie l’ensemble. Les Philippines ont décidément plus d’un tour dans leur sac.