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Margaux Décatoire, les couverts en agent

Le 13 June 2025

Par Pomélo

Par Pomélo

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La starification de la gastronomie a fait émerger, ces dernières années, un nouveau métier : agent de chefs. À 33 ans, Margaux Décatoire est l’un des visages français de cette profession, co-fondatrice de l’agence La Relève. Portrait. 

« Call My Agent » – titre retenu pour le marché anglo-saxon de la série française Dix pour cent – pourrait bien devenir l’expression fétiche des chefs cuisiniers et pâtissiers en vue. M Le Monde consacrait d’ailleurs, en décembre 2024, un article à ce phénomène : « Agent de chefs, le métsier en vogue de la gastronomie ». Les agences se multiplient, mais leur réalité économique reste floue. « Je pense que celles qui sont citées dans Le Monde n’en vivent pas », observe Margaux Décatoire au téléphone. C’est en revanche le cas pour elle : en 2021, elle crée La Relève avec l’ex-journaliste culinaire Julie Gerbet, une structure qui génère aujourd’hui entre 1,5 et 1,8 million d’euros de chiffre d’affaires par an. 

Au quotidien, Margaux Décatoire et les trois autres agents de chefs salariés – appelés « talent managers » en interne ; l’équipe compte neuf personnes – « négocient et accompagnent » les 18 personnalités gastronomiques de l’écurie. Concrètement, ils dénichent les marques adaptées pour des repas privés, des contrats d’ambassadeur, des prises de parole, etc. « Pour expliquer mon activité, je fais le parallèle avec le cinéma ou la musique, pour que les gens visualisent. La plupart sont étonnés : “Ah bon ? Ça existe ? Du coup, vous les placez dans des restaurants ?” Immédiatement, on pense “restaurant”. »  

Avec ses talents représentés à l’année, avec qui elle s’entretient quasi quotidiennement, Margaux Décatoire noue souvent des liens d’amitié. On y trouve le pâtissier Quentin Lechat (ancien chef sucré du Royal Monceau), la chocolatière Jade Genin, les anciens candidats de Top Chef Sarah Mainguy, Matthias Marc et Adrien Cachot (tous trois désormais étoilés), l’Anglo-américain Thomas Graham, remarqué à Paris lors de son passage au restaurant parisien Le Mermoz, ou encore l’influenceuse Camille Chamignon, forte d’environ 400 000 abonnés sur Instagram. Les talents sont répartis en trois catégories, leur « poids » se mesurant surtout à la taille de leur communauté en ligne. Un « gros » talent génère au moins 70 000 à 90 000 € de partenariats par an ; pour un « petit », la fourchette se situe entre 10 000 et 20 000 €. 

La Relève mène aussi des missions directement pour les marques : collaborations ponctuelles – jusqu’à 400 000 € de budget – ou partenariats de long terme (comme pour les thés Dammann Frères). Là encore, il s’agit d’associer la bonne personnalité à l’opération. Ainsi Jameson a fait appel au chouchou de la saison 15 de Top Chef, Valentin Raffali (restaurant Livingston, Marseille) ; Eurostar a confié les menus de sa classe la plus luxueuse à un trio cuisinier-pâtissière-sommelière ; à Cannes, Nespresso a travaillé avec les entrepreneurs médiatiques Céline Chung (Bao Family) et Moïse Sfez (Homer Food). 

Avant de trouver sa voie, Margaux Décatoire officiait au sein de la régie publicitaire de la rubrique food du média en ligne Démotivateur. Elle n’a pas grandi dans la restauration, mais elle s’y connaît : petits boulots de serveuse ou de barmaid, père ancien du restaurant coréen Le Séoul – où il servait François Mitterrand –, grand-mère hôtelière étoilée près de Namur, en Belgique. « En 2017, on n’en était qu’aux balbutiements de la hype actuelle autour de la food. On commençait à ‘endorser’ les chefs en publicité. Je me rappelle qu’on avait fait une opération avec Lavazza et le chef Denny Imbroisi. ». Les premiers partenariats entre des chefs et des marques remontent aux années 1970 et 1980, mais il s’agit alors de Michel Guérard (avec Nestlé) ou Joël Robuchon (Fleury Michon), généraux de la haute gastronomie française avec trois astres au guide rouge. 

Sentant le filon, Margaux Décatoire profite d’une rupture conventionnelle pour contacter « au culot », sur Instagram, Alexia Duchêne – alors en course dans Top Chef 2019. « Au départ, je ne me voyais pas en agent : je voulais juste savoir si quelqu’un l’aidait à négocier, à produire les évènements. » Pari gagné, les deux jeunes femmes s’entendent. « J’ai appris le métier avec elle. Elle me mettait souvent en avant. C’est elle qui a fait de moi une agente, par la force des choses », raconte Margaux, évoquant un premier beau partenariat avec la marque de vêtements britannique Barbour. « À l’époque, on n’était vraiment pas nombreux ; je ne connaissais que Hélène Luzin, installée de longue date, et Laurence Mentil, qui disait dans une interview avoir commencé comme agente de Cyril Lignac avant de créer la marque avec lui. » Et d’ajouter : « C’est un métier-passion : il faut avoir envie d’accompagner les gens et accepter qu’on vous appelle en plein week-end. » 

Pour son écurie, La Relève fonctionne au pourcentage mais ne promet pas d’enveloppe annuelle garantie. Il y a en revanche une obligation de moyens. L’agente souligne également que le contexte économique actuel est difficile. « Les premiers mois de 2025, je pense que c’est un peu pour tout le monde pareil, ce n’est pas foufou, il faut se battre pour chaque centime ». Elle regrette également que nombre d’autres agents de chefs (elle en identifie 20 à 30, à la louche, en France) ou qui se présentent comme tels répondent aux appels d’offres en cassant les prix. Ce qui ne lui empêche pas de refuser des demandes, même juteuses, à la demande de ses poulains. À l’époque déjà, un acteur du fast-food est prêt à signer un chèque de près de 100 000 euros pour associer son image à Alexia Duchêne, qui finira par décliner. Trop éloigné de ses valeurs. « Et puis il y avait sa série avec Canal + où elle allait à la rencontre de petits producteurs, ça aurait fait un tollé général ». 

Quand on lui demande avec qui elle aimerait travailler, Margaux Décatoire cite spontanément Glenn Viel (« j’aime le personnage ») et la maison des arts de la table Christofle « un univers fabuleux, et une marque française un peu ‘boutique’ avec ce côté très savoir-faire. Le genre de clients qu’on aime accompagner parce qu’ils ne sont pas encore énormes mais toujours assez agiles ».