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David McMillan se retire des cuisines

Le 29 novembre 2021

David McMillan, estimé et réputé chef de la scène culinaire nord-américaine, jette l’éponge, à 50 ans, dont 32 consacrés au métier, balayé(s) par la pandémie. Histoires d’un homme de résiliences.  

David McMillan, estimé et réputé chef de la scène culinaire nord-américaine, jette l’éponge, à 50 ans, dont 32 consacrés au métier, balayé(s) par la pandémie. Histoires d’un homme de résiliences.  

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Déjà, en mars 2020, le grand McMillan prévenait, notamment dans Mixte Magazine : « Je suis prêt à faire moins de bruit sur la scène culinaire. J’ai eu quinze belles années avec beaucoup de couverture médiatique et beaucoup de succès dans mes différents projets, mais là, je veux me retirer progressivement. » Un an plus tard, le 25 novembre, McMillan le Viking fait ce qu’il dit, comme on l’apprend dans un entretien exclusif accordé au quotidien Montreal Gazette. Le chef David McMillan, qui était jusqu’à tout récemment copropriétaire des réputés restaurants Joe Beef, Liverpool House et Vin papillon, tous chers au cœur d’Omnivore, a décidé d’accrocher son tablier après 32 ans en restauration, à pile 50 ans, comme il avait dit qu’il ferait au cours de précédentes et toujours fracassantes interviews qu’il accordait à la presse, nord-américaine essentiellement.
Il y dit, sans fard : « J’ai travaillé pour un tas de gars qui ont raccroché à 50 ans. Je m’y préparais aussi quand la pandémie m’a rattrapé… On a tous des histoires de pandémie. Pour moi, ce fut un choc. Après une telle carrière, je me cognais la tête contre les murs pour trouver comment et quoi faire qui tienne dans une barquette qui tiendra le choc d’une livraison… Ce n’était pas dans mes cordes. Je cherchais comment une portion de patates croustillantes pouvaient survivre à une livraison Uber ! C’était démoralisant ». Désabusé, déphasé, broyé par le job. « Pouvoir se défaire du business, c’est comme échapper à la prison ».

J’étais Dave McMillan, le fucking dieu viking suprême »

