De l’or en beurre : la matière grasse victime de sa hausse des prix
Par Rémi Héluin
Photo (c) Marine Le Gac
Dans le courant de l’été, les rumeurs d’une pénurie de beurre ont ravivé les craintes de tout un secteur. Ce produit incontournable pour la réalisation de viennoiseries et pâtisseries est malmené par le dérèglement climatique et les problématiques de la filière laitière, dans laquelle les éleveurs dénoncent fréquemment la faible rémunération de leur travail. Alors que les cours mondiaux frôlent les sommets, la fidélité à cette matière première, pourtant ancrée dans les habitudes, commence à être remise en cause, maîtrise des coûts oblige.
C’est une accalmie bienvenue dans un horizon qui semblait profondément sombre. Depuis la rentrée, les cours européens du beurre ont reflué de façon significative, dans le sillage des marchés américains et néo-zélandais. En l’espace de quelques semaines, la cotation du beurre industriel est passée de près de 7 000 euros la tonne à moins de 5 500, avant de d’observer un léger regain pour atteindre environ 5 700 euros/t. Cette contraction marquante est le fruit de plusieurs facteurs : la collecte laitière a progressé outre-Atlantique et en Océanie, qui sont des acteurs majeurs de ce marché à l’échelle du globe, et s’est stabilisée sur le continent européen. Ce mouvement a été favorisé par l’augmentation des tarifs, poussant certains opérateurs à accroître leur production… générant, à terme, un nouveau cycle baissier du fait de l’abondance d’offre. « Au-delà du prix, la volatilité des cours est problématique », observe Laurent Chupin, directeur général du syndicat des laiteries Charentes-Poitou, qui porte la fameuse Appellation d’origine protégée (AOP) sur le beurre issu du territoire. Ces variations ne permettent pas aux entreprises de construire leurs coûts de production sur le temps long, ce qui génère des incertitudes néfastes à l’activité économique. Ainsi, les boulangers ont vu le prix du beurre dépasser allègrement les 10€/kg pour certaines références, alors que ces mêmes produits se négociaient autour de 7€/kg début 2024. Ces prix élevés expliquent en partie l’embellie observée sur les marchés : ils ont généré une baisse de la demande chez une partie des utilisateurs. Des filières telles que l’AOP Charentes-Poitou exercent un effet d’ « amortisseur » sur la hausse des prix, grâce à des contrats de long terme passés avec les agriculteurs. « Nous avons un rôle protecteur pour les producteurs, les utilisateurs et les transformateurs. C’est un atout important qu’il faut soutenir : si l’usage de notre beurre venait à décrocher, nous ne pourrons plus jouer ce rôle, ni maintenir la vivacité de notre territoire », prévient Laurent Chupin.
La matière grasse n'est plus la vache à lait des agriculteurs
En France, malgré une légère baisse de la collecte laitière (-0,5% depuis début 2025), la production de beurre s’est révélée dynamique, ce qui a permis de mieux approvisionner les utilisateurs. Cependant, du côté des producteurs, la valorisation de la matière grasse laitière est jugée insuffisante. La Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL), syndicat majoritaire parmi la profession, interpelle régulièrement les industriels sur le sujet. Selon eux, la rémunération demeure calquée sur des modèles dépassés, issus d’une époque où le lait était moins coûteux. Une telle situation ne les incite pas à développer leurs volumes de production, ce qui serait nécessaire dans un contexte où la France importe des quantités croissantes de beurre pour répondre à la demande intérieure. Cela soulève une réelle problématique de souveraineté alimentaire, mais également de fidélité des transformateurs vis à vis de l’origine France. De plus, les transformateurs de lait ont tendance à orienter les volumes vers le fromage plutôt que le beurre, ce dernier générant des co-produits, tels que la poudre de lait, qu’ils peinent à valoriser. Les éleveurs ont aussi du mal à être entendus dans un contexte où leurs coûts de production ont eu tendance à baisser, du fait de l’inflexion du cours des céréales notamment.
Au delà des prix, l’avenir semble complexe pour l’ensemble de la filière laitière. Entre changement climatique, multiplication des crises sanitaires (la fièvre catarrhale ovine a généré de grandes inquiétudes cette année, notamment) et difficultés pour transmettre les exploitations agricoles, les risques de voir les volumes de collecte diminuer à moyen et long terme sont réels. « Il est fondamental de prendre en compte les facteurs environnementaux pour continuer à faire évoluer la production laitière, qui répond aux besoins alimentaires de la population », défend-t-on au sein du syndicat des laiteries Charentes-Poitou, qui s’engage également pour améliorer l’attractivité de sa filière auprès des nouvelles générations. L’AOP a renouvelé son cahier des charges pour mieux encadrer la production du lait et dépasser les exigences légales : autonomie alimentaire des exploitation, interdiction des OGM et additifs chimiques, … autant d’engagements forts au service de la santé humaine mais aussi de la planète.

(c) DR
Hausse des prix, diversification, remplacement… les stratégies d’adaptation se multiplient
Les problématiques de la filière et ses engagements demeurent mal compris par les boulangers-pâtissiers, qui doivent mener des arbitrages complexes afin de préserver leur rentabilité dans un contexte de hausse généralisée du coût des matières premières. Même si les artisans ont fait évoluer le prix de vente de leurs viennoiseries et pâtisseries, nombre d’entre eux n’ont pu répercuter que de façon partielle les augmentations tarifaires subies. Il faudrait parfois proposer le croissant à 2€ pour réaliser une marge convenable, ce qui demeure inentendable pour beaucoup, le seuil psychologique de 1,50€ -fréquemment atteint- semblant s’imposer… Les chefs d’entreprise sont alors contraints à une gymnastique complexe, en développant notamment des références mieux valorisées, à l’image de la viennoiserie créative, pour compenser et conserver des produits iconiques accessibles. Il ne s’agit pas de la seule option à leur disposition. Les alternatives au beurre se révèlent également toujours plus séduisantes pour réduire le coût matière. Elles s’appellent St Allery ou Mimetic et intéressent d’ores et déjà les industriels, qui s’attellent à développer de nouvelles options peu coûteuses pour leurs clients. Dans le courant de l’été, plusieurs médias grand public se sont émus de la possible irruption de ces ingrédients, considérés comme moins nobles que le beurre de par leur composition associant matières grasses végétales (palme, colza, tournesol…) et une faible quantité de matière grasse laitière. La crainte de la disparition du croissant pur beurre est palpable dans l’opinion. Généralement utilisés pour des viennoiseries fourrées, ces ingrédients pourraient bien finir par séduire plus largement en cas de rupture… ou si les blocs de beurre se muaient en véritables lingots d’or.