En 2019, Omnivore écrivait à son sujet, en ouverture du dossier que le Foodbook #11 consacrait aux formes d’usures auxquelles sont confronté.e.s les chef.fe.s : « On ne connaît personne qui boxe comme lui dans les coins du ring psychologique. Grande gueule, grand blagueur, grande intelligence, grande finesse d’esprit, grand pourfendeur des journalistes fainéants et des gens de cour qui sont légion dans le monde de la gastronomie, immense connaisseur de la cuisine, il n’épargne personne quand il vient s’attabler à la terrasse de Vin Papillon, qui reste l’une de nos adresses préférées au monde. On a longtemps été impressionné par la stature du créateur du Joe Beef à Montréal. Soit trois restaurants (Joe Beef, Vin Papillon, Liverpool House) côte à côte, une société d’importation de vins, des parts dans pas mal d’affaires en ville, deux livres devenus de véritables phénomènes de librairie – dont le dernier, Survivre à l’Apocalypse, pourfend notamment la médiocrité des réseaux sociaux et autres bassesses de notre époque. La Joe Beef Company est une parfaite machine, puissante, indépendante, portée par ses deux créateurs – Fred Morin est le complice – dont on a toujours perçu le mélange d’honnêteté profonde et de madré, de puissance dialectique et d’énergie vitale. En une décennie, David McMillan, Fred Morin et leur Joe Beef étaient bien devenus des icônes de la cuisine nord-américaine.
Durant des années, donc, on s’est attablé avec David McMillan à la terrasse du Vin Papillon. Jusque très tard le soir, à boire pas mal de vin nature tout en mangeant les plats délicieux de Marco Frappier, le jeune chef exécutif. À force de refaire le monde, on avait bien vu que sous la carapace du bestiau, grand chasseur, grand pêcheur qui n’aimait rien tant que sa cabane paumée au nord du Québec, se planquait une sacrée dose de fragilité. Mais la perfection formelle de son empire, la réelle joie de vivre qui en émanait, la cohésion de l’équipe, bref, le modèle de restaurant à leurs yeux, obéraient la réalité : David allait mal.
On le pressentait bien, à le voir s’envoyer de grandes lampées d’alcool. Mais s’il pouvait passer des heures à papoter avec chacun, un verre de vin greffé à la main, il restait debout, droit, fier, arrogant juste ce qu’il faut pour qu’on l’aime comme ça. Ça a duré un bout de temps avant qu’il décide l’an dernier, après une période si sombre qu’on ne peut que l’appeler une dépression, d’aller faire un long séjour en désintoxication. « J’étais Dave McMillan, le fucking dieu viking suprême, un des plus grands buveurs de tous les temps ! Tous ces autres amateurs de vin à Montréal ne m’arrivaient pas à la putain de cheville, ils n’étaient pas dignes de boire à mes côtés ! Je me promenais en buvant des magnums de champagne, j’étais le roi des soûlards, décrypte-t-il avec son franc-parler, dans un entretien à Vice, publié en décembre dernier. J’étais un alcoolique toxicomane, et tout ça n’était que de la poudre aux yeux. J’étais l’enculé le plus triste du monde. J’avais une centaine d’employés, cinq restaurants, des partenaires d’affaires, trois enfants. Fred et moi avons réussi à faire des trucs pas mal, mais je n’étais pas content ! Aucun vin que j’ouvrais n’était assez bon, aucun article sur moi dans le New York Times ne me remontait le moral, rien ne m’amusait. J’étais toujours déprimé ou hungover, comme beaucoup de gens dans cette industrie. »
Dave pensait aussi que s’il arrêtait de boire, il perdrait tout : amis, statut, attributs de la joie de vivre. « Je ne savais pas ce que je ferais de mes vendredis, de mes samedis soirs, de tous les amis avec qui je buvais, de tous les invités que je recevais à la maison. Qu’est-ce que je ferais chez moi ? Parce que la moitié de ma vie était la cuisine, et l’autre, l’alcool. »
Quand on l’a revu l’an dernier, le chef s’asseyait toujours à table mais ne buvait plus une goutte de vin. Il avait perdu 20 kilos, était plus affûté que jamais, parlait encore pendant des heures de la cuisine française – dont il a une connaissance immense, de celle de peuple à celle d’Alain Chapel –, donnait toujours des crocs contre les grandes injustices, les grands mensonges, les pseudos mythes de la cuisine contemporaine… Tout ça sans alcool, il se couchait simplement plus tôt. »

« Peace, be well »

Complètement rangé des flacons certes, mais usé par la pandémie, particulièrement violente pour le milieu de la restauration au Canada. « J’étais épuisé. J’étais en colère tout le temps. J’ai décidé que je ne pouvais plus vivre comme ça ».
David McMillan a donc vendu ses parts des restaurants aux cofondateurs Fred Morin et Allison Cunningham, et va donc se retirer dans son Québec profond, s’occuper de ses filles Dylan, Lola et Cécile. Il va y faire pousser des légumes aussi et pourquoi pas ouvrir une ferme-auberge si ça lui chante un jour, mais ce dont il est certain, déclare-t-il à La Gazette en ultime pirouette, c’est qu’il ne « veut plus jamais de [s]a vie râper des copeaux de truffe blanche sur des asperges pour quelqu’un de Toronto ». 
Fred Morin a réagi peu après, via son compte Instagram, bienveillant envers Dave – « Peace, be well » –, encourageant envers ses équipes.

 

 


Show must go on. So long, Dave.

AV (© Dave Sidaway /Montreal Gazette)

